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L’étendue objective et subjective de la loi de lustration

A. Le mécanisme de lustration et ses principales caractéristiques

1. L’étendue objective et subjective de la loi de lustration

341. La loi, dans sa première version, a prévu un mécanisme de lustration composé des étapes clés suivantes343 :

1) Dépôt, par la personne se portant candidat aux fonctions publiques indiquées par la loi ou exerçant ces fonctions, d’une déclaration, dite déclaration de lustration344

dans laquelle elle indiquait si elle entretenait des relations avec les services secrets communistes indiqués par la loi.

2) Transmission de la déclaration de lustration par les organes compétents à la Cour de lustration.

3) Engagement d’une procédure de lustration ayant le caractère contradictoire et pendant laquelle la Cour de lustration statue sur la conformité à la vérité de chaque déclaration déposée.

4) Contrôle d’instance du jugement de la Cour de lustration.

5) Divulgation publique du jugement définitif de la Cour de lustration constatant la non-conformité de la déclaration à la vérité.

342. La loi de lustration englobait deux listes contenant d’une part les organes d’Etat et d’autre part les fonctions publiques auxquels les dispositions de la loi accordaient des effets juridiques contraignants. La première liste, dite liste historique, indiquait les organes de sécurité de l’Etat. Des liens entretenus avec ces organes dans le passé, dépendaient les qualifications morales de la personne, indispensables pour exercer des fonctions publiques. La liste historique faisait référence à tous les organes de sécurité de l’Etat communiste ayant existé entre 1944 et 1990.

343 ZYGMONT Bogumil, Cele, przedmiot i zasady postepowania lustracyjnego wobec osob pelniacych funkcje publiczne (Buts, objet et règles de la procédure de lustration à l’égard des personnes exerçant les fonctions publiques), thèse non publiée, disponible à la bibliothèque de la Faculté de droit et d’administration de l’Université de Varsovie, Varsovie, 2006, p. 85.

148 343. La deuxième liste peut être décrite comme une liste prospective. Elle énumérait les plus hautes fonctions dans l’appareil de l’État démocratique dont l’exercice était lié à un haut niveau de responsabilité et qui nécessitait une confiance de la part de la société345. La première des listes faisait référence à l’étendue objective de la loi et la deuxième à son étendue subjective.

a) Les organes de sécurité de l’Etat : la « liste historique »

344. La loi de 1997 ne contenait pas d’éléments de décommunisation, et de ce point de vue il s’agissait d’une loi de lustration stricto sensu, se limitant uniquement aux organes de sécurité de l’Etat. La loi visait directement les personnes exerçant des fonctions publiques, et ayant travaillé, collaboré ou ayant effectué le service pour le compte des organes de sécurité de l’Etat. Cependant, la définition du terme des « organes de sécurité de l’Etat » ne figurait pas dans la loi. Son texte se limitait à une énumération exhaustive de douze catégories d’organes qui d’après le législateur, appartenaient à la catégorie des organes de sécurité de l’Etat (article 2), à savoir :

- L’Organe de la sécurité publique du Comité polonais de libération nationale346 était le premier organe de sécurité créé à Moscou, avec l’aide des Soviétiques, pour protéger la mise en place du nouveau régime communiste sur les territoires polonais occupés par l’Armée rouge. En juillet 1944, il a été transféré à Lublin en Pologne347 ;

- le Ministère de la sécurité publique348, appelé également UB (en polonais : Urzad

Bezpieczenstwa, l’Office de sécurité) créé le 1er janvier 1945 et responsable de la répression

contre les opposants au régime communiste durant la période du stalinisme. Il a été dissout en 1954349 ;

345 La distinction entre les deux listes a été employée par Bogumil Zygmont qui s’était inspiré des notions connues en langue anglaise « backward-looking list of positions » pour la liste historique et « forward-looking list of positions » pour la liste prospective in ZYGMONT Bogumil, op. cit., p. 102.

346

Art. 2, al. 1, point 1.

347 « Fin 1944, l’Organe de la sécurité publique comptait presque 21.000 personnes dont 13.000 fonctionnaires de la milice civique, 4.000 soldats, environ 1000 personnes employées dans les services pénitentiaires et 3.000 fonctionnaires » selon TERLECKI Ryszard, Miecz i tarcza komunizmu. Historia aparatu bezpieczenstwa w Polsce 1990, (L’épée et le bouclier du communisme. L’histoire de l’appareil de sécurité en Pologne 1944-1990), Krakow, Wydawnictwo Literackie, 2007, pp. 45-46.

348 Art. 2, al. 1 point 2.

349 Dès 1945 le rôle du Ministère de la sécurité publique a augmenté d’une manière fulgurante, en témoignait le système juridique instauré, sanctionnant la violation des droits de l’Homme et l’application de la terreur. Le nouveau pouvoir a adopté, le 16 novembre 1945, trois décrets. Le premier portait sur les crimes particulièrement

149 - le Comité aux affaires de sécurité publique350 ;

- les unités organisationnelles dépendantes des organes énumérés ci–dessus351 ;

- les institutions centrales du Service de sécurité du Ministère des affaires intérieures ainsi que ses unités territoriales fonctionnant dans les commissariats de police civique dans les voïvodies et districts, et les Offices des affaires intérieures similaires352 ; - la Reconnaissance de l’Armée de protection des frontières353 ;

- la Direction générale du service intérieur des unités militaires du Ministère des affaires intérieures ainsi que les cellules dépendantes de celui-ci354 ;

- l’Information militaire355 ; - le Service militaire intérieur356 ;

- la Direction de la IIème Division générale de l’Armée polonaise357 ;

- d’autres services des forces militaires effectuant des activités d’investigation et d’instruction, y compris dans les différents types d’armes et circonscriptions militaires358

.

dangereux pendant la période de reconstruction de l’Etat (en polonais : Dekret z dnia 16 listopada 1945r. o przestepstwach szczegolnie niebezpiecznych w okresie odbudowy Panstwa, J.O. 1945, No 53, texte 300). Ce décret, en vigueur pendant 23 ans, prévoyait des sanctions très sévères, dont la peine capitale, pour une série de crimes tels que les attaques sur les unités de forces militaires polonaises et soviétiques et les fonctionnaires de l’Etat. Le deuxième décret dit « sur la procédure immédiate » (en polonais : Dekret z dnia 16 listopada 1945r. o postepowaniu doraznym, J.O. 1945, No 53, texte 301) prévoyait l’application de la peine capitale ou la condamnation à vie pour des actes pour lesquels la procédure habituelle prévoyait des peines plus clémentes. Enfin, le troisième décret sur la création et le cadre de fonctionnement de la Commission spéciale pour la lutte contre la fraude et le sabotage économique (en polonais : Dekret z dnia 16 listopada 1945r. o utworzeniu i zakresie dzialania Komisji Specjalnej do walki z naduzyciami i szkodnictwem gospodraczym, J.O. 1945, No 53, texte 302) permettant la condamnation sans procès préalable à deux ans de camps de travail pour le versement de pot de vin et la spéculation. Pratiquement chaque activité commerciale non étatique pouvait être concernée par ce décret. Enfin, le 22 janvier 1946 un autre décret « draconien » a été adopté sur la responsabilité en raison de la défaite de septembre et la fascisation de la vie de l’Etat (en polonais : Dekret z dnia 22 stycznia 1946 o odpowiedzialnosci za kleske wrzesniowa i faszyzacje zycia panstwowego, J.O. 1946, No 5, texte 46). Ce décret a constitué un outil très efficace pour lutter contre les hommes politiques actifs sous la IIème République. Voir aussi : TERLECKI Ryszard, op. cit., pp. 66-67.

350 Art. 2, al. 1 point 3.

351 Art. 2, al. 1 point 4.

352 Art. 2, al. 1 point 5.

353

Art. 2, al. 1 point 6.

354 Art. 2, al. 1 point 7.

355 Art. 2, al. 1 point 8.

356 Art. 2, al. 1 point 9.

357

Art. 2, al. 1 point 10.

150 345. Etaient également considérés comme des organes de sécurité de l’Etat, les organes et institutions civiles et militaires des Etats étrangers effectuant des tâches similaires à celles des organes énumérés ci-dessus359.

346. La loi prévoyait que les unités du Ministère des affaires intérieures lesquelles de plein droit, avaient fait l’objet d’une dissolution au moment de la création de l’Office de protection d’Etat ainsi que les unités considérées comme leurs prédécesseurs sont considérées en tant qu’unités du Service de sécurité (article 2, al. 3).

b) Les personnes exerçant les fonctions publiques : « la liste prospective »

347. La loi se limitait à énumérer explicitement les personnes exerçant les fonctions publiques. Ces fonctions, indiquées par la liste prospective, pouvaient être classées en quatre catégories :

- La première englobait les personnes exerçant les plus hautes fonctions d’Etat et au sein de l’administration nationale, notamment : le Président de la République de Pologne ; les députés ; sénateurs et toutes personnes désignées, élues ou nommées à des postes de direction de l’Etat par le Président de la République, la Diète, le Présidium de la Diète, la Diète et le Sénat ou par le Président du Conseil des ministres. Etaient également concernées les Chefs des administrations publiques civiles ; les directeurs généraux au sein des ministères, des offices centraux ou des offices de voïvodie360.

- La deuxième se référait aux postes exercés au sein de la justice visant les magistrats, procureurs et avocats361.

- La troisième englobait les postes au sein de l’éducation supérieure, notamment celui de recteur, vice-recteur, dirigeant d’unités organisationnelles de base de l’école supérieure publique et non publique, membre du Haut Conseil de l’éducation supérieure et membre de la Commission de l’Etat pour l’accréditation ainsi que les membres de la Commission centrale aux affaires des notes et titres362.

359 Art. 2, al. 2.

360 Art. 3, al. 1.

361

Art. 3, al. 1 (ver. u.).

151 - La dernière catégorie se référait aux postes au sein des médias publics, principalement : la télévision, la radio et la presse, tels que les membres des conseils de surveillance, les membres de gérance, les directeurs de programmes et directeurs des centres régionaux et des agences de la « Télévision polonaise – société anonyme » et de la « Radio

polonaise – société anonyme ». Etaient également concerné le directeur général de l’Agence

polonaise de presse, les directeurs des offices, les rédacteurs en chef et les chefs des divisions régionales de l’Agence polonaise de presse ainsi que le Président de l’Agence polonaise d’information, les vice–présidents, les membres de gérance ainsi que les directeurs rédacteurs en chef de l’Agence polonaise d’information363

.

348. L’analyse de ce catalogue permet de formuler le constat que le législateur polonais a accordé aux postes liés aux médias publics une place très importante, ce qui peut être justifié par un souci d’indépendance de ces médias par rapport aux anciennes structures des services secrets. Il les a placés au même niveau que les plus importants postes au sein de l’administration publique.

c) Les notions de la collaboration et du service

349. La coollaboration était l’un des termes clés de la loi de 1997, même si le législateur lui a consacrée un seul article, en l’occurrence l’article 4. D’après son premier alinéa « la

collaboration consciente et secrète avec les cellules opérationnelles et d’investigation des organes de sécurité d’Etat, en tant qu’informateur secret ou auxiliaire lors du recueil opérationnel d‘informations était considérée comme collaboration ». En revanche, n’était pas

considérée comme collaboration « l’action dont l’obligation d’entreprendre relevait de la loi

en vigueur au moment où elle était effectuée » (article 4, al. 2).

350. Les notions de travail et de service dans les organes de sécurité de l’Etat n’ont pas été définies. Néanmoins, la loi, dans sa version originale, indiquait (article 5364), le type de documents pouvant être considérés comme une preuve de travail voire de service. Il s’agissait de l’acte de nomination, le contrat de travail ou tout autre document authentique y compris

363

Art. 3, al. 2 (ver. u.).

152 celui qui confirmait le fait de percevoir une retraite ou une rente en raison de ce type d’embauche. 365

351. L’article définissant la notion de la collaboration a fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité. Le Tribunal constitutionnel a confirmé sa constitutionnalité dans son arrêt du 10 novembre 1998 (signature K 39/97366), en décrivant ainsi les facteurs qui formaient les éléments constitutifs de la collaboration :

- Elle se caractérisait par la transmission d’informations aux organes de sécurité de l’Etat.

- Elle possédait un caractère conscient, c’est-à-dire que la personne collaborant était consciente d’avoir pris contact avec les représentants des services de sécurité.

- Elle avait un caractère secret, c’est-à-dire que la personne collaborant était consciente que la prise de contact et son déroulement devaient demeurer secrets, particulièrement par rapport aux personnes et milieux visés par les informations transmises.

- Elle impliquait l’acquisition opérationnelle d’informations par les organes de sécurité indiqués par la loi.

- Elle ne pouvait pas se limiter à une seule déclaration de volonté mais devait se matérialiser par l’entreprise des actions concrètes et conscientes en vue de réaliser la collaboration engagée367.

352. La notion a ensuite subi d’autres modifications. Deux nouveaux alinéas ont été ajoutés à l’article 4 par les dispositions de la loi du 13 septembre 2002368

. De plus, la loi du 15 février

365 Voir aussi : ZYGMONT Bogumil, «Zasada swobodnej oceny dowodow w postepowaniu lustracyjnym », (« La règle de la libre appréciation des preuves lors de la procédure de lustration »), Palestra, n° 9-10/2006, pp. 69-70.

366

Z.U. 1998 /6/ 99.

367 GABERLE Andrzej, op. cit., pp. 5-7.Voir aussi : MLYNARSKA SOBACZEWSKA Anna, « Lustracja a ochrona danych osobowych » (« La lustration et la protection des données personnelles ») in FAJGIELSKI Pawel (dir.), Ochrona danych osobowych w Polsce z perspektywy dziesieciolecia, (La protection des donnés personnelles en Pologne de la perspective de la décennie), Lublin, Wydawnictwo KUL, 2008, 204 pages.

368 Loi sur l’amendement de la loi sur la divulgation d’un travail ou d’un service dans les organes de sécurité de l’Etat ou d’une collaboration avec eux au cours des années 1944-1990 des personnes exerçant des fonctions publiques J.O. 2002, No 175, texte 1434 (en polonais : Ustawa z dnia 13 wrzesnia 2002r. o zmianie ustawy o ujawnieniu pracy lub sluzby w organach bezpieczenstwa panstwa lub wspolpracy z nimi w latach 1944-1990 osob pelniacych funkcje publiczne).

153 2002369 a ajouté l’article 4a, consacré à la notion de service. La définition même de la collaboration est demeurée inchangée, mais le législateur a énuméré les comportements qu’il ne considérait pas comme tels. La doctrine les décrivait comme des contretypes de collaboration370 :

1) L’action dont l’obligation relevait de la loi en vigueur au moment ou elle a été entreprise371.

2) La collecte ou la transmission d’informations dans le cadre des tâches d’espionnage, de contre-espionnage et de protection des frontières372.

3) La collaboration apparente ou le fait de se soustraire à fournir des informations malgré l’accomplissement formel d’actes et procédures exigés par l’organe de sécurité de l’Etat à l’origine de la demande de collaboration373

.

4) L’action non dirigée contre l’Eglise et autres unions confessionnelles, l’opposition démocratique, les syndicats professionnels indépendants, les aspirations de souveraineté de la Nation polonaise374.

5) L’action qui ne constituait pas une menace pour les libertés et droits de l’Homme et du citoyen ainsi que pour les biens personnels d’autres personnes375

.

353. Cependant, les dispositions présentées ci-dessus sous les points 2 à 5 ont été considérées comme inconstitutionnelles par le Tribunal constitutionnel dans les arrêts respectivement du 19 juin 2002, (signature K. 11.02)376 et du 28 mai 2003, (signature K 44/02)377.

369 Loi du 15 février 2002 sur l’amendement de la loi sur la divulgation d’un travail ou d’un service dans les organes de sécurité de l’Etat ou d’une collaboration avec eux au cours des années 1944-1990 des personnes exerçant des fonctions publiques ainsi que la loi électorale à la Diète de la République de Pologne et au Sénat de la République de Pologne, J.O. 2002, No 14, texte 128 (en polonais : Ustawa z dnia 15 lutego 2002r. o zmianie ustawy o ujawnieniu pracy lub sluzby w organach bezpieczenstwa panstwa lub wspolpracy z nimi w latach 1944-1990 osob pelniacych funkcje publiczne oraz ustawy Ordynacja wyborcza do Sejmu Rzeczpospolitej Polskiej i do Senatu Rzeczypospolitej Polskiej).

370 ZYGMONT Bogumil, op. cit., pp. 113-115.

371 Art. 4, al. 2 (ver. u.).

372

Art. 4, al. 3 (ver. u.).

373 Art. 4, al. 4 (ver. u.).

374 Art. 4a, al. 2 (ver. u.).

375 Art. 4a, al. 3 (ver. u.).

376

J.O. 2002, No 84, texte 765.

154 354. En ce qui concerne la notion de service, elle a été définie par la négative, à savoir que le service effectué dans les unités indiquées à l’article 2, alinéa 1, dont l’obligation relevait de la loi en vigueur à cette époque, n’était pas considéré comme le service au sens de la loi de lustration378.

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