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L'étape suivant cette qualification des espaces a été d'écouter ce que les enfants avaient à dire sur de possibles transformations. Pour le biologiste et psychologue Jean Piaget, c'est en effet en agissant sur son environnement que l'enfant construit ses premiers raisonnements.

«PY :On a interrogé les enfants sur qu'est-ce qui leur … qu'est-ce qui convenait dans l'école , quels étaient les coins qu'ils aimaient bien dans l'école.

Y: Quand tu dis « on », c'est toi et les

architectes ?

PY  : Ah  ! Oui,voilà  ! voilà, et moi j'avais envie qu'on fasse un petit peu quelque chose pour la lecture. Euh donc qu'est-ce qui convenait bien. Et en fait il s'est euh, on, on s'est aperçu que l'endroit qui, en tout cas pour les grands de la classe de cycle 3, l'endroit qu'ils aimaient vraiment beaucoup c'était notre petite bibliothèque-centre documentaire, ce qu'on appelle une BCD. [...]Et donc cet espace là les enfants l'aiment bien ! Et donc on... En discutant avec

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eux on s'est rendu compte que en fait ce dont ils ont besoin c'est de petits espaces comme ça, clos, cozy, etc. Et donc on a,on est partis sur cette idée là ! Et puis y'a un enfant qui a proposé que … bah comme en fait ils aimaient bien ça, qu'on puise les laisser aller dans cet espace là pendant la récréation. Mais ...Nous, enfin nous enseignants ça nous pose problème parce que on est censés surveiller les enfants et on peut pas être à la fois dans la cour et là .. Voilà, donc on veut les avoir à peu près sous les yeux. Et donc on en est vite arrivés à l'idée que ben en fait, faudrait avoir des espaces comme ça DANS la cour ! » (1)

à Scrignac, cela s'est déroulé sur les temps de conseils de classes, où chacun a été libre de poser un jugement sur l'espace de l'école.

Pour Pascale Lismonde «  Plus tôt

on est armé pour ne pas se laisser conditionner, plus tôt on acquiert une liberté de jugement – la création est très précieuse pour former cette liberté de pensée – plus on est fort par rapport à d'autres slogans qui bercent le monde » (2) Faire prendre à l'enfant le rôle du décideur, du créateur d'espace serait donc lui apprendre à peser ses propos et les propos des autres. Cette mise en situation est pourtant très rare, comme le répètent les différents auteurs de La ville Récréative. Solliciter l'avis de l'enfant n'est pas quelque chose de courant. Lors de ma présence en novembre au centre de loisirs de Carhaix, j'avais apporté

avec moi l'album jeunesse Le Jardin

Voyageur, évoquant l'histoire d'un

petit garçon découvrant un plante dans sa ville et décidant d'en prendre soin, puis d'aider la végétation à

pousser partout dans la ville. Un petit garçon de 7 ans est venu me voir, le livre à la main : « Il est vraiment bien ce livre Yuna, mais est-ce qu'on a vraiment le droit de faire ça, nous ? ».

Pourquoi arroser des plantes et prendre soin de son environnement lui semblait-il interdit  ? Peut-être parce qu'il a suivi une pensée adulte qui, inconsciemment, ne voit pas l'enfant capable de penser son cadre de vie. C'est tout l'objet des bâtisseurs d'avenir, réseau international d’enseignants  : accompagner les enfants dans un projet, puis le documenter, comme pour prouver aux adultes tout ce que peuvent faire les enfants. Les enfants de CP- CE1 de Trébédan ont ainsi réalisé leur Kachbane dans ce cadre, documentant tout au fur et à mesure sur internet, mettant des mots sur ce qu'ils faisaient

Cette considération du travail et de l'implication de l'enfant est une constante à Trébédan, et l'implication des enfants dans la rénovation de l'école le prouve :

« N: Quand on leur demandait d'avoir un avis sur la proposition de Matali, c'était une vrai demande, et ils savaient, à priori que c'était entendu.

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(1) Pierre-Yves Phillippot, Directeur de l’école de Scrignac

(2) Lismonde Pascale, Les Arts à l’école, Paris, Gallimard, 2002, p XXIII

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[…] au moment où on était en train de définir le cahier des charges avec le groupe de commanditaires, avec les élèves on a travaillé toute l'année dessus[...] je sais pas si tu l'as vu, mais dans une petite vidéo de la Fondation de France, y'a une petite fille qui dit « Par moments on avait plus l'impression que c'était plus les élèves qui travaillaient que, voilà, que les adultes »

Y : Ouui, j'ai vu .. (rires)

Mais parce que c'était leur projet hein ! Voilà ! Et y'a même des anciens élèves qui sont ..partis juste avant que ça se réalise .. Ils sont revenus voir après, parce que c'était leur truc quoi ! » (1)

La valorisation de l'avis et du projet de l'enfant n'est pas partagée explicitement par nous tous, adultes. Parler des devoirs de l'enfant, vis à vis de ses parents notamment, a été longtemps plus important que de parler de droits, comme le prouve la tardiveté (1989) de la convention sur les droits de l'enfant. Et lorsque les droits de l’enfant sont évoqués aujourd'hui, ils le sont souvent au regard d'une protection de l'enfance : les enfants en danger ont le droit d'être protégés, de ne pas être maltraités, etc. Mais on évoque peu les droits de l'enfant qui va bien. Bernard Defrance souligne l'incapacité de l'adulte à saisir où s'arrêtent et commencent les droits des enfants :

«  Toute la diff iculté est de considérer l'enfant comme sujet de droit, sans pour autant le traiter prématurément en citoyen de plein droit  : l'éducation se définit précisément par ce calcul du temps, cette tension entre le déjà (sujet de droit) et le pas encore (citoyen). […] La

difficulté de ce « calcul du temps » réside dans la mise en œuvre des conditions qui favorisent l'éclosion du discernement et la maturité progressive  : ne pas sous-estimer ni sur-estimer les capacités de discernement de l'enfant » (2)

Sujet de droits, l'enfant peut-il déjà, a t-il déjà le droit de prendre part à la qualification de son environnement ? La notion de citoyenneté future évoquée par Bernard Def rance est revenue beaucoup au cours des entretiens réalisés pour ce mémoire comme une justification de la légitimité de l'enfant à prendre position :

«  Et puis évidemment ça sera les décideurs et les citoyens de demain ! [Y  : mmh  ! ] Donc, considérant que y'a un enseignement qui est relativement faible sur ces questions d'aménagement dans le cursus scolaire .. Nous avons un DEVOIR .. Et c'est, c'est d'ailleurs l'essence même des CAUE quand même, que de sensibiliser, donc euh voilà, on ne fait que notre métier finalement  ! (rires collectifs) Mais on le fait avec passion  !Et si on veut que les paysages soient un peu plus beaux, il faut comprendre qu'il faudrait des citoyens un peu plus … sensibilisés quoi ! » (ND) (3)

Cette expression revient dans le mémoire de Léo Badiali sur la transmission de l'architecture en Pays de la Loire, ou dans La Ville Récréative de Thierry Paquot :

«  Nous savons qu'il nous est impossible de ne pas chercher à tout mettre en œuvre pour permettre à tous les futurs citoyens de se préparer à faire face à des questions qui ne s'étaient encore jamais posées dans toute l'histoire de l'humanité

(1) & (3) Nolwenn Guillou, Directrice de l’école de Trébédan (2) dir. Paquot Thierry. La ville récréative, Gollion : Ed. Infolio, 2015. p24

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et dont nous ignorons encore à peu près tout  ? Éduquer les enfants  ? Leur permettre d'éprouver la loi comme outil de leur liberté ? C'est d'abord leur permettre d'apprendre à répondre à cette simple question : COMMENT allez-vous vous y prendre pour que votre histoire soit, si possible, un peu moins sanglante que celle de vos pères et de vos maitres, dont vous êtes priés de ne surtout pas suivre l'exemple  ?  »(1)

L'enfant, si on le considère comme un sujet de droit et le citoyen de demain, est alors légitime comme stratège de son espace de vie : il est lui aussi habitant de l'espace, et en ce sens le former à en parler est, pour Nicolas Duverger, architecte, comme pour Pierre-Yves Philippot, enseignant, une mission :

« PY : Moi c'est, c'est un peu le cœur de mon métier d'essayer de mettre le plus de choses possibles dans la tête des enfants… et enfin, c'est pas tellement moi qui les met les choses dans la tête des enfants  ! D'abord c'est eux, c'est toujours chaque enfant, mais c'est, c'est tout leur environnement, les parents, etc, la société, etc. Et... Mais surtout mon boulot ça consiste à leur apprendre à aller les dénicher dans leurs têtes et à les associer ensemble, pour en créer des choses nouvelles, pour apprendre à réfléchir, créer des schémas neuronaux … efficaces et

en allant associer des différentes connaissances de leurs cerveaux. […] de même que qu'on ne confie pas notre santé que à notre médecin. Si on confie notre santé que à notre médecin, ben on est foutu quoi  ! Parce qu'on va bouffer n'importe comment etc. De même qu'on devrait pas confier notre habitat que à notre architecte ! Et, et l'éducation de nos enfants on la confie pas que à nos enseignants, sinon c'est pareil ! Il faut absolument que, qu'on soit tous interconnectés et que même si y'a des spécialistes, des gens qui, qui sont plus « portail » sur leur monde, sur une culture particulière, il faut quand même que chacun d’entre nous on ait … un minimum de connaissances. Pour pouvoir construire notre propre habitat. »

Les expériences observées sont un changement de perspective  : les enfants sont des usager de l'espace à part entière, ce sont même les principaux habitants de l'école. En ce sens, les enseignants d'Edern, de Scrignac ou de Trébédan ont tenté de leur donner du vocabulaire pour prendre position, puis de leur prouver et de prouver aux autres adultes qu'ils pouvaient tout à fait prendre part à des projets de requalification de leur environnement, les formant ainsi à devenir responsables de leurs cadres de vies.

(1) dir. Paquot Thierry. La ville récréative, Gollion : Ed. Infolio, 2015. p34

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C.2. Quelle place pour l'enfant hors les murs de

l'école ?

ECOLE ! Allez euh …. Ben je vais prendre celle là pour « franchir les murs »

Mais je veux viser la lune ! (rires) Non mais ça c’est pareil, on dit toujours  que l’école est au cœur du système. Et moi je me dis  : si c’est au cœur de son propre système, c’est absurde !

On est en train de former des citoyens dont on souhaite qu’ils puissent vivre en société et de façon .. avec des défis à relever qui sont non négligeables à l’heure actuelle, et on ferme les murs ! Donc c’est à dire quelle image on leur donne de la société ?

L'apprentissage d'une responsabilité quant à son cadre de vie

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