• Aucun résultat trouvé

DE LA BASE DE DONNEES

A. L’énoncé du principe

24. – La base de données protégée dans sa globalité. Lorsqu’il saisit la base de données dans sa globalité, le droit d’auteur, tel qu’il ressort des textes français et sénégalais, ne couvre alors que le contenant de ladite base qui constitue l’œuvre protégeable.

En ce qui concerne le droit français, qui a assuré un rôle avant-gardiste par rapport au droit sénégalais, le principe découle de l’article L. 112-3 CPI déjà énoncé, en vertu duquel les « auteurs de (…) bases de données, qui par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles » jouissent des droits d’auteur. L’œuvre protégeable doit donc être recherchée dans la composition ou l’agencement, c’est-à-dire la manière dont les données ou informations sont réunies, classées, présentées.

L’appréhension du contenant dans le système de protection des bases de données est aussi mise en avant en droit d’auteur sénégalais. Comme en France avant la loi du 1er juillet 1998, la loi n° 73-52 du 04 décembre 1973 relative à la protection du droit d’auteur79, en son article 8, fondait déjà la protection des anthologies ou recueils d’œuvres diverses sur le critère du « choix » ou de « la disposition des matières ». La loi de 2008 qui l’abroge a reconduit le même critère de protection en l’étendant aux bases de données. Ainsi, « les bases de données, (…) qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des œuvres originales »80 sont protégées par le droit d’auteur.

79 Loi n° 73-52 du 04 décembre 1973 relative à la protection du droit d’auteur, JORS n° 4333 du 29 décembre 1973, p. 2270.

49 L’une des innovations majeures de la loi sénégalaise de 2008 a été d’introduire la protection des programmes d’ordinateurs81, mais aussi celle des bases de données. Néanmoins dans les documents parlementaires82 qui ont guidé à l’adoption du texte, aucune justification, encore moins des indications sur les modalités de la protection des bases données, n’ont été fournies par les rédacteurs du projet. La réforme du droit d’auteur qui a conduit à l’adoption du texte de 2008 semble toutefois être animée par le souci du Sénégal, en sa qualité de signataire, de respecter ses obligations internationales. La réforme se justifie en outre par la nécessité pour le Sénégal de mettre sa législation en conformité avec certaines conventions et de s’aligner à l’ère du numérique. Il s’agit, dans l’ordre chronologique, de la Convention de Rome du 26 octobre 1961 sur la protection des artistes interprètes et des producteurs de phonogrammes, de l’Accord ADPIC (volet « propriété intellectuelle » du Traité de Marrakech du 14 avril 1994 créant l’Organisation mondiale du Commerce) et des deux Traités de l’OMPI du 20 décembre 199683, dits « Traités Internet ». L’ensemble de ces textes internationaux consacre un critère de protection unique : « le choix ou la disposition des matières ».

Malgré le fait que le Sénégal soit signataire de l’Accord de Bangui, aucune référence à ce texte de dimension régionale n’a été relevée. Le texte de Bangui consacre pourtant la protection des bases de données et pose comme critère « le choix, la coordination ou la disposition des matières » 84.

81

Article 6 de la loi n° 2008-09 du 25 janvier 2009 sur le droit d’Auteur et les droits voisins au Sénégal : « Sont considérées comme œuvres de l'esprit au sens de la présente loi les créations intellectuelles de forme

dans le domaine littéraire et artistique, notamment : 1° Les œuvres du langage, qu’elles soient littéraires, scientifiques ou techniques, y compris les programmes d’ordinateurs, et qu’elles soient écrites ou orales

(…) ».

82 V. Exposé des motifs de la loi n°2008-09 du 25 janvier 2008 sur le droit d’auteur et les droits voisins au Sénégal, J.O. N° 6407 du Samedi 10 mai 2008.

83 Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (WCT) et Traité de l'OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WPPT) adoptés à Genève le 20 décembre 1996.

84 Article. 6.1) ii) : de l’annexe VII de l’Accord portant révision de l’Accord de Bangui du 2 mars 1977 instituant une Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle. « les recueils d’œuvres, d’expressions

50 25. – Une délimitation moins prononcée de l’objet protégé au Sénégal. Si l’on compare les dispositions de l’article 8 avec les dispositions correspondantes dans les Traités et Conventions cités en référence dans l’exposé des motifs de la loi de 2008, on se rend compte que le législateur sénégalais n’a pas repris toute la structure de ces dispositions pertinentes. La loi n° 2008-09 sur le droit d’auteur a repris le critère de la protection à savoir « le choix ou la disposition des matière », en laissant de côté certains éléments comme l’exclusion du contenu de la base du giron du droit d’auteur. Par exemple, l’article 10 alinéa 2 de l’Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce énonce que la « (…) protection, qui ne s'étendra pas aux données ou éléments eux-mêmes, sera sans préjudice de tout droit d'auteur subsistant pour les données ou éléments eux-mêmes ».

Une formulation identique se retrouve aussi dans le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (WCT) adopté à Genève le 20 décembre 1996. Selon l’article 5 de ce Traité, la « (…) protection ne s’étend pas aux données ou éléments eux-mêmes et elle est sans préjudice de tout droit d’auteur existant sur les données ou éléments contenus dans la compilation ».

L’enseignement que l’on pourrait tirer de cet exercice de comparaison du texte sénégalais avec les textes internationaux est que la véritable source inspiration, au moins dans la rédaction de l’article 8, ne se trouve pas dans ces instruments juridiques d’harmonisation. En tout état de cause et à l’exception des quelques nuances formelles relevées, la démarche dans la délimitation du domaine de la protection des bases de données est identique aussi bien en France qu’au Sénégal. Ce qui fait présumer un certain mimétisme du droit sénégalais sur le droit français dans la détermination de la protection du contenant base de donnée par le droit d’auteur.

26. – Un critère pour déterminer l’existence d’une création intellectuelle. En somme, la protection recherchée à travers le droit d’auteur vise l’ensemble que constitue la base

données, qu’elles soient reproduites sur support exploitable par machine ou sous toute autre forme, qui, par le choix, la coordination ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles ».

51 de données et non les divers éléments qui l’a composent85. En mettant en avant le critère du « choix » ou de la « disposition des matières », les législations sénégalaise et française sur le droit d’auteur sont parvenues à « fonder la protection sur le travail d’organisation de la base ou sur l’arrangement des données »86. Le critère retenu permettra de déterminer le caractère de création intellectuelle de la base de données.

L'appréciation de l'originalité va en effet porter sur l'architecture de la base de données. Le considérant n°15 de la directive du 11 mars 1996 transposé par la loi française du 1er juillet 1998 indique expressément que « cette protection vise la structure de la base ». Par conséquent, seule l'originalité de la structure ou du « contenant » de la base révélée à travers le choix et la disposition des données est évaluée.

Selon Mme Mallet-Poujol d’ailleurs, « deux formes d'expression coexistent au travers de l'originalité. S'exprime, de façon très classique, une forme d'expression littéraire ou graphique qui se révèle par l'interrogation de la base. Cette forme correspond à la restitution à l'écran des données mémorisées dans la base. S'exprime également une forme plus antérieure, liée à l'architecture même des fichiers. C'est cette forme, correspondant à la structure même de la base, à l'organisation hiérarchisée des fichiers et des données qui constitue l'assiette de son originalité »87.

Du fait de la relative nouveauté de la matière au Sénégal, les juridictions de ce pays n’ont pas encore eu l’occasion de se prononcer sur l’objet de la protection des bases de données

85

André Lucas, Jean Devèze, Jean Frayssinet, Droit de l’informatique et de l’Internet, Parsi, PUF, 2001, n°583, p.357.

86 André Lucas, Henry-Jaques Lucas, Traité de propriété littéraire et artistique, Paris, Litec, 2001, p. 113.

87

Nathalie Mallet-Poujol, « Protection des bases de données », Op. cit., n° 20 ; A propos de la qualification de la base de données en création de forme, V. aussi Nathalie Mallet-Poujol, Commercialisation des

banques de données : Éd. CNRS, 1993, n° 536. – Pierre Sirinelli: Lamy Droit des médias et de la communication, étude 136, n° 23.

52 par le droit d’auteur. L’on se contentera alors des précisions de l’article 8 de la loi de 200888 qui limite l’objet protégé au contenant de la base.

En France, même après l’adoption de la loi du 1er juillet 1998, le contentieux sur la protection par le droit d’auteur n’a pas augmenté. Même bien avant l’entrée en vigueur de ce texte, dans les affaires qui ont été soumises au prétoire du juge français, c’est plus la question de l’originalité des bases de données qui a animé les débats sur la protection par le droit d’auteur89. A cet égard, un arrêt de référence dit Coprosa90 peut être cité en exemple. Ainsi, cette jurisprudence a rejeté la protection par le droit d'auteur d'une compilation d'organigrammes de différentes sociétés, au motif que « le texte ou la forme graphique de cette publication » ne comportait pas un « apport intellectuel de l'auteur caractérisant une création originale ».

Selon André Lucas qui s’interroge sur la portée de la solution de l’arrêt Coprosa, « une analyse littérale ferait dire que l’originalité ne peut être ici admise que si elle se manifeste dans l’expression (le texte) ou la représentation formelle (le forme graphique) » 91. L’auteur poursuit cependant en soutenant qu’une telle solution « reviendrait à remettre en cause le principe traditionnel selon lequel les compilations peuvent être investies du droit d’auteur à raison de l’originalité de leur composition solution expressément énoncée pour les anthologies par l’article 4 de la loi du 11 mars 1957 »92. Mais, si « l’expression (le texte) est un critère de protection étranger au domaine des anthologies, il nous semble que sa « représentation formelle » corresponde au « choix ou à la disposition » de l’œuvre en question selon les termes de la loi du 11 mars 1957.

88 Aux termes de l’article 8 alinéa 3 de la loi n° 2008-09 du 25 janvier 2008 sur le droit d’auteur et les droits voisins au Sénégal, « sont également protégés à ce titre les anthologies et recueils d'œuvres ou de données

diverses, tels que les bases de données, qu'elles soient reproduites sur support exploitable par machine ou sous toute autre forme, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des œuvres originales »

89 Nathalie Mallet-Poujol, La création multimédia et le droit, Paris, Litec, 2003, n° 483, p. 159.

90

Cass. Civ. I, 2 mai 1989, JCP 1990 II 21932, n. Lucas.

91 V. les observations du professeur André Lucas sous l’arrêt Cass. Civ. I, 2 mai 1989, JCP 1990 II 21932 n. Lucas.

53 Le Rapport du groupe français de l'AIPPI93, par exemple, avait proposé quelques éléments de précision sur l’objet protégé. Selon ce document, la base de données doit être la réunion d’éléments indépendants et doit résulter d’un choix et d’une disposition des éléments constitutifs de la base qui doit être méthodique ou synthétique. Ainsi un recueil ne peut se contenter, pour être qualifié de base de données, d’être une simple juxtaposition des éléments constitutifs de la base. Ainsi, lorsque le choix ou la disposition des matières résultent d’un effort intellectuel, la structure de la base de données peut bénéficier des avantages du droit d’auteur.

27. – La reprise du critère par la jurisprudence. Il faut remarquer, en outre, que la tendance à la protection de la structure des compilations n'a jamais été totalement étrangère au droit d'auteur français. La Cour de cassation y a fait allusion dans l'affaire Microfor94 en reconnaissant à la structure de classement de la base le rôle d'œuvre citante pour légitimer des emprunts à une œuvre première. En tant qu’œuvre, la structure de l’ouvrage doit pouvoir bénéficier de la protection privative du droit d’auteur si toutes les conditions sont remplies.

La jurisprudence acceptait déjà depuis longtemps de protéger la structure originale d'un recueil dont le contenu n'était pas protégé par le droit d'auteur. Il a été jugé en effet que « le fait de réunir ces données en un ensemble ordonné et complet, de les classer en diverses nomenclatures constitue une œuvre personnelle »95. Plus récemment aussi, dans son jugement du 28 décembre 1998, le tribunal de grande instance de Lyon a considéré comme œuvre protégeable un recueil de conventions collectives au motif que « les arrangements, la présentation, la mise en page utilisée rendent la consultation du « Dictionnaire Permanent » (le recueil) plus simple et plus attractive que l’originale ;

93 Rapport du groupe français de l'AIPPI sur la protection nationale et internationale des bases de données, Question 182, décembre 2003, p. 3.

94

Cass. 1re civ., 9 nov. 1983 : JurisData n° 1983-702217 ; JCP G 1984, II, 20189, note A. Françon. - Cass. ass. plén., 30 oct. 1987, n° 86-11.918 : JurisData n° 1987-001712 ; JCP G 1988, II, 20932, rapp. X. Nicot et note J. Huet ; JCP E 1988, II, 15093, obs. M. Vivant et A. Lucas ; D. 1988, p. 21, concl. J. Cabannes ;

RTD com. 1988, p. 57, obs. A. Françon

54 qu’il s’agit donc bien d’une œuvre de l’esprit protégeable au titre du droit d’auteur (…) »96.

L’énoncé du principe de la prise en compte de l’ensemble de la base de données étant exposé, sa signification devrait aussi être analysée.

Outline

Documents relatifs