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Le caractère flou et polysémique du concept de compétence : quelles possibilités d’appropriation par les enseignants ?

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Les débats et tensions autour du concept de compétence dans la culture professionnelle de l’enseignement scolaire

3. Le caractère flou et polysémique du concept de compétence : quelles possibilités d’appropriation par les enseignants ?

3.1. La polysémie du concept de compétence et de ses fondements théoriques

Un autre élément récurrent des critiques émises à propos des textes ayant défini et caractérisé le concept de compétence concerne le manque de clarté et la polysémie du concept. Pour Jonnaert, la notion de compétence est une « nébuleuse dans le champ de l’éducation » (Jonnaert, 2017, p.

6). En effet, il ressort des textes officiels que le concept de compétence renvoie à un ensemble varié de significations, allant d’un caractère très général et transversal, à des objectifs parfois très spécifiques et contextualisés (Araya Muñoz, 2011; Barbier & Galatanu, 2004; Beckett, 2004;

Bulea & Bronckart, 2005; Coulet, 2016; Dierendonck et al., 2014; Dolz & Ollagnier, 2002; Elliot

& Dweck, 2005; Gaussel, 2018; Hager, 1995; Lum, 1999; O. Rey, 2012; Roegiers, 2000; Scheeres

& Hager, 1994; Tanguy & Ropé, 1994; Weinert, 1999; Westera, 2001).

Par exemple, « les compétences font parfois référence à des attitudes (performances mesurables dans des actes) ou à des comportements (savoir-faire, être capable de), ou encore à des fonctions (actes ordonnés par une finalité), mais aussi à des potentialités (disposition interne au sujet), qui s’actualisent sous forme de réponses nouvelles à des situations nouvelles » (Gaussel, 2018, p. 2). Plusieurs auteurs évoquent même un continuum de définitions fondées sur des options scientifiques différentes (Chauvigné & Coulet, 2010) : par exemple, d’un côté la compétence renvoie à une performance objectivable et mesurable selon une acceptation béhavioriste ; et de l’autre elle est une potentialité d’action propre au sujet, manifestée par la capacité de produire une infinité de conduites adaptées à de nouvelles situations, selon une option cognitiviste (Cortesero, 2013; Westera, 2001). Ce continuum peut également différencier d’un côté une dimension cognitive et technique de la compétence, et de l’autre une dimension plus sociale, affective et motivationnelle (Coulet, 2016). Ces différentes définitions se retrouvent dans les pratiques pédagogiques et les formes d’évaluation : d’un côté on évalue la maitrise d’une compétence attendue définie dans un référentiel, à travers une performance en référence à une norme explicite ; de l’autre, la compétence se révèle à partir d’un processus d’auto-évaluation dans une perspective de développement personnel (Cortesero, 2013; Coulet, 2016).

Cette diversité de définitions proposées dans la littérature (Coulet, 2016; Fourez, 1999;

Weinert, 1999), est éclairée par des cadres théoriques variés et parfois opposés sur le plan épistémologique (Carré & Caspar, 1999; Jonnaert, Barrette, Boufrahi, & Masciotra, 2004). Nous pouvons résumer trois conceptions théoriques de la compétence : a) celles qui sont inspirées des théories innéistes où la compétence est une disposition naturelle, un ensemble d’aptitudes ou de

talents révélés par l’expérience ; b) d’autres qui sont issues d’approches empiristes et béhavioristes où la compétence est réduite à des manifestations observables, c’est-à-dire des comportements et des performances ; et c) celles qui sont issues des théories constructivistes et cognitivistes où la compétence relève de constructions cognitives au fil des apprentissages et de l’expérience des individus (Coulet, 2016; Hager, 1995). Au-delà de ces définitions multiples, plusieurs « erreurs » sont également repérées dans les définitions de la compétence (Jonnaert, 2017) : a) des définitions

« lacunaires », où la compétence est définie à travers « la capacité à faire quelque chose » ; b) des définitions « tautologiques » où la compétence est définie par elle-même (i.e., la compétence c’est être compétent) ; c) des définitions inscrites dans des rapports de synonymie, où par exemple la capacité est confondue comme un moyen, une ressource ou une finalité ; et enfin d) des définitions où la compétence est assimilée à des catégories de savoirs. De plus, dans la littérature anglo-saxonne, la compétence est souvent associée au terme de « skills », considéré comme un nouveau standard dans l’écriture des curricula mais qui se rapproche plutôt des terminologies relatives aux habiletés motrices et aux capacités (Chen, Zhu, Mason, Hammond-Bennett, & Colombo-Dougovito, 2016; Westera, 2001). De ce fait, les « skills » sont plutôt considérées comme une des composantes de la compétence (Haste, 2009) et ne peuvent être synonymes.

3.2. Une difficile appropriation du concept par les enseignants

Malgré une littérature abondante, le concept de compétence reste donc un objet mal cerné (Figueras Comas, Capllonch Bujosa, Blázquez Sánchez, & Monzonís Martínez, 2016), qui est porteur de définitions nombreuses, parfois issues de cadres théoriques qui s’opposent et qui manque in fine de conceptualisation et de clarification (Muller & Plazaola Giger, 2014; Perrenoud, 2002; Tanguy, 1996; Westera, 2001; Willbergh, 2015). Ces incertitudes freinent son intégration réelle dans les pratiques professionnelles à cause d’un ensemble de résistances de la part des enseignants (Butlen & Dolz, 2015; Develay, 2015; Lleixa, Gonzalez-Arevalo, & Braz-Vieira, 2016; Maroy, 2006; Morrissette & Legendre, 2012; Renaud & Dupaux, 2011). Au-delà des réticences idéologiques que nous avons pu voir précédemment sur la conception de la culture et de l’éducation, d’autres difficultés peuvent être pointées concernant l’intégration des approches par compétences dans les pratiques professionnelles.

D’abord, il semble que l’approche par compétences nécessite un travail collaboratif important de la part des équipes éducatives. Toutefois, les communautés éducatives ont souvent des difficultés à s’impliquer dans ces nouvelles approches (Barrachina Peris & Blasco Mira, 2012;

Byrne et al., 2013), en raison notamment d’un manque de temps alloué au travail collectif et

collaboratif (Byrne et al., 2013). Les réformes introduisant le travail par compétences, comme celles qui développent le travail interdisciplinaire, engendrent une surcharge et une complexification du travail des enseignants (Brown, 1994; Dierendonck et al., 2014; Maroy, 2006), et ne sont pas forcément accompagnées dans les pratiques et dans les formations (Cobb &

Bowers, 1999; Curry & Docherty, 2017; Masciotra, Roth, & Morel, 2008; Roegiers, 2000), ni dans la valorisation salariale ou statutaire. Ce travail collaboratif nécessaire dans les approches par compétences semble donc difficilement mise en place dans les établissements scolaires. Il peut être également expliqué par le cloisonnement disciplinaire (Prieur, Aldon, & Pastor, 2012) qui tend à fragmenter les apprentissages et les évaluations des compétences (Curry & Docherty, 2017).

Les enseignants ont plutôt tendance à se centrer sur l’évaluation de leurs savoirs disciplinaires et non pas sur les compétences transversales (Prieur et al., 2012; Zapatero Ayuso et al., 2013).

Ensuite, plusieurs études mettent en évidence des difficultés d’appropriation des approches par compétences chez les enseignants à cause d’un manque de formation aussi bien individuelle pour les enseignants, que collective pour les équipes éducatives (Agbodjogbé, Attiklémé, & Atoun, 2014; Attiklemé, 2009; Barrachina Peris & Blasco Mira, 2012; Beckers, 2002). Certains enseignants déplorent des attentes institutionnelles incohérentes voire contradictoires (Carette &

Kahn, 2010; Csorba, 2013; Jonnaert, 2002; Jonnaert, Ayotte-Beaudet, Benazo, Joëlle, & Furtuna, 2015; Loisy et al., 2014; Prieur et al., 2012), ainsi qu’un manque de ressources disponibles et adaptées (Agbodjogbé et al., 2014; Barrachina Peris & Blasco Mira, 2012; Prieur et al., 2012), ou encore une lourdeur des procédés et des outils mis à disposition (Dierendonck et al., 2014; Lleixa et al., 2016).

Les réticences et les difficultés des enseignants sont donc liées à un ensemble d’interrogations sur l’intégration du concept de compétence dans les pratiques professionnelles et à ses usages (Gérard & Braibant, 2003; Halász & Michel, 2011; Jonnaert, 2017; Legendre, 2001; Roegiers, 2000; Van der Maren & Loye, 2012). Elles expliquent ainsi une grande variabilité dans la mise en œuvre de l’approche par compétences dans l’enseignement scolaire (Duroisin, Soetewey, &

Demeuse, 2011; Lleixa et al., 2016). De plus, au sein même des établissements scolaires, des décalages sont observés entre les ambitions affichées au départ et la réalité de ce qui est mis en place. Par exemple concernant le développement de l’autonomie et la responsabilité des élèves, ces objectifs sont rarement atteints puisqu’une place mineure est réellement déléguée aux élèves (Byrne et al., 2013; Csorba, 2013; Venturini & Tiberghien, 2012). Certains décalages peuvent aussi apparaitre entre les enjeux visés par l’enseignant en termes de construction de compétences attendues et la situation d’apprentissage telle qu’elle est perçue par les élèves (Venturini &

Tiberghien, 2012). Les pays qui ont le plus de chance de réussir la mise en œuvre des programmes par compétences sont ceux qui investissent à la fois massivement dans les réformes curriculaires et qui soutiennent les initiatives locales d’innovations (Halász & Michel, 2011). En effet, l’accompagnement institutionnel fait partie des points d’appui dans le développement d’une approche par compétences dans les pratiques (Prieur et al., 2012). Seulement, en France, cet accompagnement a été très faible (Houchot & Robine, 2007) et constitue un des éléments qui explique que l’intégration d’une approche par les compétences ne réponde pas aux enjeux et aux ambitions affichés.

Pour conclure, cette première partie a permis de mettre en évidence plusieurs éléments justifiant l’approche par compétences dans les milieux de l’école : un enjeu de lutte contre les inégalités scolaires ; et l’ambition de former des citoyens compétents, capables de s’intégrer et de s’investir dans un monde de plus en plus complexe. Mais il existe également beaucoup de résistances et de freins à l’intégration de l’approche par compétences : des freins idéologiques par rapport aux valeurs véhiculées par ce concept ; des résistances de la part des disciplines scolaires et des enseignants eux-mêmes pour un ensemble de raisons que nous avons évoquées. Au-delà de ce contexte institutionnel, politique et idéologique, peu d’études se sont intéressées concrètement à la construction des compétences chez les apprenants (Figueras Comas et al., 2016) et à la compréhension de leur activité en situation concrète d’apprentissage, un projet que nous nous proposons de poursuivre dans cette thèse.

PARTIE II

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