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La solution française concernant le régime juridique des outils techniques

Paragraphe 2 : La protection spécifique des outils de fonctionnement de la base de données

B. La solution française concernant le régime juridique des outils techniques

40. – La protection particulière des logiciels utilisés dans la base de données. Le législateur français a consacré depuis 1985 une protection particulière des logiciels. La tendance vers un système de protection spécifique aménagée à partir des règles de la propriété littéraire et artistique était déjà perceptible dans la jurisprudence dominante151 avant toute intervention législative. Avec la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985152, les logiciels furent ainsi expressément désignés parmi les œuvres protégeables. Il s’agissait tout simplement d’une reprise de l’article 3 de la loi de 1957 selon une formule simplifiée, à l'article L.112-2 du CPI. Certains auteurs comme M. Vivant153 ont pu voir dans cette

150 Nathalie Mallet-Poujol, « Protection des bases de données », JurisClasseur Communication, Fasc. 6080, n° 23.

151

En ce sens, il est possible de rappeler les trois premières décisions qui ont ouvert cette voie. Il s’agit : 1°) TGI Bobigny, 11 déc. 1978, Dossiers brevets 1982, VI, p. I, cité in Expertises 1982, no 39, p. 73 ; 2°) T. com. Paris, 18 nov. 1980, cité in Expertises 1982, no 39, p. 74 dans la même affaire Pachot ; 3°) CA Paris, 4e ch., 2 nov. 1982, D. 1982, I.R., p. 481, Gaz. Pal. 1983, 1, jur., p. 117, note Bonneau J.-R., Dossiers brevets 1982, VI, p. 1, PIBD 1982, no 314, III, p. 260, sur appel interjeté contre le jugement précédent.

152 Cf. loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle : JO du 4 juillet 1985, p. 7495.

75 expansion législative une simple reconnaissance académique des enjeux économiques liés à la protection des logiciels. Le résultat est alors, selon ce dernier, l’apparition d’un droit d'auteur revu et corrigé, fortement bousculé et à certains égards perverti.

L’adoption de la loi de 1985 semblait toutefois se justifier par la nécessité de faire face aux insuffisances de la loi de 1957. Cette dernière, élaborée à partir d’une conception classique et personnaliste de la propriété littéraire et artistique, ne pouvait anticiper les particularités des logiciels et prendre en considération de façon pertinente les impératifs des entreprises productrices ou utilisatrices de logiciels154. Les principales innovations de la loi de 1985 résident dans la prise en compte de ces singularités. Ces dernières tiennent à l’introduction de nouvelles dispositions particulière155 qui dérogent à celles qui forment le droit commun de la propriété littéraire et artistique. Il s’agit par exemple de la possibilité d’une dévolution par les employés à l’employeur des droits sur le logiciel, de l’interdiction de la copie privée ou encore des limites au droit moral de l’auteur au respect de son œuvre, sans oublier la condition d’originalité taillée à la mesure des programmes d’ordinateur.

En 1992, la loi française n° 92-597 du 1er juillet n’interviendra que pour parachever la codification des nouvelles règles de protection du logiciel156. Le « droit du logiciel » devient ainsi, comme le fait remarquer M. Vivant, un droit original qu'il faut appréhender comme tel. La jurisprudence a d’ailleurs confirmé cette perception en soulignant qu’il s’agissait bien d’un droit aménagé pour prendre en compte les spécificités de la création ainsi protégée157.

Il faut aussi rappeler que juste avant la loi de codification de 1992, la directive communautaire du 14 mai 1991 s’était déjà alignée la solution retenue par la loi de 1985.

154 Alain Bensoussan, Informatique Télécoms Internet, Paris, Edition Francis Lefevre, 2004, n° 7, p. 16.

155

Cf. article 45 à 51 de la loi n° 85-660, du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle.

156

Cf. loi n° 92-597 du 1er juillet 1992 : JO du 3 juillet 1992.

76 Le texte communautaire obligeait ainsi les Etats membres à légiférer, selon les mêmes principes, pour la protection des logiciels.

Le Sénégal a tenté de reproduire un système de protection spécifique au logiciel, mais n’a pas fait preuve du même niveau de précision dans la définition des règles de protection de ces programmes d’ordinateur. Si, par exemple, en matière de copie privée, des dispositions dérogatoires158 ont été aménagées, il n’en va pas de même dans la définition du critère d’originalité retenu pour les logiciels. Les programmes d’ordinateur demeurent, en effet, soumis aux conditions classiques de protection des œuvres.

Avec l’institution de règles de propriété intellectuelle dérogatoires et la consécration d’une protection spécifique au profit des logiciels, l’assimilation du régime de protection de ces derniers avec celui des bases de données devient une hypothèse difficile à envisager en droit français. A ce propos, le législateur français, à l’opposé de son homologue sénégalais s’est montré sans équivoque. L'exposé des motifs de la loi n° 98-536 du 1er juillet 1998 portant transposition dans le Code de la propriété intellectuelle de la directive 96/9/CE du 11 mars 1996 contient en effet les termes de l’exclusion de cette assimilation. Selon l’expression tirée du document parlementaire, « la protection par le droit d'auteur se réfère exclusivement à la structure de la base de données, c'est-à-dire à l'agencement des éléments du contenu. Elle ne porte, ni sur les logiciels utilisés pour la fabrication ou le fonctionnement de la base, ni sur les œuvres constituant des entités propres telles que les œuvres audiovisuelles, littéraires et musicales 159».

Il est toutefois possible de se poser la question de savoir pourquoi le législateur français n’a pas voulu insérer des dispositions claires dans le corps du texte de 1998 pour donner à la solution une valeur purement législative. Il s’agira ainsi de répercuter dans des articles précis le principe énoncé dans l’exposé des motifs. Pourtant, dans la directive communautaire du 11 mars 1996, la distinction entre la base de données et les logiciels a

158 Aux termes de l’article 40 de la loi n° 2008-09 du 25 janvier 2008 sur le droit d’auteur et les droits voisins au Sénégal, l’exception de copie privée ne s’applique pas « (…) à la reproduction d’un programme d’ordinateur »

77 été clairement posée à l’article 1.3160, dans la définition du champ d’application de ce texte. Le constat qui en ressort est un défaut d’effectivité dans la transposition des normes communautaires en matière de protection des bases de données. Un tel constat serait très visible à l’aide d’un tableau de concordance, outil méthodologique utilisé dans l’évaluation des processus de transposition des normes communautaires dans les législations nationales.

Quoi qu’il en soit, dans le CPI en vigueur, les logiciels bénéficient de dispositions spécifiques. Ils sont protégés par le droit d'auteur s'ils satisfont la condition d'originalité requise. Leur utilisation comme support à la structure d’une base de données ou comme outils facilitant le fonctionnement et l’utilisation de celle-ci ne saurait faire obstacle à l’application des dispositions spécifiques qui leur sont dédiées.

La solution française est d’ailleurs confortée au niveau communautaire par le considérant n° 23 de la directive de 1996. Si le CPI définit la base de données comme « (…) un recueil d'œuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen », le texte européen sus visé va en effet plus loin en précisant « que "le terme "base de données" ne doit pas s'appliquer aux programmes d'ordinateur utilisés dans la fabrication ou le fonctionnement d'une base de données, ces programmes d'ordinateur étant protégés par la directive 91/250/CE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur"».

Il faut alors remarquer que le texte Sénégalais de 2008 souffre du défaut de précision, à l’opposé de la réglementation française, quant au sort des logiciels engrangés dans la base de données. La loi française de 1998, forte des principes de la directive sur la protection des bases de données, donne une délimitation précise du champ d’intervention de la protection instituée pour les « anthologies ou recueils d'œuvres ou de données

160 Aux termes de l’article 1.3 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données, « La protection prévue par la présente

directive ne s'applique pas aux programmes d'ordinateur utilisés dans la fabrication ou le fonctionnement des bases de données accessibles par des moyens électroniques ».

78 diverses 161». L’avantage d’une consécration légale des modalités de protection des logiciels intégrés dans la base est d’éviter toute interprétation dans le sens d’une dissolution du régime de protection des premiers dans celui de la seconde.

A ce propos, malgré les insuffisances notées dans la législation sénégalaise quant à la détermination du régime des programmes intégrés dans la base, les règles du droit d’auteur qui s’appliquent aux logiciels rejoignent, à seulement quelques différences près, celles contenues dans les dispositions du CPI ainsi que de la directive européenne du 11 mars 1996.

Telle n’est forcément pas le cas si l’on s’intéresse au sort des thésaurus et des systèmes d'indexation dans les deux législations.

41. – L’extension de la protection admise au profit des outils techniques. Il semble aujourd’hui unanimement admis que la base de données soit un ensemble, un recueil logiquement articulé avec d’autres corpus que sont les thésaurus, lexique, ou index… dont elle est inséparable, sauf à vouloir la rendre non fonctionnelle162. C’est également l’avis de la commission européenne163 qui considère la base de données électronique, non pas seulement comme un simple recueil, une collection ou une compilation. L’institution communautaire y voit en plus un objet qui recouvre aussi et simultanément d’autres types de recueils, de collections ou de compilation que sont les thésaurus et autres éléments d’exploitations de la base. Pour revenir à sa complexité évoquée plus haut164, la base de données peut être appréhendée « comme un recueil de recueils (une collection de collections, etc.) liés entre eux par des liens logiques et une même finalité. Ou alors elle n’est rien de spécifique 165».

161 Ces expressions sont employées aussi bien à l’article L112-3 CPI français qu’à l’article 8 de la loi sénégalaise n°2008-09 en comparaison aux bases de données.

162 Michel Vivant, « Recueils, bases, banques de données, compilations, collections... : l'introuvable notion » : D. 1995, chron. n° 8.

163

Idem.

164

V. infra, n° 33.

79 Le rôle significatif joué par les outils techniques dans l’organisation des éléments et matières qui constituent le fond documentaire de la base de données les rend quasi inséparables de la structure de celle-ci. S’il est aisé de distinguer les thésaurus et les systèmes d’indexation des logiciels166 qui intègrent également la base, leur utilité technique dans l’exploitation des données recueillies ainsi que leur intervention dans la matérialisation du « choix ou de la disposition des matières » militent en faveur de leur assimilation aux éléments qui fondent l’architecture même de la base. Etant, en effet, des accessoires de la base de données, les outils techniques peuvent se présenter sous forme de documents matériellement extérieurs à la base et en faciliter pour autant l'interrogation. Les thésaurus, systèmes d’indexation, dictionnaires, lexiques et autres outils assimilés rendent possibles la recherche dans le corpus documentaire. Ils ont été conçus pour inventorier et cataloguer les éléments ou concepts qui composent le fond informationnel de la base de données. Ces éléments techniques constituent ainsi des outils indispensables pour l'utilisateur. Ils mettent à la disposition de ce dernier des possibilités infinies de rechercher ou d’exprimer les différents concepts qui l’intéressent. En outre, à travers leurs fonctions, les thésaurus et systèmes d’indexation rendent perceptibles, auprès de l’utilisateur, la composition, l’arrangement et l’organisation des données collectées et compilées dans la base. Il serait même tentant d’affirmer que c’est à travers ses outils techniques que s’exprime le « choix ou la disposition des matières » d’une base de données.

L’étroitesse des liens entres les outils techniques et l’architecture de la base de donnée n’a pas empêché cependant les rédacteurs de la directive du 11 mars 1996 d’envisager pour les thésaurus et systèmes d’indexation une protection séparée de celle de l’ensemble base de données. Les règles spécifiques applicables aux bases de données demeurent néanmoins applicables à ces outils techniques considérés comme des « mini 167» bases de données. La formule qui ressort du considérant n° 20 de la directive de 1996 est d’ailleurs assez explicite : « (…) la protection prévue par la présente directive peut s'appliquer également aux éléments nécessaires au fonctionnement ou à la consultation de certaines

166

Idem.

167 Nathalie Mallet-Poujol, « Protection des bases de données », JurisClasseur Communication, Fasc. 6080, n° 23.

80 bases de données, tels que le thésaurus et les systèmes d'indexation ». Il convient alors de comprendre à travers ce considérant que le thésaurus et les systèmes d'indexation en tant que « base de données » peuvent être protégés par le droit d'auteur ou par le droit sui generis lorsque les conditions respectives des deux systèmes de protection sont satisfaites. Tout comme il a été relevé dans la législation sénégalaise, la loi 1er juillet 1998 portant transposition de la directive du 11 mars 1996, ne prévoit toutefois aucune disposition sur le sort des thésaurus et des systèmes d'indexation. Même dans l’exposé des motifs, il n’a été traité que la question des logiciels ou des programmes d’ordinateur. La seule base textuelle qui existe en ce sens demeure le considérant n°20 de la directive. S’agit-il là, comme pour le cas du logiciel, d’une omission volontaire de la part des rédacteurs de la loi de 1998 ou simplement d’une erreur dans la transposition des normes consacrées par la directive de 1996 ? En tout état de cause, la jurisprudence française ne semble pas avoir eu l’occasion d’élucider de façon claire le sort des outils techniques accessoires à la base de données. Cependant, la doctrine168 semble s’accorder avec la directive du 11 mars sur les modalités de la protection des thésaurus et systèmes d’indexation.

La seule difficulté de mise en œuvre de la solution de la directive du 11 mars 1996 réside dans le fait que le statut des outils techniques reste, comme pour les logiciels, difficile à séparer de celui de la base de données dans lequel ils s’intègrent. Il en est ainsi lorsque les outils techniques et la base de données ont été conçus en même temps et par un même auteur.

Dans ce cas précis, les systèmes d’indexation seront également difficiles à distinguer des logiciels ou programme d’ordinateur faisant fonctionner la base169. Un conflit de normes est alors possible entre le droit spécial des bases de données tel que défini par la loi de 1998 et le droit spécial des logiciels issu de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985. Si les thésaurus et les systèmes d’indexation doivent en effet, selon le considérant n° 20 de la

168 V. à titre d’exemple André Lucas, « Droit des producteurs de bases de données (CPI, art. L. 112-3 et L. 341-1 à L. 343-7) »,op. cit., n° 20, p. 10 ; Nathalie Mallet-Poujol, « Protection des bases de données », op.

cit., n° 23.

169 V. Pierre Sirinelli: Lamy Droit des médias et de la communication, étude 136, n° 24. - Michel Vivant, « Recueils, bases, banques de données, compilations, collections... : l'introuvable notion » : D. 1995, chron. p. 197.

81 directive, jouir de la même protection que les bases de données, leur assimilation à des logiciels pourrait conduire à l’application d’un régime juridique différent de celle prévu par le texte communautaire.

Les juges qui seraient éventuellement saisis pour se prononcer sur le sort de ces outils techniques devront faire preuve d’une grande circonspection afin d’éviter d’appliquer à des « mini » base de données les règles de protection instituées pour les logiciels. La tâche risque d’être délicate lorsque les thésaurus et les systèmes d’indexation seront totalement intégrés à la base et feront l'objet d'un traitement électronique. Dans ces circonstances, ces outils techniques rempliront les mêmes fonctions que les logiciels et se présenteront sous les mêmes apparences que ces derniers.

En instituant de façon expresse une protection strictement limitée à la structure de la base de données au titre du droit d’auteur, les législations française et sénégalaise ont également entendu exclure toute extension des faveurs de ce même droit aux éléments qui forment le contenu de cette base. L’étude du sort de ce contenu permet de mieux appréhender la délimitation du champ quant à l’objet de la protection.

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