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L’évolution du modèle de lustration de la procédure pénale vers la procédure civile et l’affaiblissement de la position des personnes soumises à la lustration

Section II. Le lancement du modèle contraignant de la lustration (conception des frères Kaczynski)

A. La loi du 18 décembre 2006 : une volonté accrue d’écarter de la fonction publique des anciens collaborateurs

1. L’évolution du modèle de lustration de la procédure pénale vers la procédure civile et l’affaiblissement de la position des personnes soumises à la lustration

426. La version originale de la seconde loi de lustration de 2006 a provoqué de nombreuses interrogations. En premier lieu celle liée au sens de cette régulation, mise en œuvre presque vingt ans après le changement de régime. Compte tenu du contexte politique, elle a été perçue comme une vengeance de la part des partis politiques au pouvoir. La nouvelle loi était très désavantageuse pour les personnes soumises à la procédure de lustration. Leur situation juridique a changé considérablement. Désormais cette procédure était soumise aux dispositions de la procédure civile au lieu de la procédure pénale appliquée auparavant, alors que c’est la dernière qu’offre à la personne lustrée plus de garanties, notamment en matière de charge de la preuve (cf. infra).

427. Ces interrogations semblaient justifiées, d’autant plus que la procédure de lustration, fondée sur l’obligation de divulguer une éventuelle collaboration avec les services secrets par

510 C’est le concept du philosophe britannique Herbert Hart qui a incontestablement influencé la doctrine polonaise en ce qui concerne la séparation du droit et de la morale. Selon Hart, le législateur, en appliquant une contrainte à l’égard d’une personne, ne devrait jamais se laisser guider par des motifs de nature morale qui reconnaissent un comportement donné comme immoral, indépendamment du fait qu’il soit nuisible aux autres ou pas. Voir : HART Herbert Lionel Adolphus : Pojecie prawa (La notion du droit), tad. d’anglais par WOLENSKI Jan, Warszawa, PWN, 1998, 412 pages.

511

Le point de vue présenté par PIOTROWSKI Ryszard, « Demokratyczne panstwo prawne a lustracja » (« L’Etat de droit démocratique et la lustration »), PiP, n° 6, 2007, pp. 11-12.

184 les personnes exerçant des fonctions publiques, était d’application en Pologne depuis dix ans. Un autre argument soulevé, faisait un lien direct entre ce projet et la politique. Le radicalisme de la seconde loi de lustration était, selon certains observateurs de vie politique, lié au fait que le travail sur le projet de loi a été confié aux jeunes députés du parti Droit et Justice (parti des frères Kaczynski). Ils étaient considérés comme trop jeunes pour faire partie de l’opposition au sein de syndicat de « Solidarnosc » et connaitre de près les méthodes appliquées par les services secrets. Cela a provoqué de vives discussions au sein même de ce parti, dont certains membres, issus de l’opposition, contestait l’étendue de la loi.

a) L’institution d’un certificat officiel au centre de la procédure de lustration

428. La seconde loi de lustration a modifié totalement les fondements de la procédure de lustration telle que prévue par la loi de 1997512. Elle a introduit un nouvel élément, à savoir le

certificat officiel (ci-après, le certificat). Il était délivré par l’Institut de la mémoire nationale

(ci-après, l’IMN) qui confirmait ou non l’existence dans son archive de documents des organes de sécurité de l’Etat à l’égard de la personne souhaitant exercer une fonction publique. L’obtention de ce certificat était obligatoire. Son contenu pouvait constituer la base d’une résiliation du contrat de travail, d’une révocation du poste occupé voire de l’engagement d’une procédure disciplinaire513

.

429. La nouvelle procédure de lustration constituait une sorte de procédure hybride mélangeant procédure administrative, applicable lors de la délivrance du certificat par l’IMN514, et procédure civile. La seconde demeurait applicable lors d’une éventuelle contestation du contenu du certificat par l’intéressé. Dans ce cas, il devait saisir la juridiction civile en vue de vérifier les documents des services secrets et des informations contenues sur la base desquels son certificat avait été établi515. La procédure de délivrance du certificat débutait par le dépôt d’une demande516

. Cette procédure consistait en la détermination du contenu et éventuellement de la véracité des documents des organes de sécurité de l’Etat

512 Elle a supprimé, entre autres, le statut de la victime des organes de sécurité ainsi que l’organe de Défenseur de l’intérêt public. De plus, ont disparu de la nouvelle loi des notions telles que la personne lustrée, la déclaration de lustration ou le menteur de lustration.

513

Art. 5, al. 3 de la seconde loi de lustration (ver. originale).

514 Art. 16 de la seconde loi de lustration (ver. originale).

515 OSIK Pawel, Problemy polskiej procedury lustracyjnej (Problèmes de la procédure polonaise de lustration), mémoire non publié, soutenu à la Faculté de droit de l’Université de Varsovie en 2009, p. 89.

516

Art. 9, al. 4 de la seconde loi de lustration (ver. originale). Cette procédure devait être terminée, au plus tard, dans un délai de 12 mois à compter du dépôt de la demande.

185 concernant les personnes envisageant d’exercer les fonctions publiques. Les certificats délivrés par l’IMN517

constituaient un élément-clé du recrutement dans la fonction publique. Ainsi, de facto, l’absence totale de liens avec les organes de sécurité de « l’Etat

communiste518 » s’avérait une condition sine qua non pour exercer une fonction publique.

b) La situation juridique de la personne soumise à la lustration

430. Un autre élément introduit par la seconde loi de lustration concernait directement la situation juridique de la personne visée, qui pouvait être décrite comme très instable. Cela demeurait en contradiction par rapport aux exigences de l’Etat de droit démocratique et se manifestait par le fait que le certificat délivré par l’IMN n’atteignait jamais le statut de légalité matérielle, étant donné que les dispositions de la loi ne prenaient pas en compte la règle non bis in idem519. Ainsi, l’IMN avait la possibilité d’ouvrir d’office une nouvelle procédure administrative et délivrer un nouveau certificat, remplaçant le précédent. Les situations suivantes étaient visées : 1) l’existence, dans l’archive, d’un document concernant la personne soumise à la lustration et qui n’a pas été pris en compte par l’IMN lors de délivrance d’un précédent certificat520

; 2) la transmission à l’archive de l’IMN d’un nouveau document concernant la personne lustrée521 ; 3) l’arrêt, ayant acquis l’autorité de la chose jugée, qui avait été rendu après la délivrance d’un certificat et qui prenait en compte, en totalité ou en partie, la demande de la personne lustrée qui contestait le certificat la concernant522.

431. La personne qui contestait le contenu de son certificat pouvait intenter une action devant la juridiction civile contre le Trésor public, représenté par l’IMN523

. En lui demandant de procéder au constat selon lequel le certificat avait été délivré, soit sur la base de documents

517 Les dispositions de la seconde loi de lustration prévoyaient la délivrance du certificat à la demande de la personne concernée dans la plupart des cas. Cependant, cette délivrance pouvait être initiée d’office, par exemple s’il s’avérait qu’un document concernant l’intéressé se trouvant dans l’archive de l’IMN n’a pas été pris en compte lors de la délivrance du certificat (art. 7, al. 4 de la seconde loi de lustration (ver. originale). C’était le Directeur de la division de l’IMN du lieu de domicile de la personne visée qui était désigné comme organe compétent pour procéder à la délivrance du certificat (art. 8, al. 2) et le Président de l’IMN comme organe auprès duquel l’intéressé pouvait intenter un recours (art. 8, al. 3).

518 Le préambule de la seconde loi de lustration détermine comme condamnable le travail, le service ou une aide accordé aux organes de sécurité de l’Etat qu’il qualifie comme communiste.

519

Locution latine signifiant littéralement « pas deux fois pour la même chose ».

520 Art. 7, al. 4 de la seconde loi de lustration (ver. originale).

521 Art. 7, al. 5 de la seconde loi de lustration (ver. originale).

522 Art. 7, al. 6 de la seconde loi de lustration (ver. originale).

523

L’action était intentée devant la cour régionale du siège de l’organe qui a délivré le certificat, art. 28, al. 2 et 3 de la seconde loi de lustration (ver. originale).

186 concernant une autre personne, soit sur la base de documents délivrés mais non authentiques, soit sur la base de documents dont le contenu n’était pas conforme à la vérité524

. Les dispositions du code de procédure civile demeuraient applicables. La procédure probatoire reposait sur les règles générales caractéristiques de la procédure civile, notamment celle de la charge de la preuve qui incombe à la personne qui déduit les effets juridiques d’un fait donné525 (en lat. : Ei incumbit probatio qui dicit, non qui negat).

432. La personne contestant le contenu du certificat était tenue de présenter les preuves permettant de faire tomber la présomption de véracité des informations contenues dans les documents détenus par l’IMN. Par conséquent, lors de la procédure de lustration, le législateur a enfreint la règle de la présomption d’innocence en faveur de la règle de la présomption de véracité des documents des organes de sécurité de l’Etat526

et de facto de la règle de la présomption de la faute de la personne concernée par le contenu du certificat527. 433. Le législateur a adopté, comme point de départ, la thèse selon laquelle les informations contenues dans les docuements des organes de sécurité de l’Etat étaient vraies528. Cette thèse aurait pu tomber si l’interessé avait présenté les preuves demontrant le contraire. De ce fait, la procédure civile s’avérait désavantageuse pour l’intéressé par rapport à la procédure pénale applicable lors de la première étape de la lustration. De plus, en règle générale, la procédure civile, contrairement à la procédure pénale, ne prévoyait pas l’administration des preuves d’office par le tribunal. Le juge civil n’était pas tenu de faire éclater la vérité matérielle contrairement à un juge pénal529. Par conséquent, la loi en question n’a pas pris en compte les

524 Art. 28, al. 1, points 1-3 de la seconde loi de lustration (ver. originale).

525 Art. 6 de la Loi du 23 avril 1964 - Code civil, J.O. No 16, texte 93 avec amendements postérieures (en polonais : Ustawa z dnia 23 kwietnia 1964 – Kodeks cywilny).

526 Cependant, dans son arrêt du 26 octobre 2005 (K 31/04), le Tribunal constitutionnel a souligné la différence entre « la véracité des documents » et la situation réelle. Il a souligné que « l’archive de l’IMN contenait des matériaux et documents récoltés sans aucun fondement juridique et souvent d’une façon criminelle. Cela concernait des documents récoltés à la suite d’un chantage de la part des personnes les préparant. D’autant plus, que le chantage par le biais des matériaux compromettants (…) était une mesure, dans certaines situations, tout à fait recommandable afin de recruter une personne, future collaborant ».

527 WOLODKIEWICZ Witold, « Uwagi na marginesie ustawy uchwalonej przez Sejm w dniu 21 lipca 2006 roku (tzw. ustawy lustracyjnej) » (« Les commentaires en marge de la loi adoptée par la Diète le 21 juillet 2006 (dite la loi sur la lustration) »), Palestra, n° 9-10, 2006, p. 138.

528 Cette nouvelle conception adoptée par le législateur a été fortement contestée. Ce mécanisme était souvent décrit comme « un jeu du législateur avec le citoyen » ou « un mécanisme qui exposait les intéressés à la peur et l’humiliation », PIOTROWSKI Ryszard, « Demokratyczne panstwo prawne a lustracja » (« L’Etat de droit démocratique et la lustration »), PiP, n° 6, 2007, p. 10.

529 Dans ce sens vont les propos d’Isabelle de Lamberterie « La preuve est donc ce qui sert à établir qu'une chose est vraie. Toutefois, cette affirmation ne s'applique pas de la même manière en droit pénal et en droit civil. En droit pénal, l'enjeu probatoire est de reconstituer le plus fidèlement possible par tous les moyens légalement admis, les faits qui donnent lieu à poursuite ainsi que le rôle des acteurs. En droit civil, l'optique est différente :

187 trois règles qui étaient d’application auparavant et qui visaient la personne lustrée, à savoir la règle de la présomption d’innocence, in dubio pro reo530

et onus probandi531.

c) Le registre des certificats et la notion de source personnelle d’information : les nouvelles institutions controversées

434. Une autre nouvelle mesure consistait en la création d’un registre des certificats géré par le Président de l’IMN532

. Chaque certificat devait être déposé dans ce registre sous la forme d’un extrait et sous une forme électronique constituant une copie de l’extrait. Les certificats étaient classés par ordre alphabétique. Le législateur a souhaité que ce registre soit public avec accès garanti à toute personne y compris celles non concernées par les informations y contenues. Les dispositions de la seconde loi de lustration ont prévu l’accès particulièrement large aux informations recueilles dans la base de données du registre. A tel point que la protection des données personnelles était directement exclue en ce qui concernait les données des personnes à l’égard desquelles les certificats ont été délivrés, sauf leurs adresses et le numéro d’identification des personnes533

(en polonais : PESEL). Au niveau technique, l’accès au registre était assuré via l’Internet.

435. L’introduction de la notion de « source personnelle d’information534

» par la loi de

2006 a provoqué de nombreuses controverses. Elle est apparue une seule fois dans le texte de loi, en l’occurrence dans son préambule. Cependant, elle n’y était pas définie. En revanche, la notion introduite par la première loi de lustration, à savoir la « personne qui a collaboré avec

les organes de sécurité de l’Etat », ainsi que le terme collaboration, n’apparaissaient plus dans

le texte de la nouvelle loi. Quant à la notion de source personnelle d’information, la seconde loi de lustration a apporté de nombreux amendements dans le texte de la loi sur l’Institut de la mémoire nationale du 18 décembre 1998, dont la définition de cette notion. Ainsi, était considérée comme une source personnelle d’information la « personne dont les données ont

la preuve est entendue, le plus souvent, comme le moyen pour une partie d'assurer l'efficacité du droit dont elle se prévaut (ex. : la preuve écrite) » in DE LAMBERTERIE Isabelle, « Préconstitution des preuves, présomptions et fictions », communication présentée lors de la Conférence intitulée Sécurité juridique et sécurité technique : indépendance ou métissage, organisée par le Programme international de coopération scientifique (CRDP/CECOJI), Montréal, 30/09/2003, p. 2, disponible sur le site suivant : http://www.lex-electronica.org/docs/articles_106.pdf (07/02/2012).

530 Locution latine signifiant : « La doute profite à l’accusé ».

531 Il s’agit d’une règle générale selon laquelle la partie qui allègue l’affirmation doit la prouver.

532 Art. 17 de la seconde loi de lustration (ver. originale).

533

Art. 20, al. 2 de la seconde loi de lustration (ver. originale).

188

été enregistrées dans les documents des organes de sécurité de l’Etat en tant qu’informateur ou assistant lors du recueil opérationnel des informations de toute catégorie d’enregistrements par les organes de sécurité de l’Etat535

». Il s’agissait d’une notion très floue, la source personnelle d’information pouvait englober plus de personnes que la notion de collaborateur. Ainsi, pouvaient être considérées comme source personnelle d’information, non seulement les personnes ayant délibérément collaboré avec les organes de sécurité de l’Etat, mais également celles considérées comme une source d’information sans pour autant être au courant de ce fait, et celles ayant juste entretenu un contact en demandant par exemple un passeport. En outre, le terme de collaboration a été défini par la loi de 1997 et précisé par la jurisprudence du TC, alors que les termes qui apparaissaient dans la définition de source

personnelle d’information tels qu’informateur et assistant n’ont été déterminés nulle part.

d) L’élargissement des listes historique et prospective

436. Les listes historique et prospective ont été élargies. La première, englobant les organes de sécurité de l’Etat, a vu apparaître deux nouvelles institutions, à savoir : l’Office principal de contrôle de la presse, des publications et des spectacles avec les offices de contrôle de la presse, des publications et des spectacles de voïvodies et de villes ainsi que l’Office principal de contrôle des publications et des spectacles avec les offices de régions ; l’Office aux affaires de confession ainsi que les organes d’administration d’Etat du niveau de voïvodie, possédant des compétences particulières pour les affaires de confession536.

437. Quant à la liste prospective, indiquant les fonctions publiques dont l’exercice est soumis à la lustration, elle a été également élargie537. Certaines catégories de ces fonctions pouvaient surprendre. A titre d’exemple, de nombreuses fonctions visaient l’éducation nationale à tous les niveaux. Il ne s’agissait pas uniquement des écoles et universités publiques mais également privées. Ainsi, étaient tenus de se soumettre à l’obligation d’obtention du certificat les directeurs des écoles privées et publiques, à partir du niveau de l’école primaire. De même, pour les employés de l’enseignement supérieur comme les doyens, les vices doyens, les professeurs des universités, maîtres de conférence et assistants. La loi prévoyait également la catégorie des professeurs visiteurs et, dans ce cas, la lustration

535 Art. 6 de la loi du 18 décembre 1998 sur l’Institut de la mémoire nationale – Commission de poursuites des crimes contre la nation polonaise, J.O. 2007, No 63, texte 424.

536

Art. 2, al. 1, points 13 et 14 de la seconde loi de lustration (ver. originale).

189 pouvait viser également des professeurs étrangers. Cette disposition n’est finalement pas entrée en vigueur ; dans le cas contraire, chaque professeur étranger souhaitant enseigner dans l’un des établissements de l’enseignement supérieur en Pologne aurait été tenu de demander un certificat auprès de l’IMN.

2. Les amendements présidentiels du 14 février 2007 : modifications « révolutionnaires »

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