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La Slovaquie : l’Etat pionnier dans l’ouverture des archives

Section I. La lustration tchécoslovaque à l’origine du phénomène

B. La Slovaquie : l’Etat pionnier dans l’ouverture des archives

163. La Slovaquie a été le premier Etat postcommuniste à procéder à la publication officielle des listes de toutes les personnes dont les dossiers se trouvaient dans les archives datant de l’époque communiste130

. Au total, 81.000 noms divisés en trois catégories (personnes surveillées, ennemis du régime et collaborateurs) sur une population de 5.400 000 habitants ont été publiés.

164. La liste des fonctionnaires de la StB, y compris ceux travaillant dans les services du contre-espionnage, a également été publiée par l’Institut. Cependant, c’est la liste des 10.000

128 La loi de 2002 définit cette notion de la façon suivante : « est considérée comme irréprochable une personne qui n’était pas membre du parti communiste de la Tchécoslovaquie, du parti communiste de la Slovaquie, des partis politiques associés au Front National ou un agent des organisations associées au Front National et qui n’était pas membre ou fonctionnaire des services de sécurité de l’Etat, ni membre de la milice populaire, ni collaborateur des services de sécurité » (§ 11). Ainsi, nous pouvons en déduire que les anciens membres du parti communiste ne peuvent pas siéger dans les instances de l’Institut.

129 C’est le Conseil national de la République slovaque (Národná rada Slovenskej republiky) qui exerce le pouvoir législatif en République slovaque, c’est un parlement monocaméral composé de 150 membres, site : http://www.nrsr.sk/Default.aspx?Lang=fr (30/07/2010).

130 NIEWIADOWSKI Andrzej, SIERSZULA Barbara, « Czechoslowackie teczki w sieci » (« Les dossiers tchécoslovaques sur l’Internet »), Rzeczpospolita, 23/09/2006. Voir aussi: NIEWIADOWSKI Andrzej, « Slowacy ujawnili teczki bezpieki » (« Les Slovaques ont divulgué les dossiers des services secrets »), Rzeczpospolita, 23/09/2006.

80 collaborateurs de la StB qui a suscité les plus vives émotions131. Cette liste, publiée sur Internet et en version « papier » indiquait les noms, date de naissance, catégorie de collaborateur132, nom de code, numéro d’enregistrement, dates d’ouverture et de fermeture du dossier et la signature de l’officier de la StB procédant à l’ouverture du dossier du collaborateur.

1. La procédure de divulgation des dossiers

165. Deux sections (en l’occurrence III et IV) de la loi sont consacrées à la procédure à appliquer ainsi qu’à la compétence de l’Institut en matière de divulgation des documents de la StB. Deux cas sont envisagés : toute personne physique qui a au moins 18 ans dispose d’un accès aux dossiers se trouvant dans les archives de l’Institut. Elle peut vérifier si elle a été poursuivie par la StB (par ses collaborateurs ou fonctionnaires) (§ 17) ou si elle a été enregistrée dans les archives en tant que collaborateur (§ 18).

166. Chaque citoyen slovaque bénéficie d’un droit d’accès aux dossiers le concernant, ce droit étant transmis à ses proches (enfants, époux) en cas de décès. Les dossiers des collaborateurs de la StB sont accessibles à tous les citoyens slovaques majeurs après avoir déposé une demande officielle à l’Institut133. Ainsi, chaque citoyen peut demander s’il existe, dans les archives détenues par l’Institut, son dossier personnel ou un dossier contenant des données personnelles le concernant (§ 17, al. 1, lettre a). L’Institut est tenu de transmettre à la personne demandeuse la copie de son dossier.

167. De plus, dans le cas où ce dossier contiendrait les noms ou les noms de code des collaborateurs ou membres des services de sécurité, l’Institut doit également lui transmettre les dossiers de ces personnes (à l’exception des données concernant leurs familles). En outre, l’Institut est chargé de divulguer à la personne demandeuse tous les documents en sa possession, liés à l’activité entreprise à son égard par la StB (§ 17, al. 1, points 1 et 2). Enfin, la loi prévoit que la personne, dont le nom a été indiqué sur la liste de collaborateurs de la StB, peut déposer une déclaration écrite présentant sa position en la matière. L’Institut est

131 BUKALSKA Patrycja, SADOWSKI Rafal, EBERHARDT Adam (dir.), op. cit., p. 8.

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Il s’agit des catégories des collaborateurs énumérées à § 2, point i de la loi sur la mémoire de la Nation, indiquées ci-dessus.

133 C’est l’article 20 de la loi qui définit les éléments qui doivent être indiqués dans le formulaire de demande officielle adressé à l’Institut. Il s’agit, entre autres, du nom, prénom, numéro d’identification accordé à la naissance, date de naissance, adresse et nationalité d’un demandeur. Le formulaire de la demande est disponible sur le site de l’Institut : http://www.upn.gov.sk/v2/index.php?page=documents (28/07/2010).

81 ensuite tenu de publier cette déclaration sur Internet à côté du nom de la personne considérée comme collaborateur.

2. Le bilan de l’activité de l’Institut de la mémoire de la Nation

168. L’Institut slovaque ne dispose pas des compétences de procureur comme c’est le cas notamment de l’Institut de la mémoire de la Nation en Pologne. Cependant, la loi sur la mémoire de la Nation lui accorde un très large pouvoir en matière de publication des documents disponibles dans les anciennes archives de la StB. L’Institut publie, par tous les moyens – presse écrite ou médias électroniques, les fichiers contenant des protocoles conservés ou reconstitués, ou tout autre enregistrement provenant du Service de sécurité de l’Etat de 1939 à 1989, indiquant la date de création de ce fichier (§ 19, al.1). De plus, l’Institut publie la liste des dossiers personnels des membres de la StB, indiquant la date de leur entrée en service, les fonctions qu’ils ont exercées ainsi que la date de cessation de service au sein de la StB (§ 19, al. 2). Par là, l’Institut participe à la divulgation du fonctionnement des réseaux des employés et collaborateurs du StB.

169. L’ouverture des archives de la StB s’est accompagnée de nouvelles révélations et donc de scandales134. Les représentants de l’Institut ont signalé, entre autres, que les services tchécoslovaques de renseignement étaient dirigés par le KGB135. Parmi les noms des fonctionnaires et collaborateurs de la police secrète publiés par l’Institut figurent les noms de nombreux prêtres y compris de Mgr Jan Sokol, archevêque catholique de Bratislava136. Mgr Sokol, a nié les accusations selon lesquelles il fournissait des informations liées aux affaires intérieures de l’église catholique slovaque ainsi qu’à l’activité des prêtres « émigrés » se trouvant au Vatican137.

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Certains partis politiques, notamment le Mouvement pour la Slovaquie démocratique (HZDS), parti de Vladimir Meciar, revendiquent la dissolution de l’Institut parce ce qu’il a rempli son rôle. Il en est de même pour M. Robert Fico, chef du gouvernement slovaque pour qui « l’Institut manipulait et manipule les dossiers des agents », NIEWIADOMSKI Andrzej, « Slowacki IPN na bruku » (« L’Institut de la mémoire de la Nation slovaque à la rue »), Rzeczpospolita, 08/01/2007.

135 D’autres faits sont également communiqués sur la base des informations provenant des archives, notamment la proposition de Lubomir Sztrougal, Ministre des affaires intérieures qui, en 1962, postulait la création d’une Division de désinformation en charge de préparer des données fausses sur la situation de l’Etat, de l’économie et sur les citoyens selon NIEWIADOWSKI Andrzej, SIERSZULA Barbara, « Czechoslowackie teczki w sieci » (« Les dossiers tchécoslovaques sur l’Internet »), op. cit.

136 Mgr Jan Sokol était souvent comparé à Mgr Jan Wielgus, l’archevêque polonais dont le passé entaché par une possible collaboration avec les services secrets polonais l’empêcha de devenir le primat de Pologne.

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BRUNCZ Dariusz, « Slowacki Wielgus – Abp. Jan Sokol » (« Wielgus slovaque – Jan Sokol, l’archévêque »), 14/02/2007, site Ekumenizm.pl: http://www.ekumenizm.pl/article.php (26/07/2010).

82 170. La situation en Slovaquie est atypique au regard des autres Etats postcommunistes. En effet, l’ouverture des archives de la StB n’a pas menacé ses élites. Comme souligne Martin Simecka, ancien dissident et écrivain slovaque « (…) les hauts dignitaires de l’ancien régime

avaient déjà quitté la vie politique – un des derniers était le Président Rudolf Schuster138. Quant aux dissidents, on les comptait sur les doigts de la main sous le communisme (….). L’élite politique slovaque est composée d’une pléiade de technocrates médiocres auxquels l’ancien régime ne s’intéressait pas (…). Cette élite n’a rien à craindre des archives de la StB. Je doute fort que la publication des archives de la StB puisse aboutir à rétablir la justice historique. (…) Pourtant, je considère que la publication de ces dossiers va forcer la société à respecter un peu plus la morale et la justice, puisque ce qui est en cause est le comportement de l’individu confronté au système. Et, quand un politicien démissionne en raison de son passé, il s’agit d’un premier signe de catharsis. C’est une raison suffisante pour juger positivement l’ouverture des archives139

».

171. Le cas slovaque présente un certain nombre des caractéristiques spécifiques. La loi sur la lustration telle qu’adoptée en Pologne ou en République tchèque, n’existe pas en Slovaquie. Le fait d’être collaborateur de l’autorité de sécurité (StB) n’a donc pas de conséquences juridiques concrètes, notamment l’interdiction d’exercer un certain nombre de fonctions dans l’appareil de l’Etat pendant un temps déterminé. Par ailleurs, l’obligation de déposer une déclaration de lustration n’est pas exigée de la part des candidats aux postes clés dans l’administration nationale slovaque.

172. L’Institut de la mémoire de la Nation a procédé, dès sa création en 2002, à la publication des documents disponibles dans les archives de l’ancienne StB. Cette divulgation est sans précédent parmi l’ensemble des Etats postcommunistes qui ont lancé la procédure de lustration et l’ouverture progressive des archives communistes. L’accès aux archives slovaques est très large. Chaque citoyen a le droit de prendre connaissance des informations recueillies à son égard et de connaitre le nom de ses dénonciateurs. Le peuple slovaque peut

138 Rudolf Schuster a exercé la fonction du Président de la République slovaque du 15 juin 1999 au 15 juin 2004, issu du Parti de la compréhension entre citoyens (en slovaque : Strana občianskeho porozumenia – SOP).

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SIMECKA Martin, « Slovaquie, après le non-dit, un début de catharsis », Courrier International, n° 752, 2005, p. 43.

83 se confronter à son passé nazi et communiste, car les dispositions de la loi se réfèrent à la période de 1939140 à 1989.

Section II. Le cas des Etats baltes et de la Bulgarie : la désoviétisation et la

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