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Le principe partagé : une présomption réservée à la personne physique

124. – Le consensus sur le bénéficiaire de la présomption. Suivant la logique personnaliste du droit d’auteur qui place l’individu au centre du système de protection de la propriété intellectuelle, la présomption de titularité résultant de la divulgation de l’œuvre reste en principe réservée à l’auteur personne physique. Tirant également leur constat de la jurisprudence416, André et Jean-Jacques Lucas l’ont traduit en ces termes : « sauf à remettre en cause le principe selon lequel le droit d’auteur ne peut naître que sur la tête d’une personne physique, la présomption de l’article 113-1 ne peut être invoquée par les personnes morales »417. Est considéré alors comme le premier titulaire des droits d’auteur sur une œuvre base de données, la personne physique sous le nom de qui ladite base est divulguée. Les bases de données étant regardées, en France et au Sénégal, comme toute autre œuvre protégeable par le droit d’auteur sans aucune

416

Cass. 1re civ., 17 mars 1982 et 19 février 1991 : JCP G 1983, II, 20054, note Plaisant ; D. 1983, inf. rap. p. 89, obs. Colombet ; RTD com. 1982, p. 428, obs. Françon, et CA Paris, 4e ch., 1re février 1990 :Ann. Propr. Ind. 1993, p. 77.

194 dérogation en ce sens, le régime de droit commun de la preuve de la titularité des droits leur est également applicable.

Les législations sénégalaise et française s’accordent sur la réservation de principe de la présomption légale de titularité aux personnes physiques. Ainsi, si le principe sur la genèse d’une base de données appelle la prédominance des personnes morales, les règles de preuve concernant la titularité des droits visent les personnes physiques.

125. – Axes de réflexion. Après avoir analysé l’énoncé du principe dans les deux législations qui nous intéressent (A), nous nous pencherons sur l’étude de la portée d’une telle solution (B).

A. L’énoncé et le contenu du principe

126. – Le principe maintenu d’une titularité réservée aux personnes physiques. La présomption, posée de façon assez similaire par la loi sénégalaise sur le droit d’auteur et le CPI français, bénéficie à celui qui a divulgué l’œuvre sous son nom. Selon la législation française, « la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée »418. N’envisageant les bénéficiaires de la présomption qu’au singulier, la loi sénégalaise énonce ainsi la règle de la présomption découlant de la divulgation : « La qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui sous le nom de qui l'œuvre est divulguée. »419. Il revient alors au juge du fond de l’apprécier souverainement en cas de contestation comme le rappelle la cour d’appel de Bourges : « la qualité d’auteur s’induit d’éléments et de fait dont le juge conserve une entière liberté d’appréciation »420. Les textes juridiques communautaires mais aussi internationaux ont prévu des règles équivalentes dans leur dispositif. Il en est ainsi notamment de la Convention de Berne421, de l’Accord de Bangui révisé422 ou de la

418 Art. L.113-1 du CPI

419

Art. 14 de la loi n°2008-09 du 25 janvier 2015 sur le droit d’auteur et les droits voisins au Sénégal.

420

Bourges 1er juin 1965, D. 1966. 44, n. Delpech.

421

Art. 15-1 de la Convention de Berne.

195 Directive communautaire du 29 avril 2004 sur le respect des droits de propriété intellectuelle423.

L’appréciation de la preuve de la titularité sur la seule base de la divulgation ne semble ainsi requise, en principe, que lorsque le litige met en présence des personnes physiques. En disposant que « la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui sous le nom de qui l'œuvre est divulguée », le législateur sénégalais pour sa part n’a aucunement songé à poser une dérogation au principe déjà établi sur la qualité d’auteur. S’il est déjà admis, avec l’article 12 de la loi sénégalaise que l’auteur d’une œuvre est la personne physique qui l’a créée, l’argument contraire ne saurait résider dans les règles de forme qui président à l’établissement de la preuve de cette titularité. La présomption découlant donc de la divulgation et prescrite par l’article 14 de la loi de 2008 ne vaut donc que pour les personnes physiques seules aptes à produire une œuvre à l’issue d’une activité créative, qu’il s’agisse ou non d’une base de données.

En droit sénégalais, le doute n’est d’ailleurs pas permis sur les bénéficiaires de la présomption du fait de la divulgation. Le problème était d’emblée résolu par la définition expresse de la notion d’auteur qui ne vise que les personnes physiques. Les concepteurs de la loi de 2008 ont, en cela, suivi le sillage d’une partie de la doctrine et de la jurisprudence française en faveur d’une reconnaissance exclusive de la qualité d’auteur aux seules personnes physiques. La Cour de cassation française s’est ainsi par exemple prononcée dans le même sens : « une personne morale, qui ne peut avoir la qualité d’auteur, n’est pas fondée à invoquer l’article 8 de la loi du 11mars 1957 »424.

Si en France également le principe unanimement admis veut que l'auteur soit la personne physique qui a exprimé sa personnalité dans une création425, les termes de l’article 113-1

423 Art. 5 de la Directive communautaire du 29 avril 2004 sur le respect des droits de propriété intellectuelle (JO n° L 157 du 30/04/2004 p. 0045 - 0086)

424 Cass. civ. I., 19 février 1991, Gaz. Pal., 1991 1. Panorama p. 140.

425 L’affirmation selon laquelle les droits d'auteur ne peuvent naître que sur la tête d'une personne physique peut s'appuyer sur la lettre des articles L. 113-2, L. 113-7, alinéa 1er et L. 113-8, alinéa 1er du CPI qui traitent respectivement de l’œuvre de collaboration, de l’œuvre audiovisuelle et à l’œuvre radiophonique.

196 du CPI doivent également êtres entendus comme posant le principe de l’applicabilité de la présomption aux seules personnes physiques. La seule différence notée à l’article 113-1 du CPI par rapport aux dispositions de la loi sénégalaise énonçant le même principe réside dans la prise en compte de la pluralité des bénéficiaires de la présomption. Le législateur français ne s’est donc pas contenté, comme l’a fait son homologue sénégalais, d’énoncer un seul pronom démonstratif au singulier ; à coté du « celui » il y’a un « ceux ». Ce pronom démonstratif « ceux » contenu dans l’article 113-1 du CPI devrait être interprété comme prévoyant la situation des coauteurs, dans le cas d’une œuvre de collaboration par exemple. Cette approche dans l’interprétation garantit plus de cohérence dans l’organisation des modalités de désignation des titulaires des droits de propriété intellectuelle.

127. – La lettre fidèle à l’esprit quant à la preuve de la qualité de coauteur. La loi sénégalaise sur le droit d’auteur n’a prévu aucune règle de preuve spécifique quant à la titularité des droits sur une œuvre de collaboration ; exception faite du cas particulier des œuvres audiovisuelles426. Il ne serait cependant pas hasardeux, comme en droit français427, d’invoquer la règle de la présomption découlant de la divulgation édictée à l’article 14 de la loi et de l’adapter au contexte singulier des œuvres de collaboration. La seule inquiétude à cet égard est l’énoncé de la règle de preuve qui ne prévoit pas de pluralité d’auteurs. En outre, l’indivision428 qui caractérise l’œuvre de collaboration devrait justifier l’édiction de dispositions précises relatives à la présomption tirée de sa divulgation, comme c’est le cas avec l’article L113-1. La législation sénégalaise gagnerait ainsi d’un point de vue de la cohérence et de l’efficacité de son dispositif de protection du droit d’auteur à définir de façon précise les règles de preuve de la titularité des droits d’auteur concernant le cas spécifique des œuvres de collaboration qui peuvent englober des bases de données.

426 A la lumière de l’art.26 de la loi de 2008 les auteurs présumés d’une œuvre audiovisuelle de collaboration sont : l'auteur du scénario, l'auteur de l'adaptation, l'auteur du texte parlé, L'auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l'œuvre et le réalisateur.

427

X. Linant de Bellefonds op.cit., n° 409

428 Aux termes de l’article 14 de la loi n°2008-09 du 25 janvier 2008, « les droits patrimoniaux et le droit

197 Néanmoins, une interprétation fondée sur l’esprit du texte et sur la logique d’ensemble de la loi de 2008 permet de conclure à une applicabilité de la présomption découlant de la divulgation de l’œuvre. En marge de cette possibilité, la jurisprudence429 rapporte qu’il appartiendra à celui qui se prévaut de la qualité de coauteur d’apporter, par tous les moyens, la preuve de sa collaboration à l’œuvre. Il appartiendra ensuite au juge d’apprécier souverainement cette qualité indépendamment du genre430 ou de l’importance quantitative de la contribution431. La juridiction saisie ne sera pas non plus liée par l’existence ou non d’une rémunération du prétendu coauteur pour la reconnaissance de cette qualité432. Il conviendra enfin de remarquer, comme précédemment433, que les différents procédés concourant à l’établissement de la preuve de la qualité de coauteur ne profitent qu’aux personnes physiques.

128. – La stratégie proposée en droit sénégalais. En somme, le principe de l’exclusion des personnes morales de la titularité initiale du droit d’auteur se trouve ainsi réaffirmé même si plusieurs auteurs ont collaboré à la réalisation de la base de données. En ce sens, la formulation de l’article 14 de la loi sénégalaise de 2008 appelle quelques réajustements de forme pour permettre au texte de traduire avec pertinence et cohérence la vision personnaliste du droit d’auteur. Il s’agira ainsi d’affecter un régime précis aux coauteurs dans le cadre des œuvres de collaboration. Cette approche, qui est celle des rédacteurs du CPI, constitue une référence pertinente pour une meilleure prise en compte de la situation des coauteurs d’une base de données qualifiée d’œuvre de collaboration.

L’énoncé et le contenu du principe d’une présomption tirée de la divulgation réservée à la personne physique ainsi exposé, il convient d’en analysée la portée.

B. La portée d’une présomption de titularité réservée à la personne physique

429 TGI Paris, 21 janvier 1983, Gaz. Pal. 1984. 1. som. 48.

430

Cass. Civ. I, 29 avril 1975, Gaz. Pal. 1975. 1. som. 125

431

Paris, 27 février 1985, D. 1986. IR. 181, note Colombet.

432

Cass. com. 23 octobre 1990, Gaz. Pal. 1991. 1. Panorama 108.

198 129. – La cohérence de la règle de la titularité préservée. La portée de la règle de la présomption réservée à la personne physique doit d’abord être analysée au regard de la conception personnaliste du droit d’auteur à laquelle s’identifient les droits français et sénégalais. Dans cette vision individualiste du droit d’auteur, la préoccupation majeure de chaque législateur doit être de sauvegarder au mieux les intérêts de ceux qui ont su, à travers leurs activités créatives, extérioriser leur personnalité et l’imprimer à travers une forme perceptible au sens. Une telle activité consistant à générer des œuvres de l’esprit, comme des bases de données, ne peut être que l’apanage d’une personne physique. Quelle que soit la complexité du processus qui a présidé à la genèse d’œuvres telles que les bases de données et l’implication possible d’une multitudes d’acteurs (salariés, collaborateurs, producteurs, entreprises etc.), la titularité des droits devra uniquement être recherchée sur la tête de celui qui a fait ressortir la marque de sa personnalité dans la base de données. L’acception catégorique d’un tel principe emporte certaines conséquences sur le sort des personnes morales qui, de fait, peuvent s’approprier les œuvres conçues en leur sein. Pour ces entités nées d’une fiction juridique, les possibilités d’exercice d’une action en contrefaçon se trouvent considérablement réduites si les règles de preuve relatives à la titularité des droits ne visent exclusivement que les personnes physiques. Un fabriquant de base de données, par exemple, ne sera jamais fondée à exercer une telle action en se basant sur la règle de preuve qui trouve son siège à l’article L. 113-1 du CPI ou à l’article 14 de la loi de 2008. Dans un contexte où domine l’approche classique du droit d’auteur de tradition française, cela reviendrait pour la personne morale à revendiquer la qualité d’auteur, de créateur de l’œuvre. Le résultat serait alors sans appel et consistera à condamner son action à une irrecevabilité certaine.

130. – La présomption articulée avec le droit de divulgation. La portée de la règle de la présomption réservée à la personne physique peut également s’apprécier au regard de son articulation avec le droit de divulgation auquel il est foncièrement lié.

Le droit de divulgation de l’œuvre est l’un des attributs moraux qui ne peut être exercé que par l’auteur lui-même. Cette précision est contenue dans l’article 28 de la loi de 2008 qui dispose : « l'auteur a seul le droit de divulguer son œuvre ». L’article L. 121-2 du CPI français consacre le principe selon les mêmes termes. Cette disposition apporte un complément de clarté à la règle selon laquelle la qualité d'auteur appartient, sauf preuve

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