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L’Estonie – l’Etat balte pionnier dans le domaine de la lustration

177. L’Estonie145

a été le premier des Etats baltes à procéder à la lustration sur la base des actes juridiques votés à cet effet par le Parlement (en estonien : Riigikogu)146. Le modèle de lustration adopté en Estonie a visé les personnes qui ont collaboré avec les services secrets de tous les Etats ayant occupé le territoire estonien. Il s’agit des services secrets allemands (l’Allemagne a occupé l’Estonie de 1941 à 1944) et du KGB soviétique, actif sur le territoire estonien pendant la période de 1944-1991.

178. Cependant, le but principal de la lustration estonienne visait les anciens fonctionnaires et collaborateurs des services du KGB, dont l’activité a officiellement cessé en 1991. C’est également de 1991 que date l’interdiction de se porter candidat aux élections parlementaires et municipales pour les fonctionnaires ou collaborateurs du KGB. Cette interdiction a été supprimée en 2001, à la veille de l’adhésion à l’Union européenne en mai 2004147

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145 La République fédérée d’Estonie a déclaré sa souveraineté dès le 16 novembre 1988 ; elle a proposé en même temps de réviser la constitution de l’URSS et a suspendu l’application des lois de l’URSS sur son territoire. Moscou a rejeté les décisions prises par la République d’Estonie, soulevant que conformément à l’article 73 de la Constitution de l’URSS de 1977, le droit fédéral était supérieur au droit fédéré et cela sur tout le territoire de l’Union soviétique. La crise en Estonie, et plus généralement au sein des républiques baltes, montrait la volonté accrue des républiques fédérées d’évoluer vers le système confédéral. MEKHANTAR Joël, Droit politique et constitutionnel, Paris, ESKA, 1997, p. 65. Conformément à l’article 73 précité ; « sont du ressort de l’Union des Républiques socialistes soviétiques, en la personne de ses organes supérieures du pouvoir d’Etat et de l’administration d’Etat : la garantie de l’unité de la réglementation législative sur tout le territoire de l’URSS, l’établissement des fondements de la législation de l’Union des Républiques socialistes soviétiques et des républiques fédérées, alinéa 4; le contrôle du respect de la Constitution de l’URSS et la garantie de la conformité des constitutions des républiques fédérées avec la Constitution de l’URSS », alinéa 11, COLAS Dominique, Textes constitutionnels soviétiques, Paris, Presses Universitaires de France, 1987, pp. 89-90.

146 Une caractéristique commune de tous les trois Etats baltes est qu’ils possèdent un Parlement monocaméral.

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En conséquence, lors des élections au Parlement européen en 2004, les anciens fonctionnaires et collaborateurs du KGB avaient le droit de se porter candidats.

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1. Les étapes de la lustration estonienne

179. La lustration estonienne s’est déroulée en trois étapes. Le début de la lustration coïncida avec l’accession à l’indépendance de cet Etat le 20 août 1991. C’était juste après la déclaration d’indépendance que le Parlement estonien a voté l’obligation de déposer un « serment de conscience » pour tous ceux souhaitant occuper des fonctions dans l’administration du nouvel Etat. Ainsi, les personnes visées ont été tenues de déclarer, par l’écrit et avant d’exercer la fonction en question, qu’elles n’avaient eu aucun lien avec le KGB.

180. La seconde étape débuta par l’adoption de la loi sur les étrangers en 1994, contenant de nombreux éléments de lustration. Elle visait avant tout les personnes qui habitaient en Estonie avant 1991 et qui, en même temps, n’étant pas d’origine estonienne, appartenaient à une minorité russophone148. La loi de 1994 était extrêmement restrictive, toute personne souhaitant obtenir la nationalité estonienne, se voyait refuser cette nationalité si elle avait travaillé ou collaboré avec le KGB. La loi allait même plus loin, en permettant de refuser à un étranger le droit de séjour en Estonie, ce qui le privait automatiquement de la possibilité d’obtenir le statut de « non citoyen »149

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181. Troisième étape, la lustration stricto sensu, a débuté le 6 février 1995, avec l’adoption de la loi sur l’enregistrement et la publication des noms des fonctionnaires et collaborateurs des services secrets des Etats ayant occupé l’Estonie. La spécificité de cette loi réside dans le fait qu’elle ne se réfère pas uniquement aux anciens fonctionnaires et collaborateurs des services secrets des Etats-tiers mais vise aussi les fonctionnaires et collaborateurs actuels de ces services. En vertu de cette loi, ces personnes étaient tenues de se présenter, avant le 1er avril 1996, à la Police de sécurité, organe responsable du recueil de ces informations.

182. La liste sur laquelle figuraient les noms des personnes ayant travaillé ou collaboré avec les services secrets était classée secret d’Etat. Par conséquent, ces personnes ne subissaient aucune sanction. Cependant, le secret d’Etat ne s’appliquait pas à certaines catégories de personnes : les habitants de l’Estonie ayant commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité, les membres du Parlement et du gouvernement et les juges à la

148 L’Estonie, le plus petit des Etats baltes, compte 1,3 millions d’habitants, dont environ un quart de la population est d'origine russe.

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Il s’agit de la catégorie des résidents ne possédant pas la nationalité estonienne, mais ayant le droit de séjour et pouvant voter lors des élections municipales.

87 Cour Suprême. Les noms des personnes ne s’étant pas déclarées auprès de la Police de sécurité avant la date prévue ont fait l’objet d’une publication (la première publication de ce type a eu lieu le 1er avril 1997).

183. Néanmoins, certaines garanties étaient accordées à la personne dont le nom devait être publié. La personne visée était informée, avant la publication de son nom, qu’elle n’avait pas respecté les dispositions de la loi de 1995 et que, de ce fait, une procédure avait été introduite à son égard devant le tribunal impartial. Cette personne pouvait intenter un recours devant ce tribunal pour prouver son innocence (prouver qu’elle n’a ni travaillé ni collaboré avec les services secrets des Etats ayant occupé l’Estonie). Si le tribunal lui donnait raison, son nom ne pouvait être divulgué et le dossier la concernant retournait aux archives et demeurait secret. 184. La Police de sécurité (Kaitsepolitseiamet)150 est l’organe qui veille à l’application de la loi sur la lustration de 1995. Il s’agit d’une agence gouvernementale, créée à la suite de l’indépendance. Les personnes ayant collaboré avec le KGB n’ont pas le droit de travailler dans cette agence, sauf si elles obtiennent l’aval du chef du gouvernement et en tant que spécialiste d’un domaine bien déterminé.

185. Quel est le bilan de la loi sur la lustration estonienne de 1995 ? Au total, 1.153 personnes ont signalé leur collaboration avec le KGB. Au cours des années 1997-2004, les noms de 250 d’entre elles, ayant caché leur passé, ont été publiés au Journal officiel. Selon les données avancées par les médias estoniens, plus de mille officiers ont travaillé pour le KGB et le nombre des collaborateurs est estimé à environ 30 000151.

2. L’accès aux archives du l’ex KGB

186. Il convient de souligner que les archives du KGB en possession de la République de l’Estonie, après son indépendance, demeurent très incomplètes, ce qui constitue un obstacle majeur pour les investigations permettant de porter des accusations concrètes sur une éventuelle collaboration. Les archives du KGB relatives aux personnes faisant l’objet des répressions sont actuellement détenues dans les Archives de l’Etat estonien. Seuls les historiens, les chercheurs et les fonctionnaires de l’Etat liés à la justice ont accès à ces archives. De plus, chaque personne, et ses proches, dont le dossier se trouve dans les archives

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Site officiel de la Police de sécurité estonienne est : http://www.kapo.ee/est (03/07/2010).

88 y ont également accès. Ils possèdent également le droit de divulguer les noms des agents par lesquels ils ont été suivis ou de la part desquels ils ont subi des répressions.

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