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L’impact de la qualification de la base de données en œuvre de collaboration

Paragraphe 1 : La base de données créée par une personne physique

B. L’impact de la qualification de la base de données en œuvre de collaboration

120. – La titularité initiale dévolue aux coauteurs, personnes physiques. La conséquence immédiate qui résulte de la qualification d’une base de données en œuvre de collaboration est que les droits de propriété intellectuelle naissent directement sur la tête des coauteurs. Dans la logique personnaliste mise en avant par le droit français et reprise en droit sénégalais, les coauteurs d’une œuvre de collaboration sont nécessairement des personnes physiques. Ces derniers tirent leur qualité de leurs contributions respectives à l’élaboration de l’œuvre. Ce constat consolide le principe déjà établi selon lequel il est impossible pour une personne morale de prétendre à la qualité d’auteur et a fortiori lorsqu’il s’agit d’une œuvre de collaboration. Rappelons à cet égard l’article 12 de la loi de 2008 aux termes duquel : « L’auteur d’une œuvre est la personne physique qui l’a créée ». Comparativement en France, les personnes morales peuvent initialement être reconnues, sur la base d’une fiction, comme auteur d’une œuvre qualifiée de collective. Mais lorsqu’il est question d’une œuvre de collaboration, elles ne peuvent a priori jamais être considérées comme des coauteurs. Un tel raisonnement appelle, en effet, une certaine nuance sur la question.

Ainsi, la doctrine française n’écarte pas que l’on puisse étendre les règles de droit commun de l’indivision aux personnes morales agissant de concert406. Cette hypothèse se réalise, selon Vivant et Bruguière, lorsque des sociétés mettent en commun des droits patrimoniaux dont elles sont titulaires ab initio. Agnès Robin407 revient plus en détail d’abord sur la rareté de l’hypothèse qui pourrait se présenter en matière de logiciel, mais aussi sur l’impasse à la quelle elle peut déboucher au plan théorique. Le fait que les « créateurs » soient des personnes morales, précise l’auteur, écarte toute possibilité de qualification d’œuvre de collaboration. Aussi, la situation ne peut être régie par les règles

406

André et Henri-Jaques Lucas, Traité de propriété littéraire et artistique, Paris, Litec, 2006, n°173.

189 communes relatives à l’indivision conventionnelle étant donné qu’elles ne peuvent conférer la qualité d’auteur.

On retient donc de ce qui précède que la qualité de coauteur d’une base de données, œuvre de collaboration, doit être recherchée sur la tête de personnes physiques, avant même de s’intéresser aux autres conditions. En outre, les personnes physiques pouvant prétendre à la qualité de coauteur sont celles dont la contribution est à même de leur conférer cette qualité. En France comme au Sénégal, il n’existe aucune définition expresse de la notion de coauteur. Il ressort cependant de la définition de l’article 23 de la loi n°2008-09 que les coauteurs d’une base de données sont ceux qui ont concouru à sa réalisation en faisant apport de leurs contributions. L’analyse conceptuelle ainsi faite n’est pas non plus contradictoire avec l’esprit de l’article L 113-2 du CPI français.

Dans une œuvre impliquant plusieurs personnes, différentes formes de contributions peuvent être identifiées. Il importe alors de s’interroger sur les types d’interventions susceptibles de justifier la qualité de coauteur des personnes de qui elles émanent. Selon Agnès Maffre-Baugé, le coauteur peut être identifié, comme « celui qui, participant à l’entreprise commune par son activité créatrice, imprègne la forme créée de sa personnalité et contribue ainsi à la réalisation de l’œuvre commune »408. Cet auteur, dans le sillage de la jurisprudence409, exclut les interventions qui ne consistent qu’à donner l’idée de départ de l’œuvre, le sujet, les thèmes ou de simples conseils en vue de la réalisation de l’œuvre de collaboration410. Le coauteur est alors celui qui a joué un rôle déterminant s’appréciant de manière concrète par rapport à la mise en forme originale de l’œuvre de collaboration. La base de données collaborative peut alors être comprise soit comme un ensemble indivisible soit comme un composé de parties originales en elles même et autonomes.

121. – Les enjeux théoriques et pratiques de la qualification d’une base de données en œuvre de collaboration. La qualification d’une base de données en œuvre de

408

Agnès Maffre-Baugé, op. cit, p. 22.

409

Paris, 21 janvier 1983, D., 1984, IR, p. 286, obs. Colombet.

190 collaboration, lorsqu’elle est le résultat de l’implication de plusieurs personnes, présente des enjeux multiples. Avant de les exposer, il est important de rappeler que la loi n° 73-52 du 4 décembre 1973 relative à la protection du droit d’auteur n’excluait pas la possibilité d’une reconnaissance de la titularité des droits d’auteur à une personne morale en cas de pluralité des intervenants. Avec l’œuvre collective qui bénéficiait d’une reconnaissance avant l’abrogation de ce texte, une œuvre pouvait appartenir soit à une personne physique soit à une personne morale dès l’instant qu’elle est à l’origine de sa création et l’a divulguée411.

Si l’on revient sur la politique législative qui a guidé à la rédaction de l’article 23 de la loi de 2008 qui abroge celle de 1973, on relève un souci du législateur de redonner à l’auteur un rôle central dans la création des œuvres parmi lesquelles figurent les bases de données. Cette option traduit en outre sa volonté d’exclure toute démarche visant à instaurer la collectivisation des œuvres de l’esprit. Il s’agit aussi de remédier, à travers ce choix, au phénomène d’anonymisation de la création dans le contexte de numérisation globalisée.

L’orientation du législateur sénégalais s’inscrit en parfaite adéquation avec la vision personnaliste du droit d’auteur au Sénégal qui recherche en la personne de l’auteur « la figure qui impose une autorité sur une œuvre (et) en définit le sens et la propriété »412. La qualification d’une base de données en œuvre de collaboration, lorsqu’elle est le fait de plusieurs personnes, est plus en adéquation avec la conception personnaliste du droit d’auteur. Elle offre ainsi une protection optimale des intérêts matériels et moraux des personnes physiques qui ont pu satisfaire aux exigences d’activité créative ainsi que d’originalité qui ont valu à la base de données la qualité d’œuvre de l’esprit. Elles n’auront plus à se contenter de simple salaire sur leur création. Elles pourront directement tirer profit des retombées financières du résultat de leur collaboration. Lorsque l’œuvre base de données a été conçue dans un environnement sociétaire, la personne morale ne pourra

411 Article 6 al. 3 de la loi n° 73-52 du 4 décembre 1973 relative à la protection du droit d’auteur (J.O. n° 1973-12-29).

412 Séverine Dusollier, Loïc Bodson, « Droit d’auteur et art contemporain enjeux numériques », Centre de

Recherches Informatique et Droit (CRID) – FUNDP, mai 2003, p.27, [en ligne : http://manuscritdepot.com/edition/documents-pdf/dussolier_rapport_final_april_03.pdf]. Consulté le 14 avril 2011.

191 exploiter l’œuvre que lorsqu’elle bénéficie, sur elle, d’une cession des droits patrimoniaux de la part des coauteurs.

La solution de l’œuvre de collaboration peut être handicapante pour les industriels et producteurs du marché de l’information. Si l’initiative et les moyens matériels nécessaires à la création d’une base de données collaborative leur reviennent très souvent, ils semblent, avec cette qualification, perdre les atouts qui président au contrôle de l’œuvre générée. En faisant la balance des intérêts économiques et juridiques en présence, il ne sera pas abusif de conclure à une domination des coauteurs sur les producteurs, qui, du reste, sont aussi importants dans la cartographie des parties prenantes à la réalisation de la base de données œuvre de collaboration. Mais, il ne faudrait pas le perdre de vue, l’objectif du droit d’auteur n’est pas de répondre en priorité aux visées mercantilistes des producteurs ou des industriels de l’environnement culturel. Sa vocation première est de permettre à tout créateur d’une œuvre de l’esprit de bénéficier d’une reconnaissance morale et de tirer profit du fruit de son activité créative. De ce point de vue la qualification d’une base de données en œuvre de collaboration, qui octroie la place de choix aux coauteurs personnes physiques, s’articule davantage avec la tradition personnaliste du droit d’auteur.

Cet état de fait, qui témoigne de la pertinence de l’approche, peut à lui seul justifier l’adhésion consensuelle du droit français et du droit sénégalais à la solution de la qualification d’une base de données en œuvre de collaboration. Le souci de cohérence globale du dispositif ainsi que de pertinence au regard de la vision personnaliste semble également guidé la construction des règles de preuve. Une réflexion axée sur la présomption de titularité découlant de la divulgation permet d’en mesurer les contours.

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