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«  L'enfant est un faiseur de mondes. Il rêve ce qu'il espère voir advenir. Il prend ses rêves pour des réalités, en cela il reste « enfant ». Et c'est tant mieux ! » (1)

La f raicheur du point de vue de l'enfant, le fait qu'il ne soit pas encore entièrement conditionné par des règles, codes et références en fait un penseur d'espace souvent très intéressant à écouter pour l'architecte :

« -Quelle est la valeur de l'avis d'un enfant concernant l'architecture et l'urbanisme ?

HL  :Il me semble que cette valeur est très grande, peut-être même beaucoup plus importante que la nôtre. Parce que l'enfant n'est pas chargé de toute une série de souvenirs et de toute une masse de comparaisons et de références par rapport aux différents phénomènes qui l'entourent : pour lui c'est tout à fait naturel.

AL :Cette valeur est très relative dans la mesure où cette impression sur la ville est aussi très temporaire. C'est à dire qu'elle se développe, nous le voyons très bien, par rapport à leur âge  : plus le savoir devient grand, plus il manie les idées reçues » (2)

L'enfant qui parle d'architecture est toujours très peu écouté. L'architecte aurait pourtant, selon Hieronim et Alicia Listowski, architectes et urbanistes, beaucoup de choses à saisir des propos de l'enfant. Sans, ou avec encore très peu de filtres pour voir la réalité, il pourrait donner un autre point de vue à l'architecte, conditionné par ses études à des façons de voir l'espace. Et pour des territoires ruraux, souvent peu étudiés, sans codes à suivre, à part peut-être les codes de l'habitat pavillonnaire, l'enfant peut donner des clés de lecture autres. Dans le film d'Eric Rohmer L'arbre, le maire et la médiathèque, suivant l'histoire d'un petit village de Vendée, une enfant dit «  il n'y a pas assez d'espaces verts  ». Les adultes sont surpris en premier lieu. En réalité, comme ce qui n'est pas accessible existe beaucoup moins pour l'enfant, les espaces verts n'avaient aucune réalité tactiles, prés fermés et jardins privatifs …

«  M : Et puis ce qui est marrant c'est qu'en plus y'avait des sujets qui sont difficiles à aborder parfois avec d'autres … avec des adultes on va dire, pour le boulot quoi ! Par exemple quand tu commences à (1) dir. Paquot Thierry. La ville récréative, Gollion : Ed. Infolio, 2015. p 118 (2) Hieronim et Alicia LISTOWSKI, in : Les enfants dans la ville, documentaire, de Robert Valey et Georges Ferraro, 1971

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parler de proportions d'une fenêtre ou de trucs comme ça, tu vois, le truc qui te paraît important à toi et qui, enfin tout le monde s'en fout quoi ! Et là finalement avec les enfants tu vois, même quand on discutait de leurs maquettes et tout, ben c'est marrant mais, je pense qu'ils le font assez inconsciemment on va dire, mais en tout après tu peux discuter des couleurs, des .. je sais pas, des détails des ouvertures, des proportions, des machins comme ça et ça ça se faisait assez facilement je trouvais ! Et c'est des choses qui sont... assez importantes dans le boulot d'archi donc... c'est bien aussi de se dire que tu peux en discuter, ne pas avoir peur de discuter de ce qui est important dans ton boulot. » (1)

Martin exprime sa fascination à pouvoir parler de sujets que certains adultes auraient trouvés perchés, ou peu utiles. Pouvoir parler simplement des formes de fenêtres, de ce que ça change dans l'espace lui a fait du bien, et rappelé qu'il voulait vraiment être en mesure de parler de ces choses là en tant qu'architecte.

«  Il faut inviter à regarder ce petit, ce futur, ce devenant non pas sous l'angle de la fragilité et de la faiblesse, mais sous l'angle de ce qu'il a de neuf, de créateur, de dynamique et de révélateur de lui-même et des autres à son contact aussi […] Les enfants sont bien les seuls à pouvoir quelque chose pour les parents, parce que, eux, ont l'avantage de ne pas encore avoir été des adultes » (2)

Ou l'avantage aussi de n'avoir jamais été architectes, et donc de créer et d'envisager d'autres façons de faire.

Quand j'ai demandé à Matthieu, au centre de loisirs de Carhaix, s'il avait des choses à ajouter sur nos A3 expliquant point par point les solutions à la directrice de la structure, il a écrit «  merci  » et dessiné un

bonhomme souriant à côté. « Comme

ça on va nous écouter  !  » Une fois fait, j'ai trouvé que cette feuille avait beaucoup plus de sens, mais moi future architecte n'aurait jamais signé merci à la fin d'un projet. Ils m'ont encore surprise quand, évoquant des idées pour la cour, ils ont parlé d'abeilles :

«  Y'a le buisson là, les ballons se coincent toujours dedans ! 

Oui, mais si on le coupe, elle vont aller où les abeilles ? »

Écouter l'enfant pourrait donc être un moyen pour l'architecte d'enlever certains filtres de devant ses yeux, de requestionner ses démarches. « Si c'est bon pour les enfants, c'est bon pour tous » m'avait dit Henry Henson, enseignant à la Faculté Technique de Prague, convaincu qu'entendre ce que les enfants ont à dire serait parfois bien plus intelligent que de supposer ce qu'ils ont à penser, ou que de les oublier.

(1) Martin Fessard, architecte

(2) Dolto Françoise, La Cause des enfants. Paris : Ed. Pocket, 1995. p 165

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