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Les difficultés d’extension du critère de l’originalité aux bases de données

Paragraphe 1 : Le critère classique de la marque de la personnalité de l’auteur maintenu en droit Sénégalais

B. L’adéquation du critère classique au phénomène des bases de données

1. Les difficultés d’extension du critère de l’originalité aux bases de données

70. – La perfection du critère reconnue pour les œuvres de première génération. Le critère traditionnel de l’originalité à savoir « la marque de la personnalité de l’auteur » ne s’harmonise pas toujours de façon heureuse avec les produits de dernière génération comme les bases de données. Il serait en effet plus en adéquation avec les œuvres de caractère esthétique ou relevant du domaine des beaux arts. Comme évoqué avec Michel Vivant et Jean-Michel Bruguière, à propos des origines du critère de l’« empreinte de la personnalité », le domaine d’intervention de ce critère semblait alors bien identifié. Ce critère est donc loin de constituer un bouclier justifiant des exclusions, un auteur comme André Lucas y voit surtout « le rappel, parfois incantatoire, de l’approche personnaliste du droit d’auteur français »276, et qui, du reste, a visiblement inspiré le législateur sénégalais. Les exemples illustrant l’application du critère de la marque de la personnalité sont nombreux et traduisent une certaine légitimité par rapport aux domaines musicale, artistique, littéraire et même cinématographique. Ainsi, « une photographie est une œuvre de l’esprit protégée dès lors qu’elle est originale et reflète la personnalité de son auteur ; tel est le cas d’un portrait en raison de la vie se dégageant du visage du modèle, de la qualité des contrastes, des couleurs et des reliefs (…) »277.

276

Lucas A., Propriété littéraire et artistique, coll. Connaissance du droit, Paris, Dalloz 2e éd., 2002, p. 21.

277 TGI, Paris, 22 mars 1989, Beaucote c/ Ste d’éditions modernes parisiennes, Gaz. Pal. 14 février 1993 n° 45-47 som. p. 19. Cité par Jurinfo. Une autre affaire révèle que « n’est pas protégeable (…) le modèle de collier ras du cou en forme de rail composé de maillons, s’inspirant d’un modèle antérieur et ayant à la

124 En définitive, les expressions sont variées, mais renvoient toutes à cette notion subjective qui caractérise la dimension personnaliste du droit d’auteur civiliste.

71. – L’incompatibilité du critère pour les bases de données décriée. La mise en œuvre de la définition classique de l’originalité pose de sérieuses difficultés lorsqu’il s’agit de créations d’un nouveau type comme les bases de données. Ces difficultés ont fini par contribuer de manière significative à l’incompatibilité du critère classique de l’originalité aux phénomènes des bases de données.

Pour des auteurs comme André Lucas278, l’approche subjective de l’originalité est difficilement conciliable avec les bases de données. Selon lui, la protection de ces créations au titre du droit d’auteur ne peut s’obtenir que par une « objectivation » du critère d’originalité. Si pour l’auteur précité, la protection des anthologies en tant qu’œuvre dérivée s’inscrit parfaitement dans l’approche subjective de l’originalité, il ne saurait, cependant, en être de même pour les recueils d’œuvres ou de données diverses. Certes, une base de données peut devenir une création intellectuelle « par le choix ou la disposition des matières ». Mais on peut dire que le choix et la disposition, servant de guide à la qualification, n’ont rien d’arbitraire et traduisent mal la personnalité de leur concepteur. On conviendrait plutôt que ce choix ou cette disposition des matières dans une base de données est le résultat d’un « savoir faire, objectivement mesurable, du créateur »279.

L’appréciation du critère traditionnel n’est par ailleurs pas aisée en l’espèce. Comme le souligne Agnès Maffre-Baugé280, si la condition est relativement facile à apprécier pour les œuvres artistiques (dont on conçoit aisément qu’elles puissent exprimer la personnalité de leur créateur), tel n’est pas le cas pour celles ayant un caractère littéraire

différence de ce dernier des maillons de dimension identique ; en effet, la dimension identique des maillons ne révèle pas l’empreinte personnel de l’auteur ». Cf. Paris, 30 juin 1994, Sté Nina Ricci c/ Repossi, Gaz.

Pal. , 27 janvier 1995 n° 27-28 som., p.14, cité par jurinfo. V. également Civ I, 30 juin 1998, RIDA 1998

n°176, p. 237.

278

André Lucas, op. cit, p. 20.

279

Idem.

125 moins marqué ou un caractère technique et utilitaire, plus affirmé, comme les recueils et anthologies hier, les bases de données aujourd’hui. Cela ne signifie nullement l’absence d’originalité ou plus explicitement l’inexistence d’une empreinte de la personnalité de l’auteur de la base de données. Au contraire, « le réalisateur du recueil a payé de sa personne, exprimé sa personnalité en choisissant tels passages plutôt que tels autres, et, lorsqu’il a emprunté les extraits à diverses œuvres, tiré de son propre fonds l’ordre selon lequel il les présente […]. Un autre érudit n’aurait pas fait les mêmes choix que lui, et, dans les recueils de passages d’une pluralité d’œuvres, aurait peut-être préféré un plan différent »281. La solution à cette faiblesse du droit d’auteur réside, selon Agnès Maffre-Baugé, dans la caractérisation de la condition d’originalité. Une telle démarche rejoint parfaitement les préoccupations de ceux qui pensent que le droit est une science exacte et qui ont aussi le goût de la géométrie et des définitions étroites.

Cependant, cette tendance remet totalement en cause les idées défendues par Desbois. Elle se base sur la diversité des objets qualifiés d’œuvres et la protection d’œuvres où l’implication de la personnalité semble très limitée pour démontrer que le critère d’originalité fondé sur « l’empreinte de la personnalité de l’auteur » serait artificiel, irréaliste et dépourvu de véritable signification. Cette position est réconfortée par les choix jurisprudentiels et législatifs de protéger par exemple le logiciel par le droit d’auteur ; et ce d’autant plus que la Cour de cassation elle-même épouse une tendance à déformer le critère lui-même282.

L’application formelle de l’originalité telle que définie par le droit sénégalais peut alors avoir pour fâcheuse conséquence d’écarter bon nombre de bases de données du champ du droit d’auteur. La spécificité des bases de données les différencie radicalement des œuvres d’art que l’on connaissait traditionnellement, si l’on considère les nombreuses sujétions dont ils sont l’objet. Une base de données n’est souvent qu’un assemblage de données brutes ou même de données à caractère personnel ou de données publiques, par exemple.

281

Henri Desbois, op. cit., n° 127

126 Aussi, sa conception obéit à certaines règles normalisées qui peuvent s’ériger en barrière à toute manifestation d’une marque de la personnalité.

L’incompatibilité notée du critère traditionnel de l’originalité n’affecte pas uniquement le domaine des bases de données, elle se perçoit également au niveau des arts appliqués mais aussi des logiciels. Cette situation a conduit aussi bien la jurisprudence que la doctrine française à s’engager dans la recherche de critères de définition plus adaptés au phénomène de ces outils informatifs. La démarche est toute autre au Sénégal, où les textes proposent une définition ne faisant état que d’un seul critère de l’originalité : la marque de la personnalité de l’auteur.

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