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La solution française controversée d’un droit sui generis hérité du droit communautaire. En transposant le régime dual de la protection des bases de données

issu de la directive européenne du 11 mars 1996, les parlementaires français ont, à travers la loi n° 98-536 du 1er juillet 199862, consacré l’adoption d’un droit sui generis qui pourrait être cumulé avec le droit d’auteur des bases de données. Afin de combler les faiblesses du droit d’auteur à protéger efficacement les investissements consentis pour la fabrication des bases de données, les instances communautaires européennes ont, en effet, institué un droit spécifique au profit des fabricants de bases de données. Ce droit exclusif leur permettrait d’empêcher l'extraction et/ou la réutilisation non autorisées du contenu de la base. Le droit sui generis est ainsi inscrit dans une perspective purement économique. Il vise à favoriser la mise en place d’un environnement suffisamment incitatif, encourageant les investissements dans l’industrie des bases de données. L’objectif, à terme, est de contribuer à l’essor d’un marché communautaire de l'information, et partant, de participer au maintien du dynamisme économique de la Communauté européenne au regard des autres pays tiers qui excellent dans la production

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Loi n° 98-536 du 1er juillet 1998 portant transposition dans le code de la propriété intellectuelle de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données, JORF n°151 du 2 juillet 1998, p. 10075.

37 des bases de données63. Pour contribuer à l’atteinte de cet objectif, les rédacteurs de la loi française de 199864 ont considéré qu’il était impératif de « protéger le producteur de la base contre l'appropriation par un tiers des résultats obtenus de l'investissement déployé pour collecter et rassembler le contenu de la base et à éviter un usage abusif par un concurrent ou un utilisateur »65.

Si les ambitions portées par le droit sui generis paraissent nobles, en ce qu’elles ont trait à la redynamisation du marché de l’information, les mécanismes qui président à la mise en œuvre de ce système de protection ont suscité beaucoup de réticences. Déjà, au moment de sa conception, la directive de 1996 avait donné lieu à des négociations très serrées au sein des instances européennes. Il a fallu, en effet, une soixantaine de considérants pour convaincre de l’opportunité et de la dimension conciliatrice de ladite directive. Cela n’a pas empêché le texte européen d’essuyer de nombreuses critiques au sein même de la Communauté européenne66. La première évaluation de la directive67 réalisée par la Commission n’a pas davantage réussi à convaincre de la pertinence du système, laissant ainsi les avis partagés sur l'intérêt d’une protection par le droit sui generis.

La protection sui generis d'une base de données ne fait pas non plus l’unanimité au sein de la communauté internationale68. Ce système de protection particulier a été le sujet d'un débat intense à l'OMPI. L'Union européenne a été l'un des principaux partisans d'un Traité

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V. Muriel Josselin-Gall, « Directive n° 96/9/CE du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données », Rev. crit. DIP, 1996 p. 526.

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C’est d’abord à l’échelle communautaire qu’une prise de conscience est révélée à travers le considérant n° 38 de la directive du 11 mars 1996 qui précise : « l'utilisation toujours croissante de la technologie numérique expose le fabricant d'une base de données au risque que le contenu de sa base de données soit copié et adapté électroniquement sans autorisation pour en faire une autre base de données, de contenu identique, mais qui ne violerait pas le droit d'auteur applicable à la disposition du contenu de la première base ».

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V. Projet de loi AN n° 383, 22 oct. 1997, p. 4.

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V. en ce sens, Estelle Derclaye, « Review of the Protection of Databases : A Comparative Analysis », Edward Elgar, 2008. V. aussi Annemarie Christiane Beunen, « Protection for databases - The European Database Directive and its effects in the Netherlands, France and the United Kingdom », Wolf Legal Publishers, Nimègue, 2007

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V. First Evaluation of Directive 96/9/EC on the legal protection of databases, DG Internal Market and Services Working Paper, Bruxelles, 12 décembre 2005.

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El Kassas Shérif, Etude sur la protection des bases de données non originales, réalisée pour le compte de l’OMPI, document n° SCCR/7/3, disponible sur le site http://www.wipo.org

38 International sur les bases de données69, s'inspirant des dispositions de la protection sui generis de sa Directive. Cependant, un certain nombre de pays70 et d'organisations non gouvernementales sont restés réticents à l'égard d'une telle solution. Des réserves sont émises quant à l'impact d'un système sui generis sur la libre circulation de l'information. Certains pays, comme les Etats-Unis, ont préféré se tourner vers des systèmes de protection alternatifs, telle que la concurrence déloyale, comme fondement à la protection des intérêts des producteurs de bases de données.

En Afrique, la question de la pertinence d’une protection spécifique des bases de données inspirée du système européen s’est posée71. Ce problème est essentiellement nourri par deux craintes liées aux effets négatifs éventuels d’une surprotection des bases de données. D’abord, l’on estime qu’un système de protection spécifique combiné au droit d’auteur, porterait atteinte aux intérêts des utilisateurs, du fait d’une protection trop renforcée. Ensuite, la protection sui generis des bases de données entraîne une restriction de la diffusion des éléments protégés et peut-être aussi de l’accès des utilisateurs aux informations contenues dans les bases protégées. Le risque est plus réel pour les scientifiques et les enseignants, notamment au regard des incidences négatives sur le progrès. Or, un régime juridique qui, à terme, entrave le progrès technique se répercute sur le développement, compte tenu de l’importance que revêtent les sciences et techniques pour la croissance. Ces craintes sont particulièrement vives dans les pays en

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V. en ce sens la proposition de base concernant les dispositions de fond du traité sur la propriété intellectuelle en matière de bases de données. Elle a été soumise à l’examen de la Conférence diplomatique (OMPI) sur certaines questions de droit d’auteur et de droits voisins, Genève, 20 déc. 1996, doc. n °CRNR/DC/6.

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Certains partenaires économiques de l’Europe ont montré leur opposition à l’initiative européenne sur un traité international visant la protection des bases de données. Le refus des États-Unis et du Japon s'est manifesté officiellement à l'occasion des négociations diplomatiques menées à Genève en décembre 1996. Lors de cette session qui vit la signature du Traité sur le droit d'auteur et de celui consacré à la protection des droits des artistes interprètes et des producteurs de phonogrammes, était également présenté, un projet de traité en matière de bases de données. Ce texte établi sur la base de propositions parallèles émises par l'Union européenne et par les États-Unis, suggérait des dispositions proches de celles prévues dans la Directive européenne. Ce projet fut finalement rejeté lorsque la position du gouvernement américain changea en dernière minute après que les Présidents des trois Académies scientifiques américaines aient exprimé dans une lettre ouverte au Secrétaire au commerce, M. Kantor, leurs inquiétudes quant aux effets d'un tel traité sur la recherche scientifique. Plus discrètement, se rallièrent alors à cette opposition d'importants pays de l'OCDE tels que le Japon, le Canada et l'Australie, dont aucun ne se dota ensuite d'une législation spécifique instituant une protection sui generis pour les bases de données. V. en ce sens Bertrand Warusfel, « La protection des bases de données en question : un autre débat sur la propriété intellectuelle européenne », Propriétés Intellectuelles, n° 13, octobre 2004, p. 897.

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Cf. Information reçue des Etats membres de l’OMPI et de la communauté européenne lors de la première session du Comité permanent du droit d’auteur et des droits connexes de l’OMPI qui s’est tenu du 2 au 10 novembre 1998, document n° SCCR/1/INF/2, www.wipo.org

39 développement et s’inscrivent en contradiction avec la vision sénégalaise de la société de l’information ; celle-ci accordant une importance capitale à la question du développement technique et économique.

11. La problématique de la protection des bases de données par le droit d’auteur. La création d’une base de données nécessite la réunion de moyens matériels, humains, techniques et financiers très importants. Le développement des bases de données sous forme électronique, qu’il s’agisse de produits autonomes sur des supports comme les CD-ROM ou de produits et services en ligne, a facilité le pillage de leur contenu et/ou la reproduction servile de leur structure. Le risque serait de voir la confiance des auteurs et des producteurs du domaine visé s’effriter Le droit d’auteur est-il suffisamment efficace en tant que système juridique pour garantir une protection ou une sécurité optimale aux bases de données ? En d’autres termes, le droit d’auteur est-il assez conciliateur pour prendre en compte la diversité des intérêts en présence, à savoir ceux des créateurs, des producteurs mais aussi des utilisateurs ?

12. Le choix justifié d’une approche comparative limitée au droit d’auteur. Malgré l’hétérogénéité des systèmes de protection possibles et l’avènement en Europe d’un droit spécial, le législateur sénégalais s’est expressément orienté vers le droit d’auteur pour encadrer les bases de données. En France également, lorsque la question de la protection des bases de données s’était posée pour la première fois, la doctrine de même que la jurisprudence avaient révélé un penchant pour le droit d’auteur. Dans un environnement juridique complexe et révélateur d’hésitations, le droit d’auteur est ainsi apparu comme une constante en tant que système de protection des bases de données.

Mais, si le législateur Sénégalais a porté son choix sur le droit d’auteur pour garantir une protection optimale aux recueils d’œuvres ou de données, son défi majeur a été de mettre en place un dispositif suffisamment protecteur, mais adapté au contexte africain en général et sénégalais en particulier. Les rédacteurs de la loi de 2008 consacrant la protection des bases des données par le droit d’auteur, devaient, à cet effet, se garder de tout mimétisme juridique qui se traduit généralement par une reproduction systématique et aveugle des législations européennes dans les pays africains. Or, en l’espèce, les préoccupations varient selon que l’on se situe en Occident ou en Afrique. L’un des défis majeurs auxquels doivent faire face les pays comme le Sénégal est, en effet, de combler

40 le gap numérique et informationnel qui, depuis l’avènement de la société de l’information et de l’économie numérique, sépare les pays du nord et ceux du sud. Les politiques et initiatives législatives pour un cadre propice au développement des technologies de l’information et de la communication doivent donc poursuivre ces objectifs.

Il est vrai, par ailleurs, que la problématique de la protection légale des bases de données recouvre un champ très vaste de mécanismes juridiques applicables. Ceux-ci vont des règles classiques du droit commun au droit sui generis ayant suscité, comme nous venons de le voir, davantage de débats. Le droit spécial des bases de données, tel que proposé par la réglementation européenne, aurait pu, en effet, constituer une partie intégrante de notre étude, au regard notamment de l’importance du contentieux qu’a provoqué son application dans les pays européens. Il nous paraît toutefois présenter plus d’intérêts de limiter notre réflexion sur le droit d’auteur, en ce sens qu’il se présente comme la solution consensuelle, consacrée aussi bien au Sénégal qu’en France. Les développements qui seront brièvement consacrés au droit sui generis dans le cadre de cette thèse, permettront, en outre, de nous convaincre de sa pertinence limitée, pour les pays en développement. Ils contribueront ainsi à conforter notre choix de focaliser davantage notre attention sur le droit d’auteur, afin d’identifier les améliorations qu’il serait possible d’y apporter pour répondre adéquatement aux exigences d’une protection optimale des bases de données par la propriété intellectuelle.

Fort de ce constat et de ces objectifs identifiés, cette étude part d’une évaluation stratégique du système de protection des bases de données au Sénégal, sous l’angle du droit comparé. Le but final sera de proposer de nouvelles orientations, élaborées selon des critères objectifs, pour un dispositif plus adapté, non seulement au phénomène complexe des bases de données, mais aussi au contexte particulier de la société sénégalaise de l’information et de l’économie numérique.

La démarche comparative est justifiée par le besoin d’ouverture aux meilleures pratiques internationales. Le choix porté sur la législation française est dicté d’abord par des raisons historiques, mais surtout par la pertinence théorique et pratique des solutions adoptées en matière de protection des bases de données. La richesse de la doctrine et de la jurisprudence française sur la question de la protection des bases de données constitue, en effet, un atout considérable en termes de leçons apprises. Malgré l’importance de la

41 problématique pour l’économie numérique au Sénégal, le droit sénégalais se trouve désavantagé par le fait qu’il dispose d’une jurisprudence moins fournie et d’accès difficile ainsi que d’une politique législative moins précise en matière de base de données. Cette carence du droit sénégalais a fini par affecter la portée pratique de notre analyse comparative, l’orientant ainsi dans une dimension plus théorique avec des exemples davantage tirés du droit français.

13. Plan. Au Sénégal comme en France, lorsqu’une base de données est admise dans le giron du droit d’auteur, son créateur est investi d’un ensemble de prérogatives qui lui confère notamment un monopole d’exploitation sur cette œuvre. Le mécanisme de la protection par le droit d’auteur repose ainsi sur la reconnaissance d’un droit exclusif qui permet à son titulaire de faire obstacle à tout acte non autorisé et, par conséquent, de pouvoir tirer profit de son œuvre de la manière la plus optimale possible. Cependant, toute base de données n’a pas systématiquement accès à la protection au titre du droit d’auteur. Pour prétendre aux privilèges de ce droit, une base de données doit, au préalable, satisfaire aux conditions d’accès à la protection.

Il en découle que la pertinence de cette étude sera fortement tributaire d’une prise en compte adéquate des mécanismes de fonctionnement du système de protection des bases de données par le droit d’auteur. Or, au regard de ce qui précède, l’admission de la protection des bases de données au titre du droit d’auteur pose deux questions majeures : d’une part, celle des conditions de la protection et, d’autre part, celle des effets de la protection.

En somme, la réflexion que nous tenterons de mener sur la protection des bases de données par le droit d’auteur, suivant une approche comparative entre le droit français et le droit sénégalais, repose sur une démarche classique. Elle conduit ainsi à s’intéresser, dans un premier temps aux conditions de protection des bases de données par le droit d’auteur (Partie I) et, dans un second temps, aux effets de la protection des bases de données par le droit d’auteur (Partie I).

42 PARTIE I : LES CONDITIONS DE PROTECTION DES BASES DE DONNEES

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