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L’argumentation juridique

A. L’argumentation pour et contre la lustration : entre pragmatisme et radicalisme

1. L’argumentation juridique

298. En ce qui concernait la doctrine juridique et sa position sur la question de la lustration, elle se caractérisait par de nombreuses divergences. Une partie de ses représentants reprochait aux hommes politiques, mais aussi à leurs confrères, l’absence d’actions concrètes en la matière. Une autre, en revanche, demeurait très critique quant aux solutions tout d’abord République, elle est apparue dans la partie introductive de la Constitution du 2 avril 1997. Ainsi, la IIIème République constitue la continuation des Ière et IIème Républiques « en renouant avec leurs meilleures traditions ». De plus, le préambule énonce qu’à « tous ceux qui, pour le bien de la Troisième République, appliqueront les dispositions de la Constitution, nous lançons un appel pour qu'ils les appliquent dans le respect de la dignité propre à la nature de l'homme, de son droit à la liberté et de son devoir de solidarité envers autrui, et que le respect de ces principes soit pour eux le fondement inébranlable de la République de Pologne ». La IIIème République rompt avec l’héritage de la République populaire de Pologne en faisant la référence directe à la tradition de la IIème République (1918-1945). Comme l’a souligné professeur W. Skrzydlo, le préambule de la Constitution de 1997 est de nature politique, même si dans la littérature juridique polonaise, il existe des opinions selon lesquelles sa nature est avant tout juridique. Le caractère politique d’un préambule est caractéristique des Etats qui ont connu une transition de régime. SKRZYDLO Wieslaw, Konstytucja Rzeczpospolitej Polskiej. Komentarz, (La Constitution de la République de Pologne. Commentaire), Krakow, 4ème édition, Zakamycze, 2002, pp. 10-11.

283 Une loi ayant le caractère décommunisant a été votée par la Diète le 24 mai 1990 sur l’amendement de la loi concernant les pensions de retraites des salariés et leurs familles ainsi que la loi sur l’amendement de certaines dispositions relatives aux pensions de retraites, J.O. 1990, No.30, texte 206. Cette loi a supprimé les privilèges concernant notamment les retraites des personnes qui ont occupé les fonctions de direction au sein des organes du Parti ouvrier unifié polonais.

130 proposées, puis adoptées dans le modèle polonais. L’argumentation appartenant au premier groupe était notamment celle présentée par Janusz Kochanowski, ancien Défenseur des droits civiques (en polonais : Rzecznik praw obywatelskich, ci-après, DDC). Il concentrait ses critiques sur la négation de la responsabilité commune pour des crimes commis dans le passé. Cela pouvait être justifié, dans la doctrine polonaise du droit pénal, par l’application stricte et positiviste de la règle « lex retro non agit », sans procéder à sa concrétisation et justification axiologique284.

299. Le Défenseur reprocha aux théoriciens du droit pénal leur désintéressement à l’égard de la formule de Gustav Radbruch285 selon laquelle le droit injuste devait être éliminé même s’il possédait sa source dans le droit positif. En outre, il constatait l’absence de prise en compte des règles de droit applicables par les « nations civilisées » qui permettaient et même obligeaient l’Etat à appliquer la responsabilité pénale à l’égard des systèmes criminels.

300. Enfin, si la doctrine polonaise de droit pénal a adopté des concepts qui rendaient impossible l’application de la responsabilité pénale, c’était notamment en raison de sa généalogie historique et de la compréhension de son rôle, perçu au service de l’ancien et du nouveau régime. L’absence des conceptions concurrentielles en la matière relevait de l’isolement de la doctrine pénale polonaise des doctrines occidentales. Par conséquent, les publications étrangères traitant des questions de responsabilité pénale étaient peu connues en Pologne. Cette situation, conduisait ex post à la légitimation de l’ancien système de droit286. 301. L’argumentation opposée était celle, présentée par le professeur Adam Lopatka, théoricien du droit, très critique à l’égard de la lustration polonaise dans sa version de 1997. Tout d’abord, il a remis en question les propos du Président Kwasniewski, auteur de l’un des projets de loi de lustration (cf. infra) et d’un projet de modification de cette loi. Le Professeur Lopatka était en désaccord avec le constat du Président selon lequel, la lustration était une étape par laquelle la Pologne devait passer comme l’avaient fait tous les Etats qui ont connu une transformation de régime. Ce constat était erroné, puisqu’aucun des Etats de la

284 « Rola obrachunku z przeszloscia w budowaniu ladu spolecznego. Dyskusja redakcyjna z udzialem Antoniego Dudka, Janusza Kochanowskiego, Ireneusza Krzeminskiego, Wojciecha Roszkowskiego, Pawla Spiewaka i Bronislawa Wildsteina » (« Le rôle de règlement avec le passé dans la construction de l’ordre social. Discussion avec la participation d’A. Dudek, J. Kochanowski, I. Krzeminski, W. Roszkowski, P. Spiewak et B. Wildstein »), Ius et Lex, n° II 1/2003, propos présentés par J. Kochanowski, p. 247.

285 Concernant la théorie de Gustav Radbruch voir : ZAJADLO Jerzy, Formula Radbrucha (La formule de Radbruch), Gdansk, Arche, 2001, 329 pages.

286

KOCHANOWSKI Janusz, « Rozliczenie z przeszloscia w Polsce », (« Le règlement avec le passé en Pologne »), Ius et Lex, n° II 1/2003, pp. 231-233.

131 Communauté des Etats indépendants, composée de onze des quinze anciennes républiques de l’URSS, n’a adopté ce type de loi.

302. Un autre argument favorable à la lustration fut par ailleurs vivement contesté, à savoir une « attente sociale formulée depuis des années » à laquelle l’adoption de la loi de lustration faisait face, en soulevant que la société formulait d’autres attentes auxquelles les organes de l’Etat ne donnaient pas de suite favorable. L’intérêt de l’Etat « dans la discrimination des

personnes qui ont travaillé ou collaboré avec les organes de sécurité de l’Etat, alors que ces organes ont été supprimés au début des années quatre vingt dix287 » a été également soumis à sa critique. Il soulignait que l’efficacité et la force des services secrets d’un Etat dépendait, en grande partie, de leur collaboration avec des citoyens. Ainsi, aucune personne, sans l’assurance préalable que son identité ne sera pas divulguée publiquement et sans la garantie qu’elle ne risquera pas d’être discriminée par une nouvelle équipe gouvernementale, n’entreprendrait de collaboration288

. Ce point de vue est néanmoins demeuré isolé parmi les représentants de la doctrine juridique.

303. Selon d’autres positions présentées par la doctrine, « les stratégies juridiques telles

que la lustration et la décommunisation jouaient un rôle limité dans la perception du passé ».

La lustration était perçue comme un instrument de lutte politique qui, en général, a connu un fiasco partout où elle était appliquée. Bien que le droit ait dû jouer un rôle important dans la perception du passé, les mécanismes traditionnels fondés sur la justice punitive, comme les procès pénaux, la décommunisation et la lustration ne constituaient pas des outils efficaces pour traiter le passé289. La doctrine a mis en avant le fait que les Etats postcommunistes ont délaissé les mesures transitionnelles quasi-juridiques telles que les commissions de vérité, préférant la justice punitive, nettement moins efficace.

304. Une autre remarque concernait l’absence « d’une stratégie politique et juridique » permettant de lancer une discussion sur les mécanismes de fonctionnement des régimes communistes. L’adoption de la lustration comme mesure de justice transitionnelle par la

287 LOPATKA Adam, « Konstytucja i lustracja » (« Constitution et lustration ») in LOPATKA Adam, WROBEL Adam, KIEWLICZ Stefan (dir.) Panstwo prawa, administracja, sadownictwo, Prace dedykowane prof. dr hab. Januszowi Letowskiemu, (L’Etat de droit, l’administration et la justice. Travaux dédiés au professeur Janusz Letowski), Warszawa, Wydawnictwo Naukowe Scholar, 1999, p. 88.

288 LOPATKA Adam, op. cit., p. 89.

289 CZARNOTA Adam, « Moralne i prawne problemy odnoszenia sie do przeszlosci. Miedzy sprawiedliwoscia retrybutywna a dystrybutywna », (« Problèmes moraux et juridiques d’une référence au passé. Entre la justice rétributive et distributive »), Ius et Lex, n° II 1/2003, pp. 135 -136.

132 majorité des Etats communistes, a provoqué la concentration de tous les efforts sur la vengeance et la stigmatisation de catégories sociales précises. Pourtant, ces efforts auraient dû être employés à la divulgation publique de la vérité et à l’entreprise de réconciliation, ce qui aurait permis un rapprochement de toute la société postcommuniste290.

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