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Paragraphe 2 : La protection spécifique des outils de fonctionnement de la base de données

A. Le mutisme du droit sénégalais quant au sort des outils techniques

35. – L’absence d’une distinction entre les éléments techniques constitutifs de la base. La législation Sénégalaise, à travers les dispositions de l’article 8 de la loi du 25

130 Michel Vivant, « Recueils, bases, banques de données, compilations, collections... : l'introuvable notion » : D. 1995, chron. p. 197.

67 janvier 2008, s’est limitée à poser le principe de la protection des bases de données. Elle n’établit pas, en effet, les distinctions souvent opérées par les lois étrangères132 entres les différents logiciels et outils techniques qui permettent de rendre opérationnelle une base de données.

Pour rappel, l’alinéa 3 de l’article 8 précité dispose que « Sont également protégés (…) les bases de données, qu'elles soient reproduites sur support exploitable par machine ou sous toute autre forme, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des œuvres originales ». La seule distinction qui ressort de cette disposition est sans conséquence sur l’applicabilité du droit d’auteur. En ce sens, la loi de 2008 vise aussi bien les bases de données électroniques que les bases de données analogiques ou sur support papier. L’objectif recherché à travers cette formulation est d’élargir le champ de la protection à toutes les catégories de bases de données quelle que soit leur nature. En s’intéressant aux bases de données électroniques, l’on s’aperçoit que leur réalité est beaucoup plus complexe que les bases de données sur support papier et par conséquent nécessite un régime juridique assez particulier. Telle n’est toutefois pas l’approche suggérée par le mutisme du législateur sénégalais sur la question. Le texte de l’article 8 semble en effet poser une démarche globale consistant à appréhender les bases de données comme une réalité indivisible, qu’elles soient électroniques ou non.

Le flou annoncé réside particulièrement dans l’absence de définition précise du mot « matières » qui renvoie à l’objet du « choix » ou de « disposition ». En droit comparé, la lecture du considérant 21 de la directive européenne sur la protection des bases de données133 permet de donner un sens au terme « matières ». Le concept peut en effet

132 A titre d’exemple, il est possible de rappeler que dans la seconde mouture du projet de directive européenne (1993), la version anglaise parlait de « collection of … matérials » et d’ « electronic materials ». C’est le cas également de la version anglaise des ADPIC (les TRIPs) qui évoque les notions de «

compilations of data or other materials », le texte français du projet de directive européenne de 1993

opposait bien les « éléments électroniques » aux « matières » disposé dans la base.

133

Le considérant n° 21 de la Directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données (Journal officiel n° L 077 du 27/03/1996 p. 0020 – 0028) précise : « considérant que la protection prévue par la présente directive se réfère aux bases de

données dans lesquelles des œuvres, des données ou d'autres éléments ont été disposés de manière systématique ou méthodique; qu'il n'est pas requis que ces matières aient été stockées physiquement de manière organisée; »

68 renvoyer aux œuvres, données ou autres éléments qui forment le contenu de la base de données, son fonds documentaire. Or, pour une base de données numérique, les éléments électroniques, qui contribuent à asseoir l’architecture de la base, ne sont en rien assimilables aux « matières » collectées, compilées, qui font le noyau dur de la base. Cette particularité des bases de données numériques a été bien comprise et mise en exergue par le texte d’harmonisation du droit des bases de données dans l’espace de l’Union européenne134. C’est tout le contraire du droit sénégalais qui, en posant le principe de la protection des bases de données, ne semble pas avoir pris en compte les différents objets de droit que renferment ces recueils.

Il est utile de rappeler tout de même que la protection des logiciels au titre du droit d’auteur a été consacrée par la loi n° 2008-09. Dans la liste énonciative des œuvres de l’esprit protégeables établie à l’article 6 de la loi de 2008, figurent en première place les « œuvres du langage, qu’elles soient littéraires, scientifiques ou techniques, y compris les programmes d’ordinateurs, et qu’elles soient écrites ou orales »135. Cependant et même sil n’y a aucune contradiction en ce sens, le législateur sénégalais n’a identifié aucune connexion entre les programmes d’ordinateur ou logiciel et les bases de données. La jurisprudence sénégalaise, encore très rare dans le domaine des bases de données, n’apporte pas de précision sur les différentes composantes de ces outils informationnels susceptibles de protection. Les quelques décisions observées136 portent d’ailleurs principalement sur des recueils ou des compilations élaborés sur support papier.

L’approche du législateur sénégalais qui témoigne d’un flou juridique n’est pas sans conséquence particulière sur le régime de la protection des bases de données au Sénégal. 36. – Sur le sort des logiciels contenus dans la base de données. Au sens du droit sénégalais, le régime de protection des logiciels permettant l’exploitation d’une base de

134

Une lecture combinée des considérants 20 et 23 de la Directive 96/9/CE témoigne en effet de l’effort du législateur européen d’appréhender de façon structurale l’objet complexe base de données.

135

V. article 6 de la loi 2008-09 du 25 janvier 2008 sur le droit d’auteur et les droits voisins au Sénégal.

136 Tribunal Régional Hors Classe de Dakar, 25 septembre 2007, Momar Talla SOCK c/ Chambre de Commerce d’Industrie et d’Agriculture de Dakar, Jugement civil n° 1720.

69 données ne semble pas poser de difficulté. Dès lors qu’une dissociation entre la base de données et les logiciels qui la font fonctionner est possible, l’application des principes du droit d’auteur aux seconds demeure aisée, au titre de la loi de 2008. Assimilés aux œuvres du langage, les logiciels pourront bénéficier de toutes les faveurs de la propriété littéraire et artistique en tant qu’entité autonome, ou même s’ils sont considérés comme accessoire à une autre œuvre : la base de données137. Il faut en déduire alors que le régime de protection institué par la législation sénégalaise pour les bases de données ne s’étend pas au programme d’ordinateurs ou aux logiciels utiles à son fonctionnement.

Pour conforter cette position, l’on pourrait adapter le raisonnement de Philippe Gaudrat138 au contexte ; celui-là même qui consiste à récuser toute assimilation de la « base de connaissance à un accessoire du logiciel ». La première raison invoquée par l’auteur est relative à l’identification de l’auteur du logiciel. Dans bien des cas en effet, le concepteur d’une base de données ne sera pas nécessairement le créateur du logiciel, qui dès lors devra être importé et adapté à la base. L’extension du régime de protection prévu pour la base au logiciel risque de perdre sa logique et son fondement. Le second élément du raisonnement avait été évoqué plus haut139 et tient au type de langage utilisé pour chacun des deux objets de protection et qui les rend distincts aussi bien substantiellement que fonctionnellement. Ainsi, si la base de données est conçue à partir d’un langage naturel, le logiciel, pour sa part, se conçoit sur la base d’un langage de programmation.

En somme, si l’on considère notamment les éléments de dissociation entre la base de données et les logiciels qui y sont incorporés, l’extension du régime de protection de la première aux seconds serait dépourvue de toute cohérence. Il faut alors retenir que le droit d’auteur dont bénéficient les bases de données au sens de l’article 8 de la loi de 2008 ne s’étend pas aux logiciels ou programmes d’ordinateur qui ont été installés dans la base pour faciliter son exploitation ou son utilisation.

137 Philippe Gaudrat, « Donnée documentaires », Jurisclasseur commercial, Droit des entreprises, Fasc. n° 90.

138

Idem.

70 37. – Sur le sort des thésaurus et systèmes d'indexation contenus dans la base de données. Face au silence de la législation sénégalaise sur le sort des thésaurus et systèmes d'indexation indispensables à l’utilisation d’une base de données, il est possible d’envisager deux hypothèses afin de déterminer le régime juridique applicable à ces outils d’interrogation.

38. – La première hypothèse se fonde sur le caractère dérivé de l’œuvre base de données et sur la possibilité de considérer les outils d’interrogation comme des œuvres préexistantes.

Il ne s’agit pas dans cette démonstration d’assimiler les outils techniques aux éléments collectés pour constituer le fonds documentaire de la base. La matière qui forme le contenu de la base140 peut résulter d’œuvres originales et donc bénéficier de la protection du droit d’auteur indépendamment de celle pouvant être reconnue à la base de données. Elle peut également résulter de simples informations ou de données brutes libres de tout droit.

Si l’on considère les thésaurus et systèmes d'indexation comme des œuvres préexistantes, ils bénéficieront d’une protection indépendante de celle accordée à la base. En d’autres termes, il ne s’agira pas, comme le suggèrent les principes de la directive européenne141, d’étendre la protection du « choix ou de la disposition des matières » à ces outils techniques. Une telle démarche (celle de ladite directive) repose sur le postulat selon lequel l’architecture de la base intègre les outils de fonctionnement de celle-ci.

Dans le cas où ils sont envisagés comme des œuvres préexistantes, les outils techniques doivent être distingués du contenant de la base même s’ils contribuent à asseoir cette architecture. Le fondement textuel de l’application d’une protection distincte de celle de la base de données réside dans l’article 15 de la loi 2008-09. Le texte précise expressément que « le droit d’auteur sur l’œuvre dérivée visée à l’article 8 s’exerce sous réserve du

140 V. infra, n° 42 et s.

141Selon le considérant n°20 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données « la protection prévue par la présente directive

peut s'appliquer également aux éléments nécessaires au fonctionnement ou à la consultation de certaines bases de données, tels que le thésaurus et les systèmes d'indexation ».

71 droit d’auteur auquel donne prise l’œuvre préexistante »142. A l’état actuel du droit sénégalais, il faut considérer que les outils d’interrogation sont protégés de la même façon que les données traitées ou toute œuvre originale engrangée dans la base de données. Par conséquent, ces outils techniques, dans l’hypothèse où ils remplissent la condition d’originalité, pourront bénéficier d’une protection spéciale ou distincte de celle de la base de données au titre du droit d’auteur. De la sorte, lorsque les outils d’interrogation sont réalisés et adaptés à une base de données par un auteur différent, le producteur de la base devra aussi en acquérir les droits.

Malgré le fait qu’ils soient des outils à fonction technique, les thésaurus et systèmes d'indexation peuvent en effet constituer des créations de forme et, comme telles, être examinés comme objets de droits. Comme la plupart des éléments fixés dans une base de données, ils ne posent en eux-mêmes aucun problème particulier. C’est dire simplement que les documents d’utilisation ou outils d’interrogation (thésaurus, manuels d’utilisation...), comme la plupart des éléments fixés dans une base de données, devraient pouvoir, individuellement, bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur selon leur degré d’originalité. Toute la question est là ; le concepteur des outils d’interrogation devrait être amené à suivre une certaine logique ou un mécanisme prédéfini pour mettre sur pied son œuvre. C’est dans ces mêmes conditions qu’un dictionnaire, ouvrage très fonctionnelle et proche d’un lexique ou d’un thésaurus, a pu jouir de la protection du droit d’auteur après avoir été reconnu comme œuvre originale. Si l’on raisonne par analogie, l’admission d’une protection spécifique des outils d’interrogation peut ne pas être regardée comme une hypothèse d’exception.

Sous un autre angle, la protection spécifique demeure envisageable si l’on considère les outils d’interrogations comme éléments protégés d’un tout, la base de données. Il faudrait alors dans ce cas que la base de données soit elle-même tenue pour une œuvre « complexe », composite au sens ordinaire du terme (corpus, lexique, thésaurus, logiciel d’interrogation même...). Une telle option avait été recommandée pour la première fois

72 par Michel Vivant au colloque de l’IRPI du 27 novembre 1986143. Mais, l’option en question ne visait que les bases de données électroniques. Si l’on se base sur la définition alors retenue par le projet de directive européenne sur la protection des bases de données de 1992, une base de données était en effet considérée comme incluant des éléments électroniques. Dans le texte finalement adopté et repris en droit français ont été en définitive visées les bases de données électroniques ou non : celles dont les données sont aussi accessibles « d’une autre manière » (fichier papier, journal, collection). Pour M. Vivant, cette indifférence dans la forme des bases de données ne manque pas de se traduire par une rupture notionnelle, source de déséquilibres dans le texte.

L’option d’une protection des outils techniques comme éléments protégés d’un tout souffrirait malheureusement d’un défaut de cohérence avec la législation en vigueur au Sénégal. En effet, si l’œuvre composite avait été reconnue par la loi n° 73-52 du 4 décembre 1973 relative à la protection du droit d’auteur144, le concept n’a toutefois pas été reconduit par la loi du 25 janvier 2008 sur le droit d’auteur qui abroge la première. L’hypothèse d’une protection spécifique ou séparée des thésaurus et systèmes d'indexation recèle toutefois quelques inconvénients. Ceux-ci tiennent aux droits distincts attachés à ces outils techniques et dont l’exercice par le titulaire pourrait affecter la stabilité et l’exploitation paisible de la base de données ; étant entendu que ces outils sont indispensables au fonctionnement ou à la viabilité de la base. En effet, le créateur des outils d’interrogation peut choisir d’en conserver la maîtrise, voir se réserver la possibilité d’une exploitation ultérieure. L’exercice de son droit moral, par l’auteur des outils techniques, peut aussi être contraignant pour le créateur ou le producteur de la base de données. En effet, en vertu du droit moral, le créateur de l’outil d’interrogation original peut notamment invoquer le droit au respect de son œuvre145, en revendiquer la

143 Vivant M., Banques de données et droit d'auteur, Actes du Colloque de l'Institut Henri Desbois, nov. 1986, Litec, 1987.

144 Aux termes de l’article 5 de la loi n° 73-52 du 4 décembre 1973 relative à la protection du droit d’auteur, l’ « œuvre composite » s’entend d’une œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière.

145

Aux termes de l’article 31 de la loi 2008-09 du 25 janvier 2008, « l’auteur a droit au respect de l’intégrité

73 paternité146 ou encore mettre en œuvre son droit de repentir147. La solution qui permet d’atténuer ces contraintes réside dans la voie contractuelle148. Elle permet de concilier adéquatement les souhaits de l’auteur des outils techniques avec ceux du producteur de la base, s’il n’en est pas déjà le concepteur. Ce dernier peut, par cette voie, conserver une certaine liberté d’adaptation et de mise à jour des outils sans pour autant en avoir une propriété pleine et entière.

39. – La seconde hypothèse voudrait que le domaine de la protection reconnue à la base de données dépasse les limites de sa structure proprement dite, pour englober les thésaurus et systèmes d'indexation nécessaires à son fonctionnement. Il ne s’agira pas alors de dénier toute protection spécifique ou séparée à ces outils techniques lorsqu’il est possible d’opérer une dissociation de ses objets de l’entité base de données, mais d’envisager une extension de la protection du « choix ou de la disposition des matières » aux outils techniques qui ont contribué à matérialiser la composition et l’arrangement des éléments engrangés dans la base. Cette hypothèse qui peut être déduite du silence de la réglementation sénégalaise dans le domaine correspond à la solution retenue dans la directive européenne et transposée dans les législations nationales des pays occidentaux. La possibilité d’une extension de la protection de la base de données aux outils techniques est confortée par la considération pouvant être fait du caractère accessoire149 des thésaurus

écrit. Nul ne doit la rendre accessible au public sous une forme ou dans des circonstances susceptibles d’en altérer le sens ou la perception ».

146 L’article 30 de la loi 2008-09 du 25 janvier 2008 dispose : « L’auteur a le droit d’exiger que son nom

soit indiqué dans la mesure et de la manière conforme aux bons usages sur tout exemplaire reproduisant l’œuvre et chaque fois que l’œuvre est rendue accessible au public. 2. Il peut exiger de rester anonyme ou d'utiliser un pseudonyme ».

147 Le droit de repentir est prévu à l’article 29 de la loi 2008-09 du 25 janvier 2008 ainsi formulé : « 1.

Nonobstant la cession de son droit d'exploitation, l'auteur, même postérieurement à la publication de son œuvre, jouit d'un droit de repentir vis-à-vis du cessionnaire. 2. Il ne peut toutefois exercer ce droit qu'à charge d'indemniser préalablement le cessionnaire du préjudice que ce repentir peut lui causer. 3. Lorsque postérieurement à l'exercice de son droit de repentir, l'auteur décide de faire publier son œuvre, il est tenu d'offrir par priorité ses droits d'exploitation au cessionnaire qu'il avait originairement choisi et aux conditions originairement déterminées. »

148

Julien Le Clainche, op cit., p. 11

149 André Lucas, « Droit des producteurs de bases de données (CPI, art. L. 112-3 et L. 341-1 à L. 343-7) »,

74 et des systèmes d’indexation par rapport au recueil. Il a été en effet déjà précisé que ces éléments, pouvant être des documents matériellement extérieurs à la base ou au fichier, constituaient des accessoires de la base de données et en facilitaient l'interrogation. Dès lors, si l’on considère que l’accessoire doit suivre le principal, l’hypothèse d’une extension de la protection de la base de données aux outils techniques garde toute sa logique.

Cependant, la pertinence d’une telle proposition est limitée par le fait que les outils techniques peuvent avoir des auteurs différents des concepteurs de la base. Dans cette condition, il ne sera ni difficile ni inopportun de les isoler de l’entité base de données. Dans tous les cas, les thésaurus et les systèmes d’indexation demeurent protégeables par le droit d'auteur, dans la mesure où ils « constituent, en eux-mêmes, des "mini" bases de données, à condition toutefois d'atteindre la condition d'originalité 150»

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