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Les perspectives de la conception évolutive de l’originalité : tendance d’un retour à l’orthodoxie

Paragraphe 1 : Le critère classique de la marque de la personnalité de l’auteur maintenu en droit Sénégalais

B. Les perspectives de la conception évolutive de l’originalité : tendance d’un retour à l’orthodoxie

81. – La faiblesse de l’objectivation de l’originalité comme point de départ du retour aux sources. Si, contrairement au droit sénégalais, l’originalité des bases de données a connu en France certaines tentatives d’adaptation, il n’en demeure pas moins que la plus part d’entre elles ont été considérées comme de véritables « dérives » au regard du rapport fondamental de la propriété littéraire et artistique314. La diversité des propositions qui ont accompagné ces efforts ainsi que l’hétérogénéité des concepts utilisés pour donner un contenu à l’originalité d’une base témoignent de la faiblesse de l’assise d’une conception évolutive de l’originalité.

Dans la recherche d’un critère d’objectivation, une certaine partie de la jurisprudence française a semblé maintenir quelques confusions de genres du fait d’un rapprochement avec d’autre système de protection tel que la propriété industrielle. Il en est ainsi par exemple lorsque des corrélations étaient faites entre l’originalité et la nouveauté par exemple315. Il s’agit à notre sens d’une pratique volontaire, mais dictée par le fait de pressions multiformes d’une industrie de l’information plus soucieuse de la préservation des investissements consentis pour la réalisation des produits informationnels tels que les bases de données.

314 V. supra, n° 79.

315 C’est le cas notamment lors que la jurisprudence considère a contrario que l’originalité exclut la reprise d'éléments du domaine public, donc exige une certaine nouveauté (CA Paris, 15 janvier 1997 : JurisData n° 1997-022369 ; Lamy dr. informatique 1997, bull. A, n° 92, p. 4 ; RD propr. intell. 1997, n° 73, p. 27.

141 Si les mutations générées par l’approche évolutive de l’originalité cadrent bien avec le souci de prendre en charge les exigences commerciales ou économiques des producteurs de base de données, elles peuvent aussi être la source d’une instabilité dans le système de protection du droit d’auteur dont les objectifs premiers demeurent la préservation et la promotion de la créativité. Ces ambitions traditionnellement reconnues à la propriété littéraire et artistique ne devraient pas être supplantées par des visées qui se limitent à la promotion des investissements dans le secteur des œuvres de dernière génération au rang desquels figurent les compilations et recueils.

82. – Les enjeux de la rupture pour un retour aux principes traditionnels. Dans cette optique d’adaptation de la condition principale pour l’accession des bases à la protection par le droit d’auteur, il y a lieu de considérer les enjeux liés à la pérennisation de tous les éléments qui fondent la confiance en un système de protection juridique. Même pour les bases de données, le concept d’originalité doit pleinement contribuer à rendre le droit d’auteur suffisamment protecteur des intérêts des auteurs et de la société destinataire de l’œuvre. Il doit en outre contribuer à faire du droit d’auteur un système prévisible grâce à des critères objectivement identifiables et qui permettent de caractériser l’originalité sans équivoque, indifféremment du type de création en présence. Le souci de prévisibilité emporte celui de la sécurité juridique.

L’évolution du concept d’originalité dans le droit français ne doit pas faire obstacle à la perspective d’harmonisation des règles de la propriété littéraire et artistique aux plans communautaire et international. Elle doit même concourir à sa réalisation.

83. – Les manifestations de la tendance d’un retour aux sources. Le premier scenario qui vient à l’esprit lorsque l’on envisage la question de l’originalité des bases de données est celle de la conception classique. Il présente certes plus de rigueur quant à l’acceptation des bases comme objet protégeable, mais s’attache aux valeurs et principes fondamentaux du droit d’auteur. Ce scenario met en avant un critère de l’originalité certainement délaissé par moment, mais qui n’est pas sans présenter un intérêt pour la jurisprudence française et demeure en vigueur en droit sénégalais.

L’autre scénario emprunté à l’affaire Pachot pour donner un contenu à la notion d’originalité des bases de données a connu beaucoup de succès au point d’être transposé dans certaines réglementations sur ces outils informationnels. La solution de

142 l’objectivation de l’originalité qu’il offre a semblé comme une option facilitant l’accès des bases à la protection par le droit d’auteur. Ce scenario a en effet permis de mettre en cohérence le droit de la propriété littéraire et artistique avec les nouvelles créations inhérentes à l’ère du numérique notamment.

Une analyse de la jurisprudence, à partir des deux grands scenarios sus présentés, révèle une certaine tendance au retour vers la conception classique de l’originalité pour les bases de données. La dernière décision de la Cour de justice de l’Union Européenne qui, en la matière, date du 1er mars 2012 en est une confirmation. Selon l’arrêt du juge européen, la protection de la base de données par le droit d'auteur est subordonnée à la condition « que le choix ou la disposition des données qu'elle contient constitue une expression originale de la liberté créatrice de son auteur »316. Si le juge ne fait pas référence de manière expresse à l’empreinte de la personnalité de l’auteur, il s’emble néanmoins écarter toute référence aux « efforts intellectuels » et « savoir-faire » consacrés à la création desdites données et renfermant une certaine touche d’objectivation de l’originalité. Il reconnaît même l’indifférence du travail et du savoir-faire ajoutés pour la constitution de la base. Si tous ses éléments demeurent exclus, seule la marque de la personnalité de l’auteur, appréciée au regard du choix ou de la disposition des matières, permettra de déterminer l’originalité recherchée pour la base de données.

Bien avant cette décision importante de la Cour de justice européenne en l’espèce, la Cour d’Appel de Paris s’était quelque fois prononcée en faveur de l’acception classique de l’originalité pour des bases de données en affirmant que la compilation utilitaire porte bien la marque de la personnalité de l'auteur317. Elle a aussi eu à considérer que « ni ces classements et mentions, ni la présentation graphique des pages consacrées aux annonces, disposées sur trois colonnes dans des caractères typographiques courants, faisant apparaître en majuscules ou en gras les titres ne caractérisent une création

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CJUE, 1er mars 2012, aff. C-604/10, Football Dataco Ltd et a. c/ Yahoo ! UK Ltd et a. : RIDA 2/2012, p. 337, obs. P. Sirinelli ; Comm. com. électr. 2012, comm. 47, note C. Caron ; A&M 2012/4, p. 331 ; Propr.

industr. 2012, comm. 75, obs. J. Larrieu ; Propr. intell. 2012, p. 421, obs. V.-L. Benabou

317 CA Paris, 4e ch., 14 janv. 1983 : D. 1983, inf. rap. p. 510, obs. crit. Colombet. - CA Paris, 4e ch., 27 nov. 1986 : JurisData n° 1986-028715. - CA Paris, 4e ch., 6 mai 1987 : RIDA 4/1987, p. 204

143 originale, témoignant d'une inspiration personnelle »318.

Près de sept ans après l’adoption de la loi de transposition de la directive sur la protection des bases de données, le juge français a considéré qu’ « une œuvre se présentant sous la forme d'un recueil de données diverses appartenant au domaine public, ne peut se voir conférer le caractère d'œuvre protégeable, au sens de l'article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle, qu'autant que le travail de sélection et de classement des informations comme leur présentation reflètent la personnalité de l'auteur »319.

En France, le retour à la conception classique de l’originalité entendue comme l’empreinte ou la marque de la personnalité de l’auteur se dessine comme une tendance. Dans une logique de nivellement, celle-ci se rapproche ainsi de la législation sénégalaise sur la question de l’originalité des bases de données. La tendance vers un retour à la conception classique de l’originalité se justifie d’autant plus qu’il existe des mécanismes de protections différents de ceux du droit d’auteur, pour des bases de données. Il en est ainsi du droit de la concurrence320 ou du droit sui generis321 des bases de données qui se présentent comme des solutions alternatives pour les bases de données ne répondant pas aux exigences du droit d’auteur.

Section 2 : La convergence de vue autour du critère d’appréciation de l’originalité 84. – Un critère identique d’appréciation de l’originalité d’une base de données. La loi n° 98-536 du 1er juillet 1998 portant transposition en droit français de la directive européenne du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données et la loi sénégalaise n° 2008-09 du 25 janvier 2008 sur le droit d’auteur et les droits voisins ont défini un critère identique d’appréciation de l’originalité d’une base de données. Si

318 CA Paris, 4e ch., 18 juin 1999 : RIDA 1/2000, p. 316 ; Gaz. Pal. 19-20 juill. 2000, p. 45, obs. A.-L. Caquet ; Comm. com. électr. 1999, comm. 21, 3e esp., obs. C. Caron.

319

CA Paris, 4e ch. A, 30 mars 2005 : Propr. intell. 2005, n° 16, p. 335 :

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V. infra n° 21 et 56

144 en ce sens, une certaine divergence a été notée quant à la détermination du contenu à donner à la notion d’originalité, le critère d’appréciation de cette notion dans le domaine des bases constitue, pour ces deux législations, un point de convergence. En France comme au Sénégal, l’originalité d’une base de données, qui peut avoir un contenu différent selon le pays, s’apprécie au regard du choix ou de la disposition des matières qui composent la base de données.

Cette convergence de vue quant au critère d’appréciation se retrouve également aux échelons communautaires et internationaux intéressant les deux Etats. L’Accord de Bangui reconnaît la qualité d’œuvres protégeables aux bases de données « qui, par le choix, la coordination ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles »322. La Directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données, l'Accord de l'OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), ainsi que le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur adopté à Genève le 20 décembre 1996 consacrent également de manière unanime le critère d’appréciation de l’originalité au regard du « choix ou de la disposition des matières ».

Le choix ou la disposition des matières constituent ainsi deux éléments sur la base desquels est déterminée l’existence soit de l’empreinte de la personnalité de l’auteur soit de l’apport intellectuel de ce dernier : tout dépendra selon que l’on applique le droit français ou le droit sénégalais.

Comme sa formulation le suggère avec la mise en évidence de la conjonction « ou », la mise en œuvre du critère du « choix ou de la disposition des matières » s’opère de façon alternative. Une base de données, originale par le seul choix des éléments qui la composent, accède à la protection au titre du droit d’auteur. Il en est de même lorsque l’activité créative de son concepteur ne s’est dévoilée qu’à travers la disposition, l’agencement ou la coordination de ces mêmes éléments. A fortiori, une compilation qui parvient à refléter l’originalité aussi bien à travers le choix qu’à travers la disposition n’en

322 Cf. article 6.1)ii) de l’Annexe VII de l’accord portant révision de l'accord de Bangui du 2 mars 1977 (entre en vigueur le 2 mars 1982) instituant une Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI).

145 sera que davantage réconfortée sous le couvert du droit d’auteur.

85. – Axes de réflexion. Si aujourd’hui l’ambition que traduisent les législations française et sénégalaise de s’aligner aux normes et standards internationaux en matière de protection des bases de données, pourrait justifier pleinement la convergence de vue de ces deux pays sur l’adoption du critère, il nous semble tout de même plus approprié d’en mesurer toutes les implications. L’évaluation du « choix ou de la disposition des matières », selon une démarche stratégique permettra ainsi de faire ressortir les différents atouts qui confortent l’adhésion des deux législations au critère (§1). Elle permet, dans la même foulée, de dévoiler les limites qui peuvent militer en faveur de son réajustement voire de son abandon total (§2).

Paragraphe 1 : Les atouts renforçant l’adhésion au critère du « choix ou à la disposition des matières »

86. – Origines et justifications de la solution. Si les bases de données ont été admises à la protection au titre du droit d’auteur, c’est avant tout sur le fondement d’une analogie faite avec les anthologies et recueils d’œuvres littéraires ou artistiques tels que les encyclopédies. A ce propos, la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques avait déjà posé les jalons permettant de fédérer les législations autour d’un critère spécifique de protection de ses œuvres dérivées. Les anthologies ou autres encyclopédies ne pouvaient ainsi bénéficier des faveurs du droit d’auteur qui s’ils étaient originaux par « le choix ou la disposition des matières »323.

Si aujourd’hui la solution applicable aux anthologies a été étendue aux bases de données, il convient de rechercher le bien-fondé de l’adhésion des législations française et sénégalaise à cette orientation. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette convergence de vue autour du critère du « choix ou de la disposition des matières » comme clé de la protection des bases de données. Dans un souci de rationalité, l’ensemble de ses éléments peut être classé de façon méthodique suivant le prisme de la pertinence (A) d’une part et

323 Cf. art. 2 de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, Acte de Paris du 24 juillet 1971 modifié le 28 septembre 1979.

146 celui de la cohérence d’autre part (B).

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