• Aucun résultat trouvé

L’arrêt du Tribunal constitutionnel du 26 octobre 2005 : révision du statut de victime

C. Le cas de Lech Walesa : entre le héros national et l’agent « Bolek »

2. L’arrêt du Tribunal constitutionnel du 26 octobre 2005 : révision du statut de victime

406. Dans son arrêt du 26 octobre 2005483, le Tribunal constitutionnel s’est penché sur le statut de victime, tel que prévu par la loi du 18 octobre 1998 sur l’Institut de la mémoire nationale. En soulignant cependant que son contrôle ne constituait pas un jugement, à savoir si la définition de « victime » telle qu’indiquée dans la loi sur l’IMN y compris le catalogue des droits lui accordés satisfait le but indiqué dans le préambule de cette loi. Notamment, le fait de procéder à la réparation aux victimes de violations des droits de l’Homme.

407. Selon le TC, le seul fait de récolter, de façon secrète, des informations sur des personnes par les organes de sécurité de l’Etat, constituait une « caractéristique si

importante » qui permettait la différenciation des victimes. Tout d’abord en raison des actions

répressives entreprises à leur égard. Le fait d’accorder un statut particulier à ces personnes, ne constituait en aucun cas une violation de la règle d’égalité (article 32 de la Constitution) et n’avait pas de caractère discriminatoire484

. Cependant, le TC a reproché au législateur le manque de cohérence quant à la régulation juridique de la victime.

408. En outre, le TC a déclaré inconstitutionnelles les dispositions de la loi sur l’IMN qui conditionnaient à l’obtention du statut de victime le droit d’accès aux documents et la possibilité de procéder à des rectifications des informations qu’ils contenaient. Le fait que la personne n’ait pas été considérée comme victime, pouvait signifier que « dans l’archive de

l’IMN il n’y avait pas d’informations récoltées à son égard, y compris de façon secrète ». Ce

cas devait être reflété à travers un document rendu par l’IMN485. Par conséquent, l’IMN ne pouvait pas se limiter au simple constat que la personne intéressée ne pouvait pas obtenir

482 Citation dans CENCKIEWICZ Slawomir, op. cit., le même auteur évoque la réaction de Wladyslaw Frasyniuk, un autre opposant au régime, proche de L. Walesa : « J’avais l’impression de tomber sous la terre. L’homme de légende, le grand Walesa, l’autorité pour des millions de gens à travers le monde, d’une façon humiliante demande au général qu’il confirme publiquement qu’il était en règle ».

483 J.O. 2005, N° 222, texte 1914, Syg. K 31/04.

484 Partie III, 3.9 de l’arrêt du TC du 26 octobre 2005.

485 Selon le TC, rien n’empêche que la personne intéressée redemande le statut de la victime, si de nouveaux documents la concernant, sont rétrouvés dans l’archive de l’IMN. De plus, l’IMN devait l’informer d’office de l’existence de ces documents.

177 d’accès à son dossier sous prétexte qu’elle n’était pas considérée comme victime par ses propres services. En revanche, si l’IMN refusait cet accès pour d’autres raisons que l’absence des documents, dans ce cas, « ces autres raisons » auraient dû être clairement exprimées, de telle sorte que l’intéressé eût pu procéder à un recours devant le juge administratif486.

409. De plus, le TC a donné son interprétation, très importante, du lien entre l’IMN (organe administratif) et la Cour d’appel de Varsovie, compétente en matière de lustration (organe judiciaire). Le jugement rendu par la Cour ayant la force de la chose jugée, en matière de confirmation ou de non-confirmation de la collaboration, liait tous les organes de l’Etat, dont l’IMN et la juridiction administrative le contrôlant, particulièrement en ce qui concernait les conditions évoquées à l’article 6, alinéa 3 de la loi sur l’IMN. Dans le cas contraire, comme l’a souligné le TC « nous aurions à faire face à un phénomène dangereux pour l’ordre

juridique, à savoir la dualité d’appréciation des mêmes événements, circonstances et caractéristiques dans l’espace du droit public qui n’avait pas sa place dans un Etat démocratique » (selon l’article 2 de la Constitution qui pose ce principe487).

410. La notion de « collaboration » telle que définie par la loi du 11 avril 1997 (première loi de lustration) et précisée ensuite dans la jurisprudence du TC devait être employée directement en application de la loi sur l’IMN. Les deux actes concernaient les « mêmes

questions, par conséquent, les notions qu’ils employaient devaient correspondre à un contenu identique488 ». En outre, la jurisprudence existant sur la base de la première loi de lustration démontrait que la qualification d’une personne donnée en tant que personne collaborant d’un organe de sécurité de l’Etat exigeait, très fréquemment, de mener une procédure judiciaire complexe, de récolter et de vérifier de nombreuses preuves, dont celles qui ne pouvaient pas être effectuées uniquement sur la base des documents disponibles dans l’archive de l’IMN. 411. Les constats du TC, évoqués ci-dessus, étaient hautement justifiés. Le TC a mis en garde l’IMN, en rappelant le rôle primordial que jouait la Cour d’appel de Varsovie. L’interprétation du présent arrêt indique que l’IMN ne pouvait pas nier les jugements adoptés par la Cour d’appel. Par conséquent, si la Cour constatait qu’une personne concernée avait déclaré la vérité dans sa déclaration, et que ce jugement avait acquis la force de la chose jugée, ce fait ne pouvait pas être remis en question par l’IMN.

486 Partie III, 3.8 de l’arrêt du TC du 26 octobre 2005.

487

Partie III, 4.1 de l’arrêt du TC du 26 octobre 2005.

178 412. Un autre aspect, lié directement à l’accès aux documents se trouvant dans l’archive de l’IMN, a fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité. Il s’agissait de l’obligation selon laquelle la personne n’ayant pas obtenu le statut de victime et qui n’était, ni fonctionnaire, ni employé des organes de sécurité de l’Etat était tenue de déposer une déclaration indiquant le fait d’avoir collaboré avec les services secrets pour obtenir le droit d’accès aux documents la concernant489. Cette disposition demeurait en contradiction à la règle de proportionnalité (article 31, alinéa 3 de la Constitution) et limitait le droit garanti à l’article 51, alinéa 3 de la Constitution, prévoyant l’accès pour chacun aux documents le concernant.

413. Par ailleurs, il s’avérait également inutile, en vertu de la règle constitutionnelle de proportionnalité que l’IMN demande une déclaration de collaboration à une personne ne niant pas ce fait. Il est totalement inacceptable de tester la véracité des propos de la personne intéressée à travers ce type de déclaration qui peut être ensuite demandée et vérifiée sur la base de la loi sur la lustration490.

414. Finalement, Lech Walesa a obtenu le statut de victime le 16 novembre 2005, de la part de Leon Kieres491, Président de l’IMN à l’époque. Ce dernier a souligné que « L’IMN

n’accordait pas ce jour le statut de victime, car Lech Walesa s’accordait ce statut lui-même par son activité. L’IMN le confirmait simplement492

». Il a également ajouté qu’en prenant cette décision, l’IMN a pris en compte l’arrêt du Tribunal constitutionnel du 26 octobre 2005. 415. L’obtention du statut de victime ne signifiait pas pour Lech Walesa la clôture définitive du dossier lié à son passé. Les problèmes ont resurgi avec une intensité nouvelle après l’arrivée au pouvoir des frères Kaczynski et la désignation de Janusz Kurtyka493

au poste de Président de l’IMN. Le conflit qui opposa Lech Walesa à Jaroslaw Kaczynski494

(et auparavant également à son frère Lech Kaczynski) dès le début des années quatre vingt dix est souvent décrit comme une « lutte pour le pouvoir des symboles495 ». Les frères Kaczynski,

489 Art. 35, al. 2 de la loi du 18 décembre 1998 sur l’IMN (version originale).

490 Au moment où l’arrêt du TC du 26 octobre 2005 a été rendu, était en vigueur la première loi de lustration.

491

Leon Kieres a exercé la fonction du Président de l’IMN du 30 juin 2000 au 30 juin 2005, et faisant fonction du Président de l’IMN du 1 juillet 2005 au 29 décembre 2005.

492 CENCKIEWICZ Slawomir, op. cit.

493 Janusz Kurtyka a exercé la fonction du Président de l’IMN du 29 décembre 2005 au 10 avril 2010. Le Président de l’IMN est désigné par la Diète avec un accord du Sénat à la demande du Conseil de l’IMN qui présente un candidat externe au Conseil.

494 Jaroslaw Kaczynski (né en 1949) était, du 22 décembre 1990 au 31 octobre 1991, chef de la Chancellerie du Président Walesa.

495

WILDSTEIN Bronislaw, Moje boje z III RP i nie tylko, (Mes batailles avec la IIIème République et pas seulement), Warszawa, Wydawnictwo Fronda, 2008, pp. 215-224.

179 proches de Lech Walesa à une époque, sont devenus ensuite ses plus farouches opposants496. Le Président Lech Kaczynski a officiellement confirmé en 2008 que Lech Walesa était le collaborateur secret « Bolek ».

416. Certains comportements des frères Kaczynski ont été considérés comme des provocations à l’égard de Lech Walesa, notamment le fait pour le Président Kaczynski d’accorder, en avril 2009 de hautes distinctions étatiques aux 22 employés de l’IMN dont Janusz Kurtyka, son Président, et Piotr Gontarczyk, coauteur de l’ouvrage « SB i Lech Walesa497 » (en français : « Le service secret et Lech Walesa »). Le Président de la République justifia son geste par le fait d’« avoir divulgué le côté noir de la vérité498

». Lech

Walesa, pour sa part, a reproché au Président de la République d’avoir attribué des distinctions pour des « mensonges dans l’histoire de la Pologne ».

417. Le traitement accordé par l’IMN au cas de L. Walesa a été vivement critiqué499

. Aleksander Kwasniewski, ancien Président de la République, lui-même accusé par Janusz Kurtyka d’avoir été collaborateur secret sous le nom de code « Alek », a comparé l’IMN à « l’Institut du mensonge national500 ». Un manque de cohérence a été reproché à cette institution ainsi que sa politisation et la dépendance de son Président au parti au pouvoir

496 Lech Walesa, questionné en 2012 sur les relations avec les frères Kaczynski à l’époque où il était Président, a répondu : « les Kaczynski voulaient continuer à détruire, même quand le moment de la construction est arrivé. Ils devaient casser les anciennes structures et créer les nouvelles, mais ils voyaient partout des espions et agents. (…) En apercevant leur inefficacité et leur mauvais travail, j’ai été obligé de me débarrasser d’eux » selon Interview de Lech Walesa par Jacek Nizinkiewicz, « Bylem swiety » (« J’étais saint »), Przekroj, 11/03/2012. Comme l’a indiqué Antoni Dudek, historien, la scission définitive entre L. Walesa et les frères Kaczynski a eu lieu en 1991 et la « lutte totale » qui les opposa a contribué à la désintégration de la droite polonaise post-Solidarnosc. L’historien relate que les propos prononcés par Jaroslaw Kaczynski concernant la décommunisation étaient à l’origine de leur séparation durant plus de vingt ans. Le Président Walesa en colère s’adressait à Jaroslaw Kaczynski, en novembre 1991 dans les termes suivants : « C’est toi qui m’a amené à ce que je me jette avec une hache contre mes plus proches amis. J’ai commencé la « guerre en haut » mais je n’ai pas eu raison ! C’est toi qui a promis la décommunisation ! (…) J’étais stupide d’avoir cru en tout ça ! J’ai raconté des choses aux gens et maintenant ? Je dois me suicider (…) ? Le procureur s’occupera de toi. ! » Ces propos ont mis en colère Jaroslaw Kaczynski, in DUDEK Antoni, op. cit., pp. 178-179.

497 Les auteurs de l’ouvrage (Slawomir Cenckiewicz et Piotr Gontarczyk), publié en juin 2008, dont la préface a été signée par Janusz Kurtyka, Président de l’IMN ont soulevé la thèse de collaboration de Lech Walesa avec les services secrets. Le Comité d’Helsinki en Pologne exprime sa sérieuse inquiétude à cause du fait que l’Institut de la mémoire nationale (l’IMN) publia un livre dont un des auteurs était Directeur du Bureau de lustration de l’IMN, a ce sujet : PIETRZAK Mikolaj, « Kontrowersyjna biografia » (« La biographie controverse »), BIPPCz, n° 2, 2008, p. 1.

498 KUBLIK Agnieszka, CZUCHNOWSKI Wojciech, « Krzyze za walke z Walesa » (« Les croix pour la lute contre Walesa »), Gazeta Wyborcza, 08/04/2009.

499 FRISZKE Andrzej, « Jak hartowal sie radykalizm Kurtyki » (« Comment s’est durcie le radicalisme de Kurtyka »), Gazeta Wyborcza, 07/04/2009.

500 CZUCHNOWSKI Wojciech, WRONSKI Pawel, « Janusz Kurtyka kontratakuje teczke « Alka » (« Janusz Kurtyka contre-attaque le dossier « d’Alek », Gazeta Wyborcza, 01/04/2009. STROZYK Jaroslaw, « Kurtyka kontra Kwasniewski » (« Kurtyka contre Kwasniewski »), Rzeczpospolita, 02/04/2009.

180 (Droit et Justice). Il est vrai que pendant un laps de temps relativement court, Lech Walesa a été considéré comme victime des services secrets pour être ensuite considéré, par la même institution, comme ancien collaborateur secret.

418. Le cas de Lech Walesa illustre l’imperfection des dispositions législatives relatives à la lustration (cas de statut de victime). Une autre remarque s’ajoute à cela : les accusations formulées publiquement au sujet d’une éventuelle collaboration avec les services secrets constituent un élément indissociable de la lutte contre les différents camps sur la scène politique. Concernant le cas de Lech Walesa, ces accusations étaient formulées par ses anciens collègues syndicalistes et non par les anciens communistes. Le cas soulevé démontre que même les icônes les plus respectables, symboles de la lutte anticommuniste, tombent sous le poids de la lustration.

Section II. Le lancement du modèle contraignant de la lustration (conception des frères

Outline

Documents relatifs