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Les premières mesures de décommunisation et la critique internationale

A. La lustration devancée par la décommunisation

1. Les premières mesures de décommunisation et la critique internationale

244. La Bulgarie, comme la Pologne et la Hongrie, fait partie des Etats postcommunistes n’ayant pas adopté, immédiatement après les événements de 1989, de loi consacrée exclusivement à la lustration. Cependant, l’idée de lustration était répandue dans les rangs de l’opposition et largement inspirée par l’adoption, en 1991, de la première loi de lustration par le Parlement tchécoslovaque215. Notons également que le législateur bulgare a évité d’employer la notion de « lustration » qu’il a remplacée par la notion plus modérée de vérification216, privilégiant en premier lieu la décommunisation. Quant à la lustration, le modèle choisi en Bulgarie est peu contraignant. Les anciens employés et collaborateurs des services secrets, à part la publication de leurs noms, n’ayant à redouter aucune autre conséquence. Ce modèle correspond à la lustration qui peut être caractérisée comme « douce », n’excluant en aucun cas de la fonction publique les personnes visées.

245. La Bulgarie a entrepris très tôt des efforts visant à mettre en place des lois interdisant aux anciens membres du PCB de détenir des postes dans certains domaines. Les premiers

première fois des données officielles sur les grands procès politiques où deux mille sept cent trente (2.730) personnes furent condamnées à mort et mille trois cent cinq (1.305) à la prison à vie », selon GONZALEZ ENRIQUEZ Carmen, op. cit. p. 37. Certains auteurs indiquent que les camps de concentration existaient en Bulgarie probablement encore au début des années 70. A part les prisonniers politiques, d’autres catégories des personnes étaient régulièrement envoyées dans ce type de camps, comme les membres les plus réfractaires de la minorité turque, soumis à la « bulgarisation » forcée lors du communisme, selon JAKUCKI Piotr, BOGOMILSKA Kaja, BIERNACKI Jerzy, KWIATEK Piotr, « Lustracja za granica » (« La lustration à l’étranger »), Nasza Polska, n° 23(344), 05/07/2002

215 Voir à ce sujet : Human Rights in Bulgaria After the October 1991 Elections, The Bulgarian Helsinki Committee Annual Human Rights Report, 1992, p. 5, ce rapport est disponible sur le site officiel du Comité bulgare d’Helsinki: http://translate.google.fr/translate?hl=fr&langpair=en%7Cfr&u=http (04/08/2010).

216

A ce sujet : SADURSKI Wojciech, A study of Constitutional Courts in Postcommunist States of Central and Eastern Europe, Dordrecht, Springer, 2005, pp. 248-249.

109 essais en la matière datent de 1992, après l’arrivée au pouvoir217

du parti politique anticommuniste –Union des forces démocratiques (en bulgare : Съ з на демократичните

сили – Cдc, ci-après, UFD)218

, qui a formé une coalition gouvernementale avec le parti représentant la minorité turque. L’idée d’une politique en matière de décommunisation est née dans les rangs de l’UFD. Elle visait à adopter des lois barrant l’accès aux institutions étatiques à des hauts fonctionnaires issus de l’ex-PCB et aux membres de cette formation. Ces mesures s’appliquaient avant tout au secteur bancaire ainsi qu’au milieu universitaire219

. Elles prévoyaient également la diminution des pensions de retraites des personnes issues du PCB. Cependant, de nombreuses critiques ont été formulées à leur égard de la part des organisations bulgares de protection des droits de l’Homme ainsi que de nombreuses organisations internationales.

a) L’exclusion des dirigeants communistes et collaborateurs de services secrets du secteur bancaire

246. La loi sur l’activité des banques et des établissements de crédit du 18 mars 1992220

constitua le premier acte normatif adopté par l’UDF contenant les mesures de décommunisation. En vertu de cette loi, les personnes ayant siégé pendant quinze ans dans les structures dirigeantes de l’ex-PCB ou des partis satellites ainsi que les employés et les collaborateurs (rémunérés ou pas) du service de la sureté de l’Etat, étaient exclues de la procédure d’élection ou de nomination dans les organes directeurs des banques et des institutions financières. Cette exclusion était applicable pendant une période de cinq ans (article 9). De plus, les dispositions de cette loi n’ont prévu aucune procédure permettant aux personnes visées par cette interdiction d’interjeter appel.

217 Il s’agit de la législature du 4 novembre 1991 au 17 octobre 1994. Notons que le Parlement bulgare, composé de 240 députés est traditionnellement monocaméral.

218 L’UDF s’érige en représentante de l’opposition anticommuniste. Cette formation a gagné les élections parlementaires en 1991 et en 2000.

219 Ces mesures sont par certains auteurs considérées comme des mesures de lustration (c’est le cas notamment de KRITZ Neil J. (dir.), Transitional justice, How Emerging Democracies Recon with Former Regimes, Washington, D.C., United States Institute of Peace Press, 1995, vol. II Country Studies, pp. 700-701 ou BUKALSKA Patrycja, SADOWSKI Rafal, EBERHARDT Adam (dir.), op. cit., p. 17, alors que d’autres, par exemple le professeur Sadurski les qualifient de mesures de décommunisation, dans SADURSKI Wojciech, op. cit., pp. 248-249. Nous avons choisi cette deuxième qualification, étant donné que ces mesures excluent les membres de l’ex parti communiste, elles n’ont pas le caractère de vérification d’appartenance ou de collaboration avec les services secrets, une principale caractéristique de la lustration.

110 247. La Cour constitutionnelle bulgare (ci-après, la Cour221), saisie en vertu de l’article 149 al. 1, point 2 de la Constitution bulgare222, par quarante neuf députés de l’Assemblée nationale, a constaté l’inconstitutionnalité et l’inconventionnalité de cette loi (décision du 27 juillet 1992223). La Cour a évoqué le caractère discriminatoire de la loi en ce qui concerne l’accès aux fonctions publiques ainsi que sa non-conformité aux dispositions des conventions internationales ratifiées par la Bulgarie224 (notamment à l’article 1 de la Convention n° 111 du 25 juin 1958 concernant la discrimination en matière d’emploi et de profession, adoptée à Genève dans le cadre de l’Organisation international de Travail225

; aux articles 2(2) et 6(1) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels226 ainsi qu’aux articles 2 et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques227).

221 Site officiel de la Cour constitutionnelle de la République de Bulgarie est : http://www.constcourt.bg (04/08/2010).

222 Constitution de la République de Bulgarie du 12 juillet 1991, J.O. No 56, 13/07/1991 (avec amendements postérieurs), elle est disponible en langues anglaise et bulgare sur le site suivant : http://www.constcourt.bg (04/08/2010). Conformément à l’article mentionné, « la Cour constitutionnelle se prononce sur les demandes visant l’établissement de l’inconstitutionnalité des lois et des autres actes de l’Assemblée nationale ainsi que des actes du Président », selon la version française de la Constitution bulgare dans : LESAGE Michel, Constitutions d’Europe centrale, orientale et baltes, Paris, La documentation Française, 1995, p. 59.

223 Décision No 8/1992.

224

SCHWARTZ Herman, « Decyzje lustracyjne nowych sadow konstytucyjnych w Europie Srodkowej » (« Les décisions sur la lustration des nouvelles Cours constitutionnelles en Europe centrale »), Palestra, n° 5-6, 1995, pp. 145-146.

225 L’article 1 de la Convention mentionnée définit le terme de discrimination comme : « Toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l’opinion politique, l’ascendance nationale ou l’origine sociale, qui a pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité de chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession « ainsi que « Toute autre distinction, exclusion ou préférence ayant pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité de chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession, qui pourra être spécifiée par le Membre intéressé après consultation des organisations représentatives d’employeurs et de travailleurs, s’il en existe, et d’autres organismes appropriés », le texte de la Convention mentionnée est disponible sur le site suivant : http://www.ge.ch/odh/doc/conventions-et-traites/a/5/5.pdf (15/09/2010).

226 Conformément au premier de ces articles: « Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion politique ou toute autre opinion, l'origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation », quant au second : « Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit au travail, qui comprend le droit qu'a toute personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté, et prendront des mesures appropriées pour sauvegarder ce droit ».

227 Le premier des articles cités prévoit notamment l’instauration d’un « recours utile » pour une personne dont les droits et libertés ont été violés. Pour atteindre ce but, les Etats parties au présent Pacte s’engagent à « Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d'un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles; Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d'un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles; Garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours qui aura été reconnu justifié », quand à l’article 25, il énonce que « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions déraisonnables: a) de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis; b) de voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs; c) d'accéder, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques de son pays ».

111 248. La Cour a statué, en fondant son raisonnement sur le texte de la Constitution et sur les différentes conventions internationales ratifiées par la Bulgarie. Sa décision est relativement succincte, en comparaison notamment de la décision de la Cour tchécoslovaque de 1993. La Cour bulgare s’est limitée à citer les articles évoqués sans procéder à leur analyse approfondie. En outre, elle n’a pas procédé au rappel du contexte politique ou historique de la Bulgarie communiste, omission surprenante étant donné le caractère extrêmement répressif du régime bulgare. Sa décision est si « laconique » qu’il est difficile de conclure quant aux vraies intentions qui l’ont motivée.

249. L’amendement du 12 juin 1992228

visant la loi sur les retraites constituait le second acte normatif adopté par le Parlement contenant des éléments de décommunisation. Ledit amendement a introduit un nouvel article (en occurrence 10 a) énonçant que la période d’exercice des fonctions de direction au sein des organes et organisations du PCB et des partis satellites n’était pas pris en compte dans l’assiette de base pour le calcul de la pension de retraite.

250. C’est à la demande de M. Zelju Zelev, le Président de la République, que la Cour a été saisie pour se prononcer sur l’inconstitutionnalité de la disposition de l’article 10 a (décision du 29 juillet 1992229). La Cour a mis en avant l’argument selon lequel cet article privait, de façon partielle ou totale, les personnes du droit à la retraite qu’elles avaient acquis. Cette disposition a un caractère restrictif et constitue une violation du droit à la sécurité sociale, prévu à l’article 51 al.1 de la Constitution230. La Cour était d’avis qu’en vertu de la Constitution, ce droit, considéré comme un droit fondamental des citoyens bulgares, ne pouvait être ni révoqué ni limité231.

b) La loi « Panev » et la décommunisation controversée du milieu universitaire

251. La loi sur l’introduction provisoire de conditions supplémentaires pour les membres des organes directeurs des institutions scientifiques et pour les membres de la Haute Commission de certification, adoptée le 9 décembre 1992232, dite loi « Panev233 », a suscité

228 J.O. No 52/1992.

229

Déc. No 11/1992.

230 Conformément à cet article : « Les citoyens ont droit à la sécurité sociale et à l’assistance sociale » dans LESAGE Michel, op. cit., p. 48.

231 KRITZ Neil J. (dir.), op. cit., pp. 700-701.

232

J.O. No 104/1992.

112 les plus vives controverses. Elle a également fait l’objet de sévères critiques au niveau international. La loi « Panev » constituait chronologiquement le troisième acte normatif adopté en 1992 par l’Assemblée nationale contenant des mesures de décommunisation. 252. Selon les dispositions de cette loi, les membres des organes directeurs des universités et des institutions de recherche (ou les candidats à l’élection à ces organes) ainsi que ceux de la Haute Commission de certification (organe dont la compétence principale est d’examiner et d’approuver l’octroi des grades universitaires et scientifiques) devaient présenter une déclaration écrite dans laquelle, ils certifiaient ne pas avoir appartenu à la « nomenklatura » communiste234.

253. Les personnes visées par cette loi étaient en réalité les fonctionnaires du parti communiste bulgare de niveau élevé ou moyen, les employés et agents du Comité pour la sécurité de l'Etat (en bulgare : Комитет за държавна сигурност – КДС), connu plus communément comme le service de sûreté de l’Etat (en bulgare : Държавна сигурност – ДС, ci-après, DS), ainsi que les chargés de cours dans les matières suivantes : histoire du Parti communiste de l’Union soviétique, histoire du Parti communiste bulgare, philosophie marxiste et léniniste, économie politique, communisme scientifique ou construction du parti235. Un refus de la part de l’intéressé de déposer cette déclaration était similaire à une reconnaissance du fait qu’il ne satisfaisait pas à la condition exigée.

254. L’adoption de la loi « Panev » a constitué un véritable choc pour le milieu académique, d’autant plus que celui-ci s’était déjà débarrassé d’une partie des enseignants favorables à l’ancien régime236

. En outre, la loi n’a pas prévu de mécanismes permettant l’examen des cas individuels par un organe indépendant ni de contrôle juridictionnel de ce procédé.

255. La loi « Panev » ainsi que le refus de la Cour de constater son inconstitutionnalité a fait l’objet de nombreuses critiques. Elles ont été notamment formulées au niveau du Conseil de l’Europe. Le Rapport sur les mesures de démantèlement des régimes totalitaires

234 A ce sujet voir aussi : Human Rights in Bulgaria in 1993, The Bulgarian Helsinki Committee Annual Human Rights Report, 1993, pp. 5-8, ce rapport est disponible sur le site officiel du Comité d’Helsinki de la Bulgarie.

235 Il s’agit d’un groupe important d’enseignants qui dans les dossiers officiels figuraient en tant qu’enseignants des matières visées par la loi alors qu’en réalité ils enseignaient d’autres matières.

113 communistes du 3 janvier 1995237, constate qu’« il est probable que la loi viole plusieurs

droits fondamentaux, notamment le droit à une procédure régulière et le droit d’être entendu ». D’autres critiques concernant la violation des droits de l’homme ont été formulées

dans le Rapport du Comité bulgare d’Helsinki238

jugeant que la loi s’attaque à l’autonomie des universités bulgares d’une façon caractéristique des systèmes totalitaires. En outre, elle a été sévèrement critiquée par le Rapport du département d’Etat américain239

et souvent comparée en Bulgarie à un triste précédent, à savoir une loi de 1945 fermant l’accès à un certain nombre de postes aux personnes issues du milieu bourgeois240.

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