• Aucun résultat trouvé

Le degré de familiarité des situations révélatrices d’un agir compétent

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 68-72)

Le « degré de familiarité » des situations dans lesquelles une compétence se construit, s’actualise et se transforme, est un point de débat qui ressort des caractéristiques définissant les situations propices à développer et à révéler un agir compétent. Des divergences sont pointées dans la littérature : certains appuient l’idée qu’une compétence doit se révéler dans une situation nouvelle et inédite, quand d’autres défendent l’idée que la compétence est forcément contextualisée dans une famille de situations. Ce débat renvoie aux questions soulevées par rapport au caractère transversal de la compétence. En effet, il semble que le transfert entre le contexte scolaire et le contexte professionnel soit difficile, voire impossible : il vaut mieux différencier les « compétences scolaires et universitaires » (Lemaître & Hatano, 2007, p. 17).

1. Un agir compétent mobilisé dans des situations nouvelles et inédites

Les travaux qui défendent le caractère inédit des situations dans lesquelles les compétences doivent être mobilisées – par rapport aux situations initiales par lesquelles celles-ci ont été apprises – s’appuient sur le concept de « compétences transversales » (B. Rey, 1996). En effet, les compétences transversales sont envisagées de façon distincte des compétences

« disciplinaires » par la diversité de leurs contextes d’utilisation, reliés à des problématiques pluridisciplinaires ou de la vie courante (O. Rey, 2012) et qui n’ont pas d’ancrage disciplinaire ou professionnel (Tardif & Dubois, 2013). Elles sont considérées comme des moyens pour s’adapter à des situations et des domaines variés, pouvant être transversaux à plusieurs disciplines (Morlaix, 2009). Elles dépassent ainsi les compétences uniquement disciplinaires, qui elles, sont rattachées à des savoirs scolaires disciplinaires spécifiques.

Considérées comme des « dispositions » acquises en formation par les apprenants, une compétence doit pouvoir être remobilisée ultérieurement dans des situations inédites qui peuvent être imprévisibles et inattendues (Barnett, 1994; Muller & Plazaola Giger, 2014; B.

Rey, 2014). Plus précisément dans le cadre scolaire, la compétence doit permettre l’utilisation de ce qu’un élève a appris, dans de nouvelles circonstances et à bon escient (Carette, 2008).

Selon cet auteur, le caractère inédit des situations est donc essentiel, tout en veillant à ce que l’apprenant puisse résoudre le problème qui lui est posé par la mobilisation de procédures déjà acquises. En effet, si les tâches doivent être complexes et différentes du contexte initial

d’apprentissage, c’est dans l’optique qu’il n’y ait pas un risque de « restitution » simple et directe par les apprenants (Beckers & François, 2011; B. Rey, 2014). Pour ces auteurs, si les situations permettent uniquement cette restitution des savoirs, alors les ambitions et les enjeux d’une approche par compétence sont inhibés, puisqu’elle n’apporte rien de plus qu’une pédagogie traditionnelle.

Une des théories en lien avec cette idée de « compétence transversale » concerne le caractère métacognitif et réflexif du processus d’apprentissage. En effet, pour que les compétences puissent être transférées, elles doivent être « explicitées et réfléchies » grâce à une mise en mot par les individus (Jonnaert et al., 2004). Ce processus de métacognition vise à permettre à l’élève de prendre conscience de sa compétence, de son contexte d’utilisation et ainsi de pouvoir la réinvestir dans d’autres contextes plus ou moins proches. C’est notamment par un processus de conceptualisation et de décontextualisation, ou bien de décontextualisation puis de recontextualisation que les compétences pourront être adaptées et transférées à d’autres situations (Develay, 2015; Pastré & Samurçay, 2001; O. Rey, 2012).

2. Un agir compétent contextualisé dans des situations familières

Pour d’autres auteurs, les compétences ne sont pas transférables dans n’importe quelle situation et à n’importe quelles conditions : elles sont spécifiques à une famille de situations, c’est-à-dire qu’elles mobilisent des ressources spécifiques à ces familles (Carré & Caspar, 1999;

Jonnaert et al., 2015; Jonnaert, Ettayebi, & Defise, 2009; Meirieu, 2005; Perrenoud, 2011; B.

Rey et al., 2006). Ces familles de situations présentent alors des traits de similitudes au niveau des problèmes à résoudre par les apprenants (Gréhaigne, Poggi, & Zerai, 2017; Rossi, Gibon,

& Roosli, 2016). Le caractère contextualisé des apprentissages, limite ainsi leur transfert à des gammes de situations regroupées selon des traits structurels communs (O. Rey, 2012; Tardif &

Dubois, 2013). L’agir compétent est donc « situé », c’est-à-dire contextualisé dans des familles de situations qui lui donnent sens (Barbier & Galatanu, 2004; Masciotra & Medzo, 2009) ou bien dans un champ d’expérience significatif pour l’individu (Masciotra et al., 2011).

C’est le caractère « incorporé » et situé des compétences qui est alors mis en avant dans ces conceptions, c’est-à-dire que la compétence est ancrée dans des situations et des contextes singuliers d’apprentissage et d’utilisation (Barbier & Galatanu, 2004; Jonnaert et al., 2004;

Pastré & Samurçay, 2001). Pour autant, les auteurs soulignent que le caractère de familiarité diffère selon les individus et selon les interprétations qu’ils font des caractéristiques de la situation (B. Rey, 2014). En effet, c’est la perception de traits familiers par l’individu dans une situation qui va impacter le réinvestissement d’une compétence dans cette situation.

L’interprétation des situations est décisive pour agir dans une tâche nouvelle, c’est à dire « le moment par lequel l’élève repère sélectivement certains caractères d’une situation, ceux qui précisément lui signaleront l’assemblage de procédures et de connaissances qu’il convient de mobiliser » (B. Rey, 2014, p. 34). Une activité familière dépend donc des « traces expérientielles et personnalisées » qui sont sédimentées dans l’environnement par l’individu et qui « structurent en retour l’activité de l’acteur dans des formes singulières d’activité », comme l’utilisation d’objets par exemple (Adé, Sève, & Serres, 2007).

Une opposition conceptuelle est donc liée au caractère familier ou inédit des situations dans lesquelles la compétence peut se transférer et se révéler. C’est notamment la question du degré de familiarité des situations qui nous interroge et la façon dont les élèves perçoivent cette familiarité, c’est-à-dire sur quels jugements et interprétations ils s’appuient pour repérer une situation comme familière. Nous allons ainsi préciser la façon dont est caractérisée cette perception des traits de famille lorsque l’on définit une compétence ou un agir compétent.

3. Apprendre à percevoir des éléments de familiarité entre les situations pour construire un agir compétent

Le caractère de familiarité peut être étudié à travers plusieurs conceptions de la compétence : les conceptions constructivistes et les conceptions situées et enactives.

Selon la perspective constructiviste, le repérage des éléments communs et singuliers entre les situations est permis par une organisation mentale efficace dans les situations, appelée un schème (B. Rey, 2014; Vergnaud, 1994). Ce schème est une structure psychologique adaptative qui permet d’appréhender les éléments communs d’une situation à l’autre et d’interpréter la situation dans laquelle il doit agir (Nagels, 2011; B. Rey, 2014) en l’associant à une classe de situations (Carré & Caspar, 1999; Coulet, 2016). Ce sont globalement des procédures d’action qui s’enrichissent et se développent pour s’adapter aux situations concrètes rencontrées (Pastré, Mayen, & Vergnaud, 2006; Tardif & Lessard, 1999). En d’autres mots, l’identification de régularités et de potentialités va permettre l’émergence d’invariants opératoires, c’est à dire de réponses spécifiques, contextualisées ou bien générales et explicitées (Gréhaigne et al., 2017).

Même si l’action est toujours singulière, elle comporte une part de généralisation : des configurations de situations qui émergent selon le couplage entre l’acteur et l’environnement (Pastré, 2011). Ces schèmes sont des structures qui sont construites au fil de l’expérience de l’individu et qui vont être améliorées et remaniées au fil des situations rencontrées. La perception et l’interprétation des situations est donc importante dans le processus de

transformation des schèmes et va contribuer à l’amélioration de leur efficacité dans des situations plus ou moins inédites.

Selon la conception enactive, la capacité à repérer des éléments familiers renvoie plutôt à l’identification d’« offres pour l’action » qui vont permettre de percevoir non pas « un environnement neutre et objectif mais un environnement ‘marchable’, ‘sautable’, ‘grimpable’,

‘courable’ », qui va appeler des « configurations » d’activité spécifiques pour gravir une voie ou franchir un obstacle par exemple (Durand & Poizat, 2015, p. 37). Cette capacité à percevoir et à envisager l’environnement comme une réalité « agie » renvoie au concept « d’affordances » où l’individu apprend à percevoir et à saisir des opportunités d’action qui émergent de son couplage avec l’environnement (Bril, 2002). Cette perception des éléments de l’environnement est donc primordiale : ces éléments ne sont pas déposés en soi mais ils vont dépendre de chaque individu et de l’interprétation que ce dernier fait. Ce point questionne donc les pratiques pédagogiques sur la façon dont l’enseignant peut construire des traits de similarité entre le contexte initial d’apprentissage et les contextes de mobilisation de la compétence qui s’en suivent. En effet, cette proximité entre les contextes d’apprentissage et de mobilisation est considérée comme un levier essentiel au développement des compétences (Terré, Sève, &

Saury, 2016). Ce point nous questionne sur ce qui est repéré comme similaire par les élèves entre les situations d’apprentissage proposées par l’enseignant : nous chercherons à y répondre afin de mieux envisager les réinvestissements possibles des compétences ailleurs et plus tard.

Nous avons donc vu les caractéristiques essentielles des situations susceptibles de favoriser le développement et la transformation d’un agir compétent, et notamment le fait de repérer des traits de familiarité entre les situations. D’autres caractéristiques de la compétence font consensus dans la littérature sur lesquelles nous allons nous appuyer dans les paragraphes suivants.

CHAPITRE 4

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 68-72)

Outline

Documents relatifs