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La pertinence du critère du « choix ou à la disposition des matières »

Paragraphe 1 : Le critère classique de la marque de la personnalité de l’auteur maintenu en droit Sénégalais

A. La pertinence du critère du « choix ou à la disposition des matières »

87. – Les constats relatifs à la pertinence du critère. La pertinence du critère du « choix ou » de « la disposition des matières » peut être démontrée en mettant en exergue deux constats. D’abord, le critère visé assure au profit des bases de données une extension du champ du droit d’auteur. Ensuite, il garantit une protection à l’apport créatif du concepteur de base de données.

88. – Le champ du droit d’auteur étendue aux bases de données. Lorsque la question de la protection des bases de données s’est posée, le recours au droit d’auteur a semblé offrir plus de garantie en termes de sécurité juridique et de préservation de l’équilibrage des intérêts en présence.

De l’avis des experts de l’OMPI324, la protection des bases de données par la propriété intellectuelle constitue une nécessité, notamment à l’ère de l’économie numérique et des savoirs partagés. Plusieurs arguments ont été avancés pour soutenir cette thèse. La protection par le droit d’auteur serait ainsi un moyen efficace de promotion de l’innovation et de l’investissement dans les produits d’information à l’instar des recueils d’œuvres ou de données diverses. L’acceptation des bases de données sous le giron du droit d’auteur encouragerait en effet la diffusion de larges éventails de compilations en ligne ou hors réseau, dont un grand nombre ont une dimension culturelle et scientifique importante. Il faut en effet convenir que le droit d’auteur joue un rôle déterminant dans la promotion de la créativité littéraire et artistique tout en participant à l’enrichissement du patrimoine culturel au profit du public.

Faut-il le rappeler, l’objet du droit d’auteur est d’assurer la rémunération des auteurs, de leur permettre la maîtrise et le contrôle de leurs œuvres et, par là de favoriser la production

324 Voir Mémorandum du Bureau international de l’OMPI sur Les législations nationales et régionales en vigueur concernant la propriété intellectuelle en matière de bases de données, Réunion d’information sur la

propriété intellectuelle en matière de bases de données,

147 de biens intellectuels325. La protection par la propriété littéraire et artistique vise aussi à assurer une sécurité juridique suffisante aux investisseurs et utilisateurs et à garantir l’accès dans des conditions appropriées. La sécurité juridique favoriserait ensuite le développement du secteur des bases de données avec des retombées positives pour la société dans son ensemble.

Pour parvenir à une extension du champ du droit d’auteur aux bases de données, le défi majeur a été d’identifier une clé de la protection qui tienne compte de l’ensemble des objectifs et finalités du droit d’auteur. La pertinence du choix ou de la disposition des matières comme critère de la protection doit ainsi être mesurée à l’aune de sa capacité à permettre au droit d’auteur de remplir ses fonctions classiques dans le domaine des bases de données.

Il faut d’abord relever que l’apport intellectuel, la contribution créative du concepteur de base de données ou encore sa créativité ne peuvent se manifester dans ce type d’œuvre qu’à travers le choix ou la disposition des matières, si l’on analyse la genèse ainsi que la structuration d’une base de données. Que ce critère soit d’application cumulative ou non relève d’une question de choix de politique législative, mais il permet dans tous les cas d’établir un lien entre l’auteur, la création et le système de protection. C’est sans doute dans cette logique que la directive 96/9/CE du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données s’est voulue très restrictive par rapport au critère à prendre en compte. Le texte communautaire prévoit en effet qu’aucun autre critère ne s'applique pour déterminer si les bases de données peuvent bénéficier de cette protection326.

Le critère du choix ou de la disposition des matières permet ainsi de circonscrire le domaine d’intervention de l’auteur de la base. A partir de là, le jeu d’équilibrage des intérêts devient facile à faire. Seul ce qui relève du choix ou de la disposition des matières pourra ainsi faire l’objet d’un monopole d’exploitation au profit du concepteur de la base. Le contenu informationnel ou tout autre élément du contenu tombé dans le domaine public, par exemple, et n’étant pas le fruit de l’activité créative de l’auteur reste de libre

325

Xavier Linant de Bellefonds, Droits d’auteur et droits voisins, Paris, Dalloz, 2002, p 193

326 Voir article 3.1 de la Directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données, JO n° L 077 du 27/03/1996 p. 0020 – 0028.

148 parcours. Lorsque la base de données est alimentée d’œuvres préexistantes, la répartition des droits entre l’auteur de la base, œuvre dérivée et le ou les auteurs des œuvres premières devient évidente si l’on se réfère au critère de protection retenu par les législations française et sénégalaise.

89. – La protection de l’apport créatif du concepteur de base de données garantie. La pertinence du critère du choix ou de la disposition des matières réside en outre en ce qu’il permet de garantir, de façon adéquate, une protection de l’apport créatif du concepteur de base de données. Si l’originalité est la pierre angulaire du droit d’auteur et que celle-ci ne se manifeste, dans le domaine des bases de données, qu’à travers le choix ou la disposition des matières, le critère de protection défini pour ces outils informationnels devrait pleinement assurer une protection de la création intellectuelle de l’auteur lorsque cette dernière est caractérisée.

Pour rappel, la clé de la protection orientée vers le « choix » ou la « disposition » bénéficie très souvent d’une interprétation assez libérale auprès de la jurisprudence, notamment. Pour preuve, une décision du tribunal de grande instance de Lyon327, appréciant l’originalité d’un recueil de conventions collectives, a mis en avant « la présentation, la répartition en rubriques, la mise en page et la synthèse » des données de base du domaine public. L’objet de la décision était pourtant de voir si la base en question pouvait être considérée comme une œuvre protégeable, par application de l'article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu'issu de la loi de 1998. Les expressions « organisation » et « classification » ont aussi été utilisées pour traduire le critère de protection défini à l’article L. 112-3. Le juge français a déjà retenu qu'une base de données de produits pharmaceutiques, comportait « un apport intellectuel caractérisant une création originale au regard de l'organisation et de la classification mises en œuvre »328. Les « paramètres d'identification et de classification »329 ont même été invoqués par les instances judiciaires pour justifier la protection du droit d'auteur pour un catalogue qualifié

327

TGI Lyon, 28 déc. 1998 : RIDA juill. 1999, p. 325 ; RTD com. 1999, p. 866, obs. A. Françon

328 CA Paris, 9 sept. 2005 : JurisData n° 2005-297322 ; RDLI janv. 2006, n° 339, note C. Le Gal et N. Martin.

149 d'anthologie.

Quoi qu’il en soit, la clé de la protection ainsi définie permet aussi de faire bénéficier à l’ensemble base de données, des faveurs du droit d’auteur. Comme précisé330, il s’agira d’une protection limitée à la structure et non au fonds documentaire relevant d’un autre régime juridique.

Pour mettre en évidence l’apport créatif de l’auteur d’une anthologie ou d’un recueil d’œuvres diverses, la logique mise en avant par Desbois331 peut être étendue à toutes les bases de données. Pour cet auteur, la proposition selon laquelle les anthologies ou recueils d’œuvres diverses qui par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles doit être regardée comme la réciproque de celle qui admet les traducteurs à la vocation d’auteur d’une œuvre de seconde main. Il suffit en effet à l’auteur d’une traduction de révéler sa personnalité ou bien dans l’expression ou bien dans la composition. Son intervention se résume à choisir entre plusieurs expressions celle qui lui paraîtra correspondre le plus exactement au sens des vocables étrangers. La mission assignée au traducteur, qui consiste à fixer des choix, comporte selon Desbois le risque de contresens, d’un échec donnant prise à sa personnalité. Le même constat demeure pour les anthologies.

Celui qui publie en effet un recueil d’œuvres, a opéré des sélections qui portent chacune la marque de ses préférences, de son apport intellectuel ou l’empreinte de sa personnalité, si l’on préfère. La raison est que cet exercice de sélection est guidé par les idées personnelles, les goûts et les préférences de l’auteur de l’anthologie. Ce fût également l’avis de la chambre criminelle qui admettait dès 1869 l’extension du droit de propriété à des « ouvrages, dont les éléments bien qu’empruntés à des publications antérieures, ont été choisis avec discernement, disposé dans un ordre nouveau, revêtus d’une forme nouvelle et appropriée avec intelligence à un ouvrage plus ou moins général »332.

330 V. supra, n° 18.

331

Henri Desbois, Droit d'auteur en France, op. cit., n° 29 p. 41.

150 Lorsque l’on est en présence d’une base de données dont la conception repose sur une sélection subjective (base profilée), celle-ci doit être protégeable au titre du droit d'auteur. Le postulat est confirmé par la jurisprudence française333, qui considère que le recueil traduisait « un effort personnalisé de choix, de la part de celui qui l'a réalisée » et constituait donc une « création intellectuelle » protégeable au titre du droit d'auteur. Une consécration communautaire du critère du choix est également a relevée à travers l'arrêt Infopaq du 16 juill. 2009334. Selon la Cour de justice de l'Union européenne « ce n'est qu'à travers le choix, la disposition et la combinaison de ces mots qu'il est permis à l'auteur d'exprimer son esprit créateur de manière originale et d'aboutir à un résultat constituant une création intellectuelle ». Deux ans plus tard, cette même Cour335 affirme qu’un auteur qui exprime « ses capacités créatives lors de la réalisation de l'œuvre en effectuant des choix libres et créatifs » conçoit une œuvre originale constitutive d’« une création intellectuelle propre à son auteur », et qui « reflète la personnalité de celui-ci ». Outre son caractère conciliant qui allie conception traditionnelle et approche évolutive de l’originalité, la démarche met en avant la pertinence du critère du choix lorsqu’il est question de déterminer le caractère protégeable d’une œuvre comme la base de données et, par de là, l’apport créatif de son auteur.

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