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Les premiers essais législatifs de mise en œuvre de la lustration

B. Les tentatives de mise en place de la lustration et l’adoption des lois transformant les structures de la police et des services secrets (1989-1996)

1. Les premiers essais législatifs de mise en œuvre de la lustration

317. La première tentative avortée de lustration en Pologne était liée à un projet de loi sur la restitution de l’indépendance, présenté par le club parlementaire de la Confédération de la Pologne Indépendante (en polonais: Konfederacja Polski Niepodleglej – KPN) le 10 avril 1991. Le projet prévoyait que les personnes « appartenant aux organes de sécurité et de

l’ordre public ou exerçant de facto ces fonctions aussi dans le cadre des formations militaires, collaborant avec ces organes ou les surveillant, étaient soumises à une procédure spéciale de vérification » (article 5 § 6 dudit projet309). La procédure spéciale de vérification

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Le 6 juillet 1990, à la demande de Tadeusz Mazowiecki, la Diète a procédé à la destitution des généraux Czeslaw Kiszczak et Florian Siwicki, en confiant leurs portefeuilles à Krzysztof Kozlowski (MAI) et vice-amiral Piotr Kolodziejczyk (Ministre de la défense) issus de l’opposition.

307 1) La loi sur la police, J.O. 1990, No 30, texte 179 (en polonais : Ustawa z dnia 6 kwietnia 1990r. o Policji) ; 2) La loi sur l’Office de sécurité de l’Etat, J.O. 1990, No 30, texte 180 (en polonais : Ustawa z dnia 6 kwietnia 1990 o Urzedzie Ochrony Panstwa) ; 3) La loi sur l’Office du Ministre des affaires intérieures, J.O. 1990, No 30, texte 181 (en polonais : Ustawa z dnia 6 kwietnia 1990r. o Urzedzie Ministra Spraw Wewnetrznych).

308 DUDEK Antoni, op. cit., p. 78.

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Le projet a été adressé au Maréchal de la Diète de la Ière législature le 5 décembre 1991, (imprimé numéro 15).

138 devait faire l’objet d’une loi distincte en vertu du projet310. Cependant, ce dernier n’a pas suscité l’approbation de la Diète qui l’a rejeté en première lecture le 31 janvier 1992.

318. Un autre événement marquant de cette période a été lié à l’adoption par la Diète, le 28 mai 1992, d’un arrêté dit de lustration, constituant un précédant en la matière (cf. Annexe nr 5311). Il s’agissait d’un acte très succinct, limité à une seule phrase, décrit comme un « monstre législatif312 ». En vertu de ses dispositions, le Ministre des affaires intérieures était tenu de présenter à la Diète une information complète sur l’éventuelle collaboration avec les services secrets, au cours des années 1945-1990, de certaines catégories de personnes, en précisant la date de transmission de ces informations. L’arrêté visait les fonctionnaires de l’Etat à compter du niveau des voïvodies, députés, sénateurs (délai de transmission de l’information complète jusqu’au 6 juin 1992), magistrats, procureurs, avocats (délai de deux mois), conseillers municipaux et membres des gérances des communes (délai de six mois). Aucune sanction n’était prévue pour les personnes dont les noms figureraient sur la liste. 319. L’information établie par Antoni Maciarewicz, Ministre des affaires intérieures à l’époque a été transmise à la Diète le 4 juin. La liste (communément appelée « liste de

Maciarewicz » ou « liste des agents ») sur laquelle figuraient soixante quatre noms parmi

lesquels de nombreux ministres, députés et fonctionnaires a provoqué une réaction immédiate des élites politiques. Sa transmission à la Diète ainsi qu’aux personnes exerçant les plus hautes fonctions étatiques s’est déroulée dans une ambiance de scandale politique, d’autant plus que Lech Walesa, Président de la République en exercice, figurait en première position sous le nom de code « Bolek313 ».

320. S’en suivit la fameuse « nuit des dossiers » (nuit du 4 au 5 juin), au cours de laquelle la Diète vota avec succès une motion de censure à l’égard du gouvernement de Jan

310 Le projet a prévu une disposition similaire à l’égard les personnes exerçant les fonctions au sein de l’appareil de la justice, notamment les magistrats, procureurs et avocats et les personnes qui de facto exerçaient ces fonctions au cours de la période du 10 octobre 1939 au 10 octobre 1989.

311 M.P. 1992, No 16, texte 116 (en polonais : Uchwala Sejmu z dnia 28 maja 1992r.).

312 Formule employée lors de l’Interview de professeur Tadeusz Zielinski par Krystyna Chrupkowa, « Jesli fakty zastepuja prawo», (« Quand les faits remplacent le droit »), Rzeczpospolita, 15/06/1992.

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A part le nom du Président, figuraient sur la liste les noms de 3 ministres, 8 vice ministres, 3 fonctionnaires de la Chancellerie du Président de la République, 39 députés et 11 sénateurs, selon BIENIEK Ewa, « Lustracja w krajach Europy Srodkowo-Wschodniej » (« La lustration dans les Etats d’Europe centrale et de l’est ») in MOLDAWA Tadeusz (dir.), Zagadnienia konstytucjonalizmu krajow Europy Srodkowo-Wschodniej (Problématique de constitutionnalisme des Etats d’Europe centrale et de l’est), Warszawa, Elipsa, 2005, pp. 195-196.

139 Olszewski314. Le vote a eu lieu à la demande d’un groupe de députés et celle du Président de la République, qui s’est déplacé en personne à la Diète pour assister au vote.

321. La « liste de Maciarewicz » a incontestablement laissé des traces dans la conscience politique et sociale polonaise. Les opposants de la lustration ont considéré qu’elle avait constitué un acte de vengeance politique et possédait les signes d’un « coup d’Etat » (Bronislaw Geremek) et qu’elle était une « risée pour le monde entier » (Jacek Kuron315

). En 1992, la scène politique était divisée en partisans et opposants de la lustration. Au premier groupe appartenaient majoritairement les partis de droite316, le second regroupait le parti issu du POUP et son ancien satellite ainsi que l’Union de liberté317

, le parti du centre né de l’initiative de Tadeusz Mazowiecki318. Cette division n’a pas été durable néanmoins, certains des opposants à l’idée de lustration ayant changé de position par la suite.

322. Les conséquences sociales de l’arrêté ont également été épinglées. La Diète a procédé de façon incohérente. Elle aurait dû en premier lieu se concentrer sur l’évaluation de l’activité des services secrets communistes. En second lieu, elle aurait du procéder au constat, par le biais d’un acte normatif, de leur caractère illégal voir criminel, pour pouvoir ensuite tirer les conséquences négatives de la collaboration de certaines catégories de personnes avec ces

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273 députés y étaient favorables, 119 ont voté contre et 33 se sont abstenus. Le chef du gouvernement, lui même avocat de formation et défenseur des personnes persécutées sous le communisme, dans un discours prononcé avant le vote de la motion de censure, a entrepris un effort pour justifier l’importance de la liste de Maciarewicz dans les termes suivants : « Quand j’ai pris mes fonctions (...) je savais que nous serions tenus de construire un nouveau système de pouvoir démocratique en Pologne, le nouveau régime, la nouvelle, troisième, notre République polonaise dans la situation dans laquelle nous serions marqués par un horrible héritage laissé par (...) ce secteur du régime communiste, qui constituait son essence, et cette essence c’était l’appareil de violence, l’appareil de violence policière, l’appareil de police politique. Et comment cet appareil travaillait et quelles étaient les régles de son fonctionnement. Peu de personnes présentes dans cette salle le savent aussi bien que moi. (...) Quand j’ai parlé de décommunisation et quand j’ai polémiqué avec la théorie du gros trait, j’avais dans ma mémoire toujours ce problème. Et quand j’ai pris la fonction du Premier ministre, je savais que mon gouvernement devrait faire face à ce problème. Je me suis fondé sur certains principes, sachant à quel point ce problème était important, difficile en même temps et tragique pour beaucoup de personnes, ainsi j’avais essayé de chercher la meilleure solution ». En faisant référence à la liste de Maciarewicz, Jan Olszewski a constaté qu’il s’agissait de la « lecture terrifiante (…) dans laquelle il y avait une énorme charge de malheurs humains et une énorme charge de danger pour la Pologne ». Compte rendu de la 17ème Assemblée de la Diète de la première législature, (04/06/1992), disponible sur le site de la Diète : www.sejm.gov.pl (31/10/2011). Voir aussi : KALICKI Wlodzimierz, « 1992 Noc kopert » (« 1992 La nuit des enveloppes »), Gazeta Wyborcza, 05/06/2007.

315 DUDEK Antoni, op. cit., p. 210.

316 La Confédération de la Pologne Indépendante (en polonais : Konfederacja Polski Niepodleglej, ci-après la CPI), l’Accord du Centre (en polonais : Porozumienie Centrum, ci-après l’AC), l’Union chrétienne-nationale (en polonais : Zjednoczenie Chrzescijansko-Narodowe, ci-après l’UCN), le Mouvement pour le République de Pologne (en polonais : Ruch dla Rzeczpospolitej Polskiej, ci-après le MRP), et le parti libéral du centre – le Congrès libéral – démocratique (en polonais : Kongres Liberalno-Demokratyczny, ci-après le CLD).

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L’Union de liberté (en polonais : Unia Wolnosci, ci-après l’UdL).

140 services. Cette démarche a été notamment adoptée lors du procès de Nuremberg par rapport aux organes et institutions de l’Etat allemand nazi319.

2. Le premier arrêt du Tribunal constitutionnel concernant la lustration : mise en garde

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