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Les enjeux sociaux, politiques et éducatifs de l’introduction des compétences : réelle volonté politique ou effet d’affichage ?

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 45-49)

Les débats et tensions autour du concept de compétence dans la culture professionnelle de l’enseignement scolaire

1. Les enjeux sociaux, politiques et éducatifs de l’introduction des compétences : réelle volonté politique ou effet d’affichage ?

1.1. Les enjeux sociaux, politiques et éducatifs dans le domaine scolaire et de la formation

Pour bon nombre d’auteurs, ces réformes scolaires et professionnelles surviennent au moment où la compétence s’impose dans le monde des entreprises, en dépassant les échelles de qualification pour s’adapter aux besoins et à l’imprévisibilité des marchés économiques dans le but de former des individus compétents et adaptables (Antunes, 2012; Araya Muñoz, 2011; Barbier

& Galatanu, 2004; Barkatoolah, 2000; Beckers, Hirtt, & Laveault, 2014; Braslavsky, 2001; Brown, 1994; Halász & Michel, 2011; Maillard, 2012; Muller & Plazaola Giger, 2014; Pastré, Samurçay,

& Bouthier, 1995; Perrenoud, 2002; Verdier, 2008; Zapatero Ayuso, González Rivera, & Campos Izquierdo, 2013). Ce sont souvent des réformes soutenues par les organisations internationales telles que l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) et qui sont plutôt décidées par des gouvernements de droite ou de centre droit (Nordmann, 2016; Perrenoud,

2002). L’intégration de ces réformes a notamment pour enjeu de combler le fossé entre les nouvelles demandes de l’économie et les pédagogies traditionnelles de l’éducation (Araya Muñoz, 2011; Struyven & De Meyst, 2010). Les enjeux politiques de l’introduction des réformes par compétences sont donc liés à une volonté de rapprocher le monde scolaire et le monde du travail, afin de former des individus compétents, qui sauront s’adapter à une complexité grandissante et à une imprévisibilité du système économique.

D’autres enjeux sont identifiés dans l’introduction des réformes de l’enseignement par compétences, notamment autour d’enjeux sociaux et d’idéaux démocratiques (Byrne, Downey, &

Souza, 2013). En effet, la lutte contre les inégalités fait partie des enjeux affichés dans les textes officiels et dans les articles professionnels, lorsqu’ils évoquent l’apprentissage de compétences fondamentales (Beckers et al., 2014; Gérard, 2013; Gérard & Braibant, 2003). Ces compétences fondamentales doivent permettre aux élèves et futurs citoyens de pouvoir s’insérer dans la vie sociale et professionnelle. Ces réformes cherchent donc à réhabiliter la mission éducative de l’école et à réaffirmer les principes fondamentaux de l’école républicaine (Nordmann, 2016), à travers notamment les valeurs du vivre ensemble et le développement des compétences psycho-sociales (Brucy, 2013; Sève & Terré, 2017; Shankland, 2009).

Des enjeux éducatifs sont également repérés dans les différents textes professionnels et scientifiques relatifs à l’introduction du concept de compétence dans les pratiques professionnelles de l’école et de la formation. En effet, ce sont des réformes qui sont censées développer des modes d’éducation et de formation explicitement reliés à l’activité, au « savoir agir » (Barbier, 2007;

Barbier & Galatanu, 2004; Bulea & Bronckart, 2005; Chauvigné & Coulet, 2010; Conter & Maroy, 1999; Develay, 2015; Lemaître & Hatano, 2007; Monchatre, 2011) et aux pédagogiques actives (Antunes, 2012). Le développement des pédagogies actives a pour objectif de lutter contre les formes pédagogiques traditionnelles, souvent critiquées pour leur échec dans la lutte contre les inégalités scolaires. Cet échec peut être notamment dû au choix de la transmission d’une culture scolaire issue de la culture des élites sociales, que les élèves issus des catégories populaires ont du mal à s’approprier. L’introduction des compétences dans les pratiques scolaires affiche comme objectif d’apprendre aux élèves à utiliser leurs connaissances, à gérer l’information qu’ils reçoivent « plutôt qu’à l’ingérer » (Dierendonck, Loarer, & Rey, 2014; Dolz & Ollagnier, 2002) dans des situations complexes qui ont plus de sens pour eux lorsqu’elles sont plus proches de la vie réelle (Carette & Kahn, 2010; Clergue, 1997; Coulet, 2016; Crahay, 2014; Develay, 2015;

Duru-Bellat, 2015; Fink, 2003; Gérard, 2013; Kirk & Kinchin, 2003; Lange & Victor, 2006;

Novak, 2002; Roegiers, 2000). Cette ambition doit donc permettre aux élèves, quelles que soient leurs origines sociales, d’acquérir un ensemble de compétences pour agir et qui pourront être réinvesties ailleurs et plus tard.

Dans une perspective d’apprentissage à long terme et tout au long de la vie, les approches par compétences sont censées rendre les apprentissages plus efficaces, dans l’objectif de donner une base pour les apprentissages futurs (Araya Muñoz, 2011; Carette & Kahn, 2010; Janichon, 2014;

Roegiers, 2000) et ainsi permettre à chacun de se former tout au long de sa vie (Perrenoud, 2011;

Schied, 2014; Verdier, 2008). Cet enjeu éducatif est également lié à une transformation des pratiques d’évaluation, contribuant à ce que les élèves connaissent mieux les compétences qu’ils ont acquises afin qu’ils puissent les réinvestir et les faire évoluer tout au long de leur vie. Les approches par compétences cherchent à rendre plus lisibles et plus claires les attentes vis-à-vis des apprenants pour qu’ils puissent situer plus facilement leur niveau de compétence (Alventosa &

Jimeno, 2008; Brown, 1994; Hartig, Klieme, & Leutner, 2010; Hodge, 2007). L’enjeu est de lutter ainsi contre l’hégémonie des notes et les classements hiérarchiques entre les élèves (Merle, 2015), qui peuvent accentuer les inégalités de réussite.

Ces différents enjeux justifiant l’introduction des compétences dans le domaine de l’enseignement scolaire se rejoignent globalement dans l’idée de promouvoir une école qui se détache des méthodes transmissives pour laisser plus de place à l’action, à l’appropriation des savoirs et à leur mobilisation dans des situations qui ont plus de sens pour les élèves. Aussi, des idéaux démocratiques et égalitaires sont souvent sollicités pour justifier le fait de permettre à chacun d’acquérir un ensemble de compétences « de base » qui permettront de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle.

1.2. Les critiques relatives à un effet d’affichage de ces différents enjeux : des débats autour du projet éducatif de l’école

Tous ces enjeux justifiant l’introduction du concept de compétence sont aussi des points de crispations et de débats, avec une tension centrale entre d’un côté une volonté politique de réintroduire ces idéaux démocratiques à l’école, et de l’autre un effet d’affichage qui masquerait d’autres enjeux, moins démocratiques. C’est notamment la centration sur l’individu et son développement personnel, véhiculée par l’approche par compétences, qui constitue pour certains un moyen politique de discipline et de norme dans les sociétés modernes (Edwards, 2016; Edwards

& Usher, 1994; Hager, 1995). Cette centration sur l’individu nuirait aux objectifs affichés du vivre

ensemble et à la construction d’un citoyen capable de saisir les différents enjeux sociaux. Il existe également pour certains des enjeux masqués, qui viennent répondre aux nouvelles réalités économiques libérales, imprévisibles et inégalitaires plutôt qu’aux objectifs démocratiques et de citoyenneté affichés dans les textes (Antunes, 2012; Hirtt, 2009; Koebel, 2006; Laroui, 2012;

Lenoir & Ornelas Lizardi, 2011; Rozenblatt, 2000).

La tension entre le monde scolaire et le monde professionnel semble donc être ravivée par les débats autour du concept de la compétence (Berry & Garcia, 2016; Bulle, 2010; Chauvigné &

Coulet, 2010; Curry & Docherty, 2017; Lussi Borer & Perisset, 2012; Tiana, Moya, & Luengo, 2011). Ces débats relancent les questions relatives au rôle et au projet éducatif de l’école : celle-ci doit-elle uniquement préparer au monde du travail par le développement de compétences utiles en préparant les individus à s’adapter tout au long de leur vie ? Ou bien doit-elle former un citoyen lucide, cultivé et critique sur le monde qui l’entoure, sans lien direct avec le monde du travail ? C’est notamment l’opposition entre « savoir inutile et savoir mobilisable dans la ‘vraie vie’ » qui rappelle aux enseignants « les propos critiques récurrents des employeurs sur l’inadaptation des formations scolaires » (Duru-Bellat, 2015, p. 18). L’imperméabilité entre les deux mondes se révèle régulièrement dans les usages respectifs de la notion de compétence et dans l’ignorance dans laquelle chaque monde tient l’autre (Batal & Fernagu-Oudet, 2013; Butlen & Dolz, 2015;

Tanguy & Ropé, 1994). D’un côté, les enseignants souhaitent garder leur liberté et développer un ensemble de compétences et de savoirs qui permettront aux élèves de devenir des futurs citoyens sans forcément être utiles dans l’immédiat mais qui contribuent à la construction globale de l’individu. De l’autre, certaines structures du monde du travail souhaiteraient que les formations scolaires soient plus adaptées à leurs besoins de recrutement immédiats et futurs. Cette tension renforce des réticences idéologiques du côté de la communauté éducative vis-à-vis du concept de compétence. En effet, ce concept véhicule des valeurs libérales et professionnelles qui amènent les acteurs de la communauté éducative à freiner son intégration (Bulle, 2010; Develay, 2015;

Duru-Bellat, 2015; Gottsmann & Delignières, 2016; Hirtt, 2009; Roegiers, 2000).

Un autre élément qui appuit l’idée d’un simple effet d’affichage des enjeux justifiant l’introduction des approches par compétences concerne la faible quantité d’études qui met en évidence une réelle amélioration de l’apprentissage ou une réduction des inégalités par ces nouvelles pratiques pédagogiques (Carette, 2008; Carraccio, Wolfsthal, Englander, Ferentz, &

Martin, 2002; Chenu, Crahay, & Lafontaine, 2014; Curry & Docherty, 2017; Tardif & Dubois, 2013). Certains critiquent même le fait que l’approche par compétences pourrait accentuer ces

inégalités, par l’effort de « secondarisation » nécessaire à la résolution des situations complexes.

Ce processus de « secondarisation » dans les apprentissages expliquerait en grande partie les inégalités scolaires et les difficultés des élèves issus de milieux populaires à l’école (Cèbe &

Goigoux, 2004, p. 90). Il semble alors que la complexification du rapport aux dispositifs pédagogiques « que suppose l’approche par compétences, (ne) génère encore plus d’inégalités qu’un enseignement davantage centré sur l’enseignant » (Chenu et al., 2014, p. 18). Cette dimension de lutte contre les inégalités est un point critique que l’approche par compétences semble avoir des difficultés à dépasser : « c’est comme si nos systèmes éducatifs vivaient avec deux bras surdimensionnés (l’efficacité et l’efficience), tout en reposant sur deux jambes atrophiées (la pertinence et l’équité) » (Roegiers, 2014, p. 77). L’introduction de l’approche par compétences cherche à développer des pratiques plus efficaces pour les apprentissages des élèves, mais elle se heurte à un système éducatif fondé sur des approches disciplinaires, transmissives et qui peuvent être inégalitaires.

Ces différentes critiques sur les enjeux relatifs à l’introduction de la compétence dans l’enseignement scolaire montrent bien les tensions professionnelles autour de ce concept qui renvoient globalement à la question du projet éducatif de l’école. Ce projet est tiraillé entre d’un côté la formation d’un citoyen cultivé, lucide et critique ; et de l’autre la formation d’un travailleur adaptable au monde économique et professionel. Ces débats sont essentiels pour questionner les ambitions de l’école et son « projet éducatif » orienté « pour les élèves tels qu’ils sont, ainsi que son articulation avec le monde qui les attend, notamment, mais pas seulement le monde du travail » (Duru-Bellat, 2015, p. 27).

2. L’opposition entre savoirs et compétences : entre une épistémologie

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