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Le modèle soviétique à l’origine du fonctionnement des services secrets communistes

B. Les services secrets et leur contribution au maintien du régime communiste

1. Le modèle soviétique à l’origine du fonctionnement des services secrets communistes

52. Les services secrets du régime communiste constituent un autre élément principal dans le cadre de l’analyse de la lustration. Le fonctionnement de l’ensemble des institutions appartenant aux services secrets communistes relevait non pas des dispositions légales mais des instructions en provenance du ministre responsable, dont le statut légal était incertain. Par conséquent, seuls les fonctionnaires des services secrets et leurs supérieurs hiérarchiques avaient connaissance de leur contenu.

53. La spécificité des services secrets communistes résidait dans le fait que leur structure ainsi que leur fonctionnement s’inspiraient largement du modèle soviétique. Dans de nombreux cas, les Soviétiques eux-mêmes ont activement contribué à l’implantation de ce type de services dans les Etats concernés à la fin de la Seconde Guerre mondiale62. Les services secrets soviétiques constituaient un des trois piliers fondamentaux employés par le pouvoir communiste « avec le parti - Etat et l’Armée63 ».

54. La Tcheka soviétique (en russe : Всероссийская чрезвычайная комиссия по борьбе

с контрревол цией и саботажем64

) est considérée comme la première police politique communiste, archétype de celles qui l’ont suivie. Il s’agissait d’une institution créée le 21

61 En 1947, Eugène Varga, économiste soviétique d’origine hongroise, a défini, de la façon suivante, la notion de « démocraties populaires » au sens soviétique du terme : « la structure sociale de ces Etats diffèrent de la structure de tous ceux que nous avons connus jusqu’à présent ; c’est une chose entièrement nouvelle dans l’histoire de l’humanité. Ce n’est pas la dictature de la bourgeoisie, mais ce n’est pas non plus la dictature du prolétariat. (…) Ce ne sont pas des Etats capitalistes au sens habituel du mot. Cependant, ce ne sont pas non plus des Etats socialistes. Leur évolution vers le socialisme se base sur la nationalisation des principaux moyens de production et sur le caractère même de ces Etats », citation évoquée par LESAGE Michel, Les régimes politiques de l’URSSet de l’Europe de l’Est, op. cit., pp. 126-127.

62 C’était le cas notamment de la Pologne, de même pour l’ex-RDA, où chaque chef d’unité appartenant à des services secrets, possédait à ses côtés un instructeur soviétique, in TERLECKI Ryszard, Miecz i tarcza komunizmu. Historia aparatu bezpieczenstwa w Polsce 1944–1990, (L’épée et le bouclier du communisme. L’histoire de l’appareil de sécurité en Pologne 1944-1990), Krakow, Wydawnictwo Literackie, 2007, pp. 7-39 ; MATKOWSKA Ewa, System. Obywatel NRD pod nadzorem tajnych sluzb, (Le système. Le citoyen de la RDA sous la surveillance des services secrets), Krakow, ARKANA, 2003, p. 9.

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COURTOIS Stéphane (dir.), Dictionnaire du communisme, Paris, Larousse, 2007, p. 450.

30 décembre 1917 et dirigée par Feliks Dzerjinski, avec pour but de protéger la sécurité de l’Etat. Afin d’assurer cette sécurité, la Tcheka avait trois objectifs : « neutraliser les « ennemis du

peuple » par l’enfermement en prison ou en camp ; les exterminer par l’assassinat ; (…) terroriser les opposants puis la population, soit pour les rallier, soit pour les contraindre à la passivité65 ».

55. En 1922, la Tcheka a été remplacée par la GPU (Direction de la politique d’Etat, en russe : Объединённое государственное политическое управление). La GPU a poursuivi la politique de terreur et, à son initiative, a créé en 1930 la Direction générale des camps, connue communément sous la dénomination de Goulag à l’origine du système concentrationnaire soviétique. Ensuite, en 1934, la GPU a fait partie du NKVD (Commissariat du peuple aux affaires intérieures, en russe : Народный комиссариат внутренних дел). Cette structure mena la politique de terreur imposée par Staline et devint son principal instrument.

56. Avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, le NKVD joua un rôle clé dans la soviétisation des Etats d’Europe centrale et de l’est où les Soviétiques ont imposé leur pouvoir (Pologne66, Etats baltes, Roumanie, ex-RDA), soit en s’emparant des Etats lors de guerres civiles (Albanie, Yougoslavie), soit en obtenant un certain soutien populaire (Bulgarie, ex-Tchécoslovaquie). La fin de la Seconde Guerre mondiale commença par la liquidation des anciennes élites politiques, intellectuelles et religieuses dans tous les Etats soumis à la soviétisation en ayant recours à toutes sortes de mesures comme l’internement dans des camps de travail forcé, les déportations vers les goulags soviétiques, voire les exécutions de masse67.

65 COURTOIS Stéphane (dir.), ibidem.

66 KORKUC Maciej, « Bandyci z gwiazda » (« Les bandits avec étoile ») in MUSIAL Filip, SZARKA Jaroslaw (dir.), Polska konfidencka, (La Pologne des informateurs), Krakow, Instytut Pamieci Narodowej, Osrodek Mysli Politycznej, 2006, pp. 27-34 ; SZPYTMA Mateusz, « Ordery dla mordercow » (« Les distinctions pour les criminels ») in MUSIAL Filip, SZARKA Jaroslaw (dir.), Podrecznik bezpieki. Teoria pracy operacyjnej Sluzby Bezpieczenstwa w swietle wydawnictw resortowych Ministerstwa Spraw Wewnetrznych PRL (1970-1989), (Manuel de la sécurité. La théorie d’un travail opérationnel de Service de sécurité à la lumière des éditions des départements du Ministère des affaires intérieures de la République Populaire de la Pologne (1970-1989), Krakow, Instytut Pamieci Narodowej Komisja Scigania Zbrodni przeciwko Narodowi Polskiemu, 2007, pp. 43-48.

67 Comme l’a souligné S. Courtois, en Bulgarie, entre septembre et novembre 1944, environ 30.000 membres des élites bulgares disparurent sans laisser de trace, in COURTOIS Stéphane (dir.), Dictionnaire du communisme, op. cit., p. 453.

31 57. En 1954, naquit le KGB68 (Comité pour la sécurité de l’Etat, en russe : Комитет

государственной безопасности) qui fonctionna jusqu’en 1991, l’année de sa

transformation, en vertu de la loi du 26 novembre 1991, signée par le Président Eltsine, en Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie69. Le KGB possédait des compétences très larges, puisqu’il cumulait les fonctions de police politique et de service de renseignements. Ainsi, il était en charge de l’espionnage et du contre-espionnage, de la lutte contre la criminalité économique et la corruption, de la surveillance de la population, de la protection des dirigeants et de la lutte contre les actions entreprises par les dissidents. Le KGB veillait également sur les frontières de l’Empire soviétique. De ce fait, il contrôlait les communications, les transports, gérait les camps et les centres de répressions spécialisés (hôpitaux psychiatriques70).

58. L’analyse des services secrets d’autres Etats postcommunistes mène à distinguer différents cas de figure liés au caractère de la transition subie par l’Etat en question. Deux catégories principales peuvent être distinguées. La première englobe les services secrets des Etats communistes qui, suite à un processus de transition démocratique, ont changé le régime. La seconde catégorie concerne les services secrets des Etats qui ont également suivi un processus de transition démocratique mais dans lesquels ce processus s’est accompagné de la disparition de certains Etats et la création de nouveaux.

59. Le premier cas est le plus répandu, englobant la majorité des Etats postcommunistes comme les services secrets :

- albanais : la Direction de la sûreté de l’Etat (en albanais : Drejtoria e Sigurimit te

Shtetit), communément appelé Sigurimi71,

68 En 1946 le NKVD est devenu le MVD (Ministère des affaires intérieures). En 1943, le NKVD a perdu les tâches liées à l’espionnage en faveur d’une autre structure, à savoir NKGB (Commissariat du peuple à la sécurité gouvernementale). Ce dernier a subi une transformation en MGB (Ministère de la sécurité de l’Etat) et donna naissance au KGB.

69 Les informations concernant toutes les structures appartenant à des services secrets soviétiques sont disponibles sur le site officiel du Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (en russe : Федеральная служба безопасности Российской Федерации, ci-après le FSB), successeur du KGB, http://www.fsb.ru/fsb/history.htm, disponible en langue russe (04/05/2012).

70 COURTOIS Stéphane (dir.), Dictionnaire du communisme, op. cit., p. 452.

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Ce service de renseignements, créé le 20 mars 1943, a fonctionné jusqu’à la chute du régime communiste en 1991. Le noyau de la Sigurimi a été constitué pendant la guerre en 1943 par Enver Hodja, résistant communiste et futur dirigeant du pays. Il s’en servit notamment pour évincer ses concurrents. Par la suite, il a constitué un instrument essentiel de la mise en place et de la pérennisation d’un régime connu pour avoir été l’un des plus fermés au monde. ZICKEL Raymond, IWASKIW Walter R. (dir.) « Albania: a Country Study », Washington, GPO for the Library of Congress, 1994, http://countrystudies.us/albania/170.htm (09/11/2010). Voir aussi :

32 - bulgares : la Sécurité de l’Etat (en bulgare : Държавна сигурност),

- hongrois : l’Office de la sécurité de l’Etat (en hongrois : Államvédelmi Hatóság -

AVH72),

- polonais : le Ministère de la Sécurité intérieure /Le Service de sécurité (en polonais :

Ministerstwo Bezpieczenstwa Publicznego/Sluzba Bezpieczenstwa – UB/SB73),

- roumains : le Département de la sécurité de l’Etat (en roumain : Departamentul

Securităţii Statului), connu sous son nom de Securitate74

et constituant en 1989 la plus grande structure du Ministère des affaires intérieures75.

60. La seconde catégorie exige des précisions. Il peut s’agir des services secrets d’Etats qui n’existent plus ou de l’Etat existant, dont les parties fédérées ont proclamé AZIZAJ Orgest, « Enjeux politiques et épistémiques de l’ouverture des archives dans l’Albanie postcommuniste », in COMBE Sonia (dir.), op. cit., pp. 319-329.

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Ces services ont fonctionné à partir de 1945 pour être dissous en 1956 (l’année de la révolution hongroise) par Imre Nagy, le Premier ministre de l’époque. L’année 1956, en raison des événements qui ont eu lieu en Hongrie, est considérée comme la « première fracture décisive dans le système communiste mondial ». Selon COURTOIS Stéphane (dir.), op. cit., p. 52.

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Le Ministère de la Sécurité intérieure – UB a été mis en place le 1er janvier 1945 sur l’ordre de l’ex-URSS. En 1956, l’UB a été transformé en Service de sécurité (Sluzba Bezpieczenstwa – SB), le service du renseignement et de la police secrète. Les fonctionnaires du SB étaient formellement des fonctionnaires de la milice civique, étant donné que les dispositions de la loi sur la milice civique s’appliquaient à cette catégorie de fonctionnaires. Cette situation a changé au moment de l’adoption par la Diète de la loi du 14 juillet 1983 sur l’Office du Ministre des affaires intérieures et les organes lui étant subordonnés (J.O. 1983, N° 38, texte 172), conformément à l’article 6, al. 1 de la loi précitée, « les fonctionnaires du Service de sécurité afin de reconnaître, prévenir et détecter les crimes et délits ainsi que d'autres activités visant la sécurité de l’Etat ou l’ordre public exercent les actes opérationnels et de renseignements, d'enquête et ceux ayant un caractère administratif et juridique ». Dans la « phase finale » de son existence, en 1989, cette structure embauchait 24.300 fonctionnaires qui contrôlaient 90.000 collaborateurs secrets. Ces données ont été évoquées par PIOTROWSKI Pawel, « Przemiany w MSW w latach 1989-1990 » (« Les changements au sein du Ministère des affaires intérieures au cours des années 1989-1990 »), Biuletyn Instytutu Pamieci Narodowej, n° 4(39)/2004, pp. 45-53. En ce qui concerne le fonctionnement des services secrets polonais de l’ère communiste, un ouvrage monumental leur a été consacré, publié par l’Institut de la mémoire nationale, SZWAGRZYK Krzysztof (dir.), Aparat bezbieczenstwa w Polsce. Kadra kierownicza, 1944-1956, (L’appareil de sécurité en Pologne. Les cadres directeurs, 1944-1956), vol. I, Warszawa, Ed. Instytut Pamieci Narodowej, Komisja Scigania Zbrodni przeciwko Narodowi Polskiemu, 2005, 604 pages. ; PIOTROWSKI Pawel (dir.), Aparat bezbieczenstwa w Polsce. Kadra kierownicza, 1956-1975, (L’appareil de sécurité en Pologne. Les cadres directeurs, 1956-1975), Warszawa, Ed. Instytut Pamieci Narodowej, Komisja Scigania Zbrodni przeciwko Narodowi Polskiemu, vol. II, 2006, 208 pages.

74La Securitate signifie en roumain la sécurité, c’est une expression utilisée couramment à l’égard des services de la police secrète. Ces services ont été créés en 1948 et ont fonctionné jusqu’en décembre 1989. La Securitate est considérée comme le plus grand des services secrets est-européen compte tenu de la population roumaine. C’est également le service très généreusement financé par N. Ceausescu qui contrôlait environ 20.000 unités spéciales de sécurité, selon BACHMAN Ronald D. (dir.), « Romania: A Country Study », Washington, GPO for the Library of Congress, 1989, http://countrystudies.us/romania/ (09/11/2010).

75 Les informations sur le fonctionnement de la Securitate sont disponibles, en langue anglaise, sur le site officiel du Ministère des affaires intérieures et des Forces de sécurité suivant : http://www.country-data.com/cgi-bin/query/r-11325.html (04/05/2012).

33 l’indépendance. Le premier cas de figure se réfère à l’ex-République Démocratique Allemande (RDA76) et ses services décrits par la propagande comme « le bouclier et l’épée du

parti » (Schild und Schwert der Partei). La Stasi est-allemande étant le Ministère de la

Sécurité de l’Etat (Ministerium für Staatssicherheit, MfS), regroupait les fonctions de police politique, de renseignement, d’espionnage et de contre-espionnage.

61. Les services secrets de l’ex-République tchécoslovaque constituent le second cas de figure. Le processus de désagrégation par l’indépendance, qui a abouti à la création de deux Etats indépendants – la République tchèque et la République slovaque –, les a contraint à faire face à leur passé communiste, en réglant la question des anciens collaborateurs des services secrets tchécoslovaques : la Sécurité de l’Etat (en tchèque : Státní Bezpečnost, en slovaque :

Štátna bezpečnosť77

). Appartiennent à cette même catégorie, les anciennes Républiques fédérées de l’ex-URSS qui ont proclamé leur indépendance78

, notamment les trois Etats baltes faisant l’objet de l’étude (cf. Annexe nr 1).

76 Le traité d’unification entre les « deux Allemagnes » a été signé le 31 août 1990. Il est entré en vigueur le 3 octobre 1990. La modification de la Loi fondamentale (Grundgesetz) du 8 mai 1949, et notamment son préambule énonçant « ainsi la présente Loi fondamentale s’applique à tout le peuple allemand », constituait une des conséquences de l’entrée en vigueur de ce traité. Un autre événement important pour l’histoire contemporaine de l’Allemagne unifiée a eu lieu le 12 septembre 1990 à Moscou où a été signé le traité dit « 2+4 » entre les deux Etats allemands et les Etats-Unis, l’Union soviétique, le Royaume-Uni et la France, dans lequel les Alliés ont mis un terme définitif à leur tutelle sur l’Allemagne. Selon LAUVAUX Philippe, Les grandes démocraties contemporaines, Paris, 3ème Ed. PUF, 2008, pp. 673-675.

77 Il s’agit d’un service de renseignements créé en 1945. Ses principales activités étaient les suivantes : recueil et analyse d’informations politiques et économiques concernant la sécurité du pays, contre-espionnage, lutte contre la dissidence anticommuniste. La StB a été dissoute sur la base du décret du 15 février 1990, selon les informations publiées sur le site officiel de la Bezpečnostní informační služba, ci-après BIS (Service d’information de sécurité), créé en République tchèque en 1994 http://www.bis.cz/who-we-are.html (09/11/2010).

78 Notons à la suite du professeur D. Turpin que « l’article 72 de la Constitution de l’URSS de 1977 prévoyait un droit de sécession dont les Républiques fédérées n’ont longtemps pas bénéficié en pratique. Quant à la loi d’application en date du 3 avril 1990, elle devait surtout servir à freiner l’accès à l’indépendance des trois Républiques baltes (notamment l’accord du Parlement fédéral, décompte des voix populaires en tenant compte des subdivisions nationalo-administratives de chaque République et des régions où prédominent des minorités, etc.). Cependant, celles-ci estimant qu’il ne s’agit pas d’une sécession car elles avaient été annexées de force, la proclamèrent unilatéralement, bientôt suivies par dix autres Républiques ». TURPIN Dominique, Droit constitutionnel, Paris, PUF, 2003, p. 77. Pourtant, c’est en Asie centrale qu’il faut chercher les origines de la crise du fédéralisme soviétique. Déjà en 1988, le soviet de la région autonome du Nagorny-Karabakh (Haut-Karabagh) a formulé une demande à ce qu’elle soit transférée de la République fédérée d’Azerbaïdjan vers la République fédérée d’Arménie. Cette demande a été catégoriquement refusée et le Haut-Karabagh est passé sous l’administration directe de Moscou. MEKHANTAR Joël, Droit politique et constitutionnel, Paris, ESKA, 1997, p. 65. Conformément à l’article 72 de la Constitution de l’Union soviétique : « Chaque république fédérée conserve le droit de se séparer librement de l’URSS », COLAS Dominique, Textes constitutionnels soviétiques, Paris, PUF, 1987, p. 89.

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