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Les archives des services secrets : l’accès et la gestion

Section I. La lustration tchécoslovaque à l’origine du phénomène

A. Les premières lois de lustration : gestion législative du passé lié au fonctionnement des services de sécurité de l’Etat

2. Les archives des services secrets : l’accès et la gestion

2. Les archives des services secrets : l’accès et la gestion

108. Comme c’est le cas d’autres Etats postcommunistes analysés, des mesures prévoyant la destruction des dossiers contenus dans les archives de la StB ont été prises par le Ministre des affaires intérieures pendant la « révolution de velours ». Dans un premier temps, les dispositions figurant dans les actes de nature administrative (instructions dans la plupart des cas) visaient à protéger le réseau des collaborateurs secrets afin d’éviter la divulgation de leur identité. L’instruction du 4 décembre 1989 d’Alojz Lorenc, vice Ministre des affaires intérieures de l’époque, adressée à tous les chefs de l’administration de la StB, ordonnait de « se débarrasser des matériaux qui avaient perdus de la valeur aux fin de la sûreté de

l’Etat »69

. Ladite instruction visait à ce que toute information compromettante soit détruite ou au moins déplacée70.

a) Le passage d’un accès limité vers l’ouverture totale des archives de la StB

109. La publication illégale, en 1992, de la liste de 220.000 noms d’individus qui collaborèrent avec la StB a entrainé de nombreuses controverses. C’est Petr Cibulka71, ancien dissident et rédacteur du bihebdomadaire « Rudé Kravo » qui décida de les publier. Ces publications, connues aussi sous le nom des « listes de Cibulka » (en tchèque : « Cibulkovy

seznamy ») 72 , contenaient toutes les catégories de collaborateurs (agents, résidents,

68 BUKALSKA Patrycja, SADOWSKI Rafal, EBERHARDT Adam (dir.), Raport – Lustracja w krajach Europy Srodkowej i panstwach baltyckich (Rapport – Lustration dans les Etats de l’Europe centrale et les Etats baltes), Warszawa, Osrodek Studow Wschodnich, 2009, p. 5.

69 Il s’agit de l’Instruction du 4 décembre 1989, n° NZ-00671/89.

70 La Cour constitutionnelle relate dans son arrêt du 26 novembre 1992 (PL. US 1/92) le témoignage du Chef de l’Office fédéral du Ministère des affaires intérieures pour la protection de la Constitution et de la démocratie présenté devant la Haute Cour Militaire à Tabor qui a constaté qu’à la suite de cette instruction les fichiers opérationnels entiers sur le système d’investigation, y compris les dossiers concernant les collaborateurs secrets ont été détruits. Après avoir rejoint le Ministère des affaires intérieures (le 2 février 1990), le témoin a constaté que 90 à 95% des coffres forts situés dans la Deuxième unité administrative responsable pour la lutte contre les ennemis internes étaient vides ou ne contenaient que du papier brouillon sans valeur. En ce qui concerne cette unité, 89,9% des dossiers ont été détruits ou déplacés vers un endroit inconnu.

71 Petr Cibulka est né en 1950 à Brno en l’ex Tchécoslovaquie.

72

Les noms figurant sur la « liste de Cibulka » sont disponible sur le site : http://www.cibulka.com/ (31/09/2010). Vaclav Havel, Président à l’époque de la publication des listes par Petr Cibulka, son ami était

60 propriétaires d’appartements de conspiration, candidats à la collaboration et personnes de confiance73). Il existait une différence considérable entre les « listes de Cibulka » et la liste officielle publiée par le Ministère des affaires intérieures en 2002 qui contenait environ 75.000 noms. Cette dernière a pris en compte l’arrêt de la Cour de la RFTS de 1992, selon laquelle les « candidats à la collaboration » et « personnes de confiance » ne pouvaient pas être considérés comme collaborateurs. De plus, la liste officielle, contrairement aux « listes de

Cibulka », n’indiquait pas les noms des employés et collaborateurs de la StB de nationalité

slovaque74.

110. Le premier acte normatif se référant à l’accès aux archives des services secrets a été adopté en 1996 - la loi sur l’accès aux dossiers de la StB75. Cet accès visait uniquement les dossiers personnels. Par ailleurs, la personne consultant son dossier n’était pas en mesure de voir les noms ni les données personnelles d’autres personnes, soigneusement cachés. L’ensemble des dossiers était stocké par le Ministère des affaires intérieures et accessible dans un centre archivistique situé dans la ville de Pardubice (60.000 dossiers demeuraient à disposition des demandeurs individuels76).

111. Le législateur tchèque a élargi en 200277 cet accès en modifiant la loi de 1996. Il est désormais ouvert aux dossiers de tous les collaborateurs. En même temps, le Ministère des affaires intérieures a été autorisé à établir la liste complète des collaborateurs (cf. infra). Cette liste, contenant 75.000 noms a été ensuite publiée sur Internet et est également disponible gratuitement dans les publications éditées par le Ministère. L’adoption de la loi du 30 juin fermement opposé à ce type de publication. Voir aussi au sujet de la publication l’interview de Jan Malina avec Petr Cibulka, « In Eastern Europe Things Are Not What They Seem », 10.03.2003, disponible sur le site : http://www.jrnyquist.com/petr_cibulka_2003_0310.htm (31/09/2010).

73 BAMBASOVA Daniela, « Les archives de la StB ou les continuelles polémiques quinze ans après la fin du régime tchécoslovaque », Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, n° 21, 2005, l’article disponible sur le site du L’Institut Pierre Renouvin : http://ipr.univ-paris1.fr/spip.php?article268 (08/10/2011).

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Le cas tchèque fait penser à celui de la Pologne, puisque dans ces deux Etats les noms des personnes collaborant avec les services secrets ont été publiés illégalement dans les médias. En Pologne, les noms des agents ont été publiés sur Internet par le journaliste Bronislaw Wildstein, d’où la « liste de Wildstein».

75 La loi du 26 avril 1996, No 140/1996 Sb. (en tchèque : Zákon o zpristupneni svazku vzniklych cinnosti byvale Statni bezpecnosti).

76 POLANSKA Marta, PERZYNA Pawel, « Podstawy prawne dzialania archiwum Instytutu Pamieci Narodowej na tle rozwiazan wybranych krajow Europy Srodkowo-Wschodniej » (« Les bases juridiques de fonctionnement de l’archive de l’Institut de la mémoire nationale sur le fond des solutions adopté par certains Etats de l’Europe centrale et de l’Est ») in ROBOTKA Halina (dir.), Prawo archiwalne. Stan aktualny i perspektywy zmian, Materialy miedzynarodowej Konferencji Torun 20-21 kwietnia 2007, (Droit des archives. L’état actuel et perspéctives de modifications, Matériaux de la conférence internationale organisée à Torun les 20-21 avril 2007), Torun, Wydawnictwo Adam Marszalek, 2007, p. 87.

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Il s’agit de la loi du 8 mars 2002 relative à l’amendement de la loi sur l’accès aux dossiers de la StB, No 107/2002 Sb. (en tchèque : změna zákona o zpřístupnění svazků vzniklých činností bývalé STB).

61 2004 sur l’archivage, les services d’enregistrement et sur l’amendement de certaines lois78

a prévu l’accès illimité aux archives de la StB, celles du Parti communiste et du Front national. Cependant, cet accès ne permet pas la divulgation d’informations concernant de tierces personnes. Si une personne publie des informations trouvées dans les archives concernant un tiers, ce dernier peut saisir le tribunal à son encontre.

b) L’Institut d’études sur les régimes totalitaires et l’Archive des services de sécurité

112. L’absence d’un Institut de la mémoire nationale tel qu’il en existe en Pologne ou en Slovaquie constituait une des lacunes de la lustration tchèque, considérée pourtant comme un modèle. Certes, depuis janvier 1994, l’Office de documentation et de poursuite des crimes communistes appartenait aux structures de la police et possédait de facto des compétences en matière de poursuites, mais aucune tâche relative aux archives de la StB ne lui a été confiée79. Il a fallu attendre l’adoption de la loi du 8 juin 2007 concernant l’Institut d’études sur les régimes totalitaires et l’Archive des services secrets et sur l’amendement de certaines lois80

, pour instaurer l’Institut d’études sur les régimes totalitaires (en tchèque : Ústav pro

studium totalitních režimů, ci-après, IERT81). L’Institut, qui est une unité organisationnelle de l’Etat, a commencé son activité le 1er

février 2008 et a son siège à Prague.

113. Le contenu de la loi sur l’IERT et l’Archive des services de sécurité (ci-après, l’Archive) a introduit une distinction sémantique originale en distinguant deux périodes. La première, la « période de non liberté » allant du 30 septembre 1938 au 4 mai 1945, correspondait à l’occupation nazie et la seconde, la « période du pouvoir communiste

78 No 499/2004 Sb. (en tchèque : Zákon ze dne 30 června 2004 o archivnictví a spisové službě a o změně některých zákonů).

79 L’office a été crée en vertu de la décision du Ministre des affaires intérieures, No 83/1994 Sb., voir aussi : BUKALSKA Patrycja, SADOWSKI Rafal, EBERHARDT Adam (dir.), op. cit., p. 6.

80 No 181/2007 Sb. (en tchèque Zákon o Ústavu pro studium totalitních režimů a o Archivu bezpečnostních složek a o změně některých zákonů). La loi contient un préambule solennel dans lequel, le législateur exprime que « La connaissance des sources historiques et autres documents relatifs aux régimes nazi et totalitaire et événements qui ont conduit à leur établissement rend plus facile la compréhension des conséquences de la destruction systématique des valeurs traditionnelles de la civilisation européenne, la violation délibérée des droits de l'homme et des libertés, le déclin moral et économique accompagné par des crimes judiciaires et de terreur contre les partisans d'opinions différentes, le remplacement d'une économie de marché viable par un contrôle direct, la destruction des principes traditionnels fondés sur le droit de propriété, l'abus de l'éducation ainsi que de la science et de la culture à des fins politiques et idéologiques, et la destruction insouciante de la nature». Les parlementaires ont admis également l’importance de l’éducation des citoyens en la matière qui permet de « renforcer les traditions démocratiques (…) et d’accomplir des idéaux de la justice en décrivant les crimes commis et identifiant leurs organisateurs et exécuteurs ».

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totalitaire » du 25 février 1945 au 29 décembre 1989, visait le régime communiste82. Ainsi, la principale tâche de l’IERT est d’étudier et d’évaluer de manière objective ces deux périodes de référence. En outre, l’IERT procède à des investigations dans le domaine des activités criminelles des organes étatiques, leurs services secrets ainsi que celles du Parti communiste tchécoslovaque et d’autres organisations fondées sur les idéologies incriminées83

.

114. Le Directeur et le Conseil de l’Institut sont ses principaux organes. Le Conseil est composé de sept membres élus par le Sénat parmi les personnes désignées par le Président de la République, la Chambre des députés, les associations de combattants et les personnes morales engagées dans le domaine des droits de l’Homme, la recherche historique et archivistique. Le mandat est de cinq ans, il est renouvelable une seule fois84. Les membres du parti communiste d’avant 1989 ainsi que les employés de la StB sont exclus d’office de ces fonctions.

115. La loi prévoit que les dossiers de la StB soient rassemblés dans l’Archive, laquelle est une unité administrative relevant du contrôle direct de l’IERT. Certaines institutions ont l’obligation, en vertu des dispositions de la loi, de procéder au transfert de ces dossiers vers l’Archive (ont été visés : le Ministère des affaires intérieures, le Ministère de la défense y compris le service de renseignement, le Ministère de la justice, le Service d’information sur la sécurité, les Bureaux des relations étrangères et de l’information 85

). L’Archive est principalement en charge de publier et de rendre accessibles les documents et archives, d’en assurer l’accès et de fournir l’assistance nécessaire à tous les organes étatiques qui mènent des enquêtes et poursuites pénales. Les employés de l’Archive choisissent les documents qui doivent faire l’objet d’un étiquetage et ceux qui en sont exclus pour des raisons de confidentialité86. La caractéristique inédite de l’Archive réside dans le fait que le législateur tchèque a limité dans le temps son fonctionnement. Par conséquent, elle fera partie de l’Archive nationale à partir du 1er

janvier 203087 cessant en même temps de faire partie organisationnelle de l’IERT.

82

Art. 2, lettres a) et b).

83 Art. 4, lettre a).

84 Art. 7, al. 4.

85 Art. 14.

86

Art. 13.

63 116. La création de l’IERT n’a pas suscité l’unanimité chez les hommes politiques ni chez les historiens. Tous craignaient une politisation des archives. Les partis de gauche (le Parti social-démocrate tchèque et le Parti communiste de Bohême et Moravie) critiquaient farouchement cette idée. Leurs députés ont saisi la Cour constitutionnelle au motif de l’inconstitutionnalité et de l’inconventionnalité des dispositions de cette loi. Cette saisine a été interprétée comme une volonté de supprimer l’IERT. La principale crainte reposait sur le fait que la présentation des mécanismes de fonctionnement des régimes totalitaires constituerait une « version officielle » imposée aux autres institutions tchèques menant des recherches dans ce domaine. La Cour constitutionnelle tchèque a cependant rejeté ces griefs dans son arrêt du 13 mars 200888.

B. La perception de la procédure de lustration par les Cours constitutionnelles

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