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L’argumentation politique

A. L’argumentation pour et contre la lustration : entre pragmatisme et radicalisme

2. L’argumentation politique

305. Quant à l’argumentation politique, une partie de l’opposition issue des rangs du syndicat « Solidarnosc » (en français : Solidarité) considérait que la punition d’actes commis sous le régime communiste n’était pas nécessaire, parce que le statut des représentants de ce régime avait changé. Cette position était présentée notamment par ceux des opposants qui ont participé aux négociations de la « table ronde291 » de 1989. Pour eux, les anciens communistes étaient devenus partenaires dans la discussion sur le passage vers la démocratie et n’étaient plus perçus comme des ennemis. Le compromis atteint lors de ces négociations a été interprété comme la quasi « transformation des sympathisants de l’ancien régime en

démocrates ». Mieczyslaw Rakowski292, le dernier Ier Secrétaire du Parti ouvrier unifié polonais (ci-après, le POUP) s’était exprimé, en 2003, dans ces termes : « Je ne peux pas me

libérer de la suspicion que derrière la nostalgie du règlement des comptes avec le passé de la Pologne populaire se cache un désir inconscient de faire recours à des méthodes bolchéviks ou au moins à celles de Robespierre pour régler les comptes avec un ennemi293 ».

306. Les divisions au sein de l’opposition issue des rangs du syndicat de Solidarnosc expliquaient l’absence d’une vision claire relative au traitement de l’héritage du communisme. Les plus illustres opposants se sont prononcés à ce sujet. Une partie d’entre eux

290 Ibidem.

291 Les négociations ont débuté le 6 février à Varsovie et étaient menées dans le cadre de trois groupes de travail, (économie et politique sociale, réformes politiques et pluralisme syndical) et de sous groupes de travail (agriculture, réforme du droit et des tribunaux, associations, collectivités territoriales, médias, exploitations minières, science, éducation et progrès technique, santé et écologie). Cependant, les questions les plus controversées ont été réglées lors de réunions confidentielles qui se sont déroulées dans la ville de Magdalenka. Lors de ces réunions, la partie gouvernementale était représentée par Stanislaw Ciosek, Czeslaw Kiszczak, Aleksander Kwasniewski, (...). et dans une certaine mesure par le général Jaruzelski, qui dirigeait « sa délégation à distance ». Du côté de Solidarnosc, étaient présents, aux côtés de Lech Walesa, Zbigniew Bujak, Bronislaw Geremek, Tadeusz Mazowiecki, Adam Michnik, Jacek Kuron, Wladyslaw Frasyniuk ainsi que les représentants de l’Eglise catholique (l’évêque Tadeusz Goclowski et le prêtre Alojzy Orszulik) in DUDEK Antoni, Historia polityczna Polski 1989-2005, (Histoire politique de la Pologne 1989-2005), Krakow, Wydawnictwo ARCANA, 2007, p. 21.

292 Mieczyslaw Rakowski (1926-2008) était également chef du gouvernement de 1988-1989.

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Citation in RAKOWSKI Mieczyslaw F., « Chora Rzeczpospolita » (« La République malade »), Rzeczpospolita, 27/03/2003, reprise de KRASNODEBSKI Zdzislaw, op. cit., pp. 303-304.

133 (notamment Adam Michnik294, Tadeusz Mazowiecki295, Bronislaw Geremek et Aleksander Hall296) étaient contre l’adoption de procédures de décommunisation et de lustration. A l’opposé se situaient notamment les frères Kaczynski et Antoni Maciarewicz, plus radicaux dans leur perception du passé et favorables à la responsabilité de tout ceux qui avaient commis des actes condamnables même moralement (appartenance au parti communiste, travail, service et collaboration avec les forces de sécurité) sous le régime communiste. Ces divisions ont eu pour conséquence, entre autres, l’éclatement de l’opposition post-Solidarnosc et constituaient la source de nombreux conflits dans les années à venir.

307. Un autre argument, présenté au début de la transition démocratique, était fondé sur la peur d’un éventuel putsch en raison de l’importante présence des anciens communistes dans les structures des services secrets, de la police et dans l’administration de l’Etat. L’argument relatif au temps est également apparu. Les premières années de la transition ont été considérées comme peu appropriées pour procéder au règlement de comptes avec le passé. Selon le raisonnement proposé, le sujet pourrait être traité lors d’un changement générationnel. En outre, le règlement du passé communiste aurait été nuisible pour la nouvelle démocratie et aurait même pu menacer son développement. Ainsi, la « solution pragmatique » consistant à intégrer les représentants de l’ancien régime dans le nouveau semblait être la plus appropriée. Toute autre approche aurait provoqué leur résistance et une division de la société. 308. Ainsi, l’absence de procédures de lustration en Pologne, pendant les premières années de la démocratie, peut être justifiée par la position prise par Tadeusz Mazowiecki après les élections contractuelles qui ont eu lieu le 4 juin 1989. Lors d’un discours présenté à la Diète le 24 août 1989, consacré notamment à la crise économique que traversait la Pologne et à la

294 Adam Michnik, en faisant référence en 2008 à la IVème République souhaitée par les frères Kaczynski, a constaté que les slogans mis en avant dans le projet de la IVème République tels que la décommunisation et lustration (…) menaient à une nouvelle exclusion, Interview d’Adam Michnik par Jacek Zakowski, « Uwierzcie wlasnym oczom – Rozmowy na XX lecie », (« Croyez vos propres yeux - Discussions sur le vingtième anniversaire »), Polityka, 20-27/12/2008.

295 Voir : MICHNIK Adam, « Odkreslmy gruba linia, Tadeuszowi Mazowieckiemu – ad multos annos » (« Procédons à un gros trait, à Tadeusz Mazowiecki – ad multos annos »), Gazeta Wyborcza, 25/04/2007.

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Selon A. Hall, ministre dans le gouvernement de T. Mazowiecki « la ligne de clivage de la société polonaise au début des années quatre vingt dix était liée à un dilemme, à savoir si nous allons construire la nouvelle Pologne pour nous, pour le camp victorieux de « Solidarnosc », délaissant les gens qui se sont sentis bien lors de la République populaire de Pologne, cela veut dire avoir l’Etat pour nous. Si au contraire, la place digne en Pologne devait être réservée à tous ». A. Hall a souligné que la première conception avait de nombreux partisans lors des élections législatives de 1990. D’après lui, les postcommunistes devraient avoir le droit de participer à la vie publique. Néanmoins, les forces liées à Solidarnosc devaient les isoler. Interview d’Aleksander Hall par Wieslaw Wladyka, « Dobrze sie nam wydarzylo », (« Le bien nous est arrivé »), Polityka, 23/10/2011. Voir aussi HALL Aleksander, « Przeciwko lewicy i dekomunizacji » (« Contre la gauche et la décommunisation »), Rzeczpospolita, 20/09/2006.

134 transformation de l’économie planifiée en économie de marché297

, il a prononcé une phrase désormais célèbre : « nous tirons un gros trait sur le passé. Nous répondrons uniquement de

ce que nous avons fait afin de sortir la Pologne de l’état d’effondrement dans lequel elle se trouve actuellement298». Après ce discours, la Diète a procédé au vote en vue de confier à T. Mazowiecki la mission de créer un gouvernement299.

309. Dans la situation dans laquelle se trouvait alors la Pologne, entourée par les pays du socialisme réel et où le POUP demeurait une force politique réelle, la prudence de T. Mazowiecki semblait être justifiée. Mais au fur et à mesure des changements intervenus tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger, la stratégie adoptée par T. Mazowiecki a fait l’objet de nombreuses critiques et a été source de tensions au sein du camp de Solidarnosc.

310. A de nombreuses reprises, Tadeusz Mazowiecki a interprété la portée et la signification de son discours décrite ensuite comme la politique du « gros trait ». Selon lui, il s’agissait d’une sorte de coupure par rapport aux gouvernements communistes. Il a voulu souligner par cette expression le commencement d’une nouvelle période dans l’histoire de la Pologne. Le « gros trait » ne devait en aucun cas être interprété comme l’impunité. Tadeusz Mazowiecki considérait que ses propos avaient été déformés et cela avait apporté un énorme préjudice au passage de la République populaire de Pologne (ci-après, la RPP) à la IIIème République. L’idée du « gros trait » ne signifiait pas non plus qu’il était contre le règlement historique et les poursuites des personnes coupables de crimes300. Cependant, Mazowiecki a été accusé par ses adversaires de faire preuve d’une tolérance excessive vis-à-vis des forces communistes notamment à cause de l’incapacité de son gouvernement de rompre de manière radicale avec l’héritage de la RPP. Certains d’entre eux, notamment Jaroslaw Kaczynski, l’ont

297 Waldemar Kuczynski, l’un des proches de T. Mazowiecki et l’auteur de la partie économique de ce discours s’est rappelé que T. Mazowiecki avait enlevé de la partie économique de son discours une formulation selon laquelle « la Pologne souhaite atteindre une structure de propriété des pays développés », ce qui signifiait en réalité l’annonce de la privatisation des branches de l’économie. Cette correction, à première vue insignifiante, démontra la politique que mena Mazowiecki lors des prochains mois. Une politique qui reposait sur l’évitement du conflit entre le POUP et ses héritiers. « Une relégation du POUP à une stricte opposition et négation aurait constitué un piège pour nous et pour le pays. Il n’y avait pas dans le monde une opposition qui disposait d’une armée, de services secrets et qui aurait continué à demeurer dans l’opposition » a soulevé T. Mazowiecki quelques jours auparavant, selon DUDEK Antoni, op. cit., p. 55.

298 Ibidem.

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423 députés ont participé à ce vote, 378 étaient favorables à la candidature de Mazowiecki, 4 étaient contre et 41 se sont abstenus.

300 Interview de Tadeusz Mazowiecki par Jaroslaw Kurski, « To byly prawdziwe rozmowy a nie teatr » (« C’était de vrais discussions et pas du théâtre »), Gazeta Wyborcza, 04/04/2006. Voir aussi : Interview de Tadeusz Mazowiecki par Jacek Zakowski, « Z grubsza normalny kraj » (« A peu près un pays normal »), Polityka, 23/01/2009.

135 même accusé d’avoir conclu un pacte avec les communistes lors des négociations de la « table ronde », leur accordant l’impunité.

311. Le paradoxe propre à la Pologne était lié au fait que la première loi de la lustration de 1997 a été adoptée au cours d’une législature pendant laquelle la majorité au sein de la Diète appartenait à des formations de gauche issues de l’ancien POUP et de ses alliés (le Parti paysan polonais301). A cette époque, la fonction de Président de la République était d’ailleurs exercée par un ancien membre du POUP, Aleksander Kwasniewski302. Parmi les Etats analysés, la Pologne était le seul où les travaux préparatoires et le vote de la loi de lustration n’a pas eu lieu uniquement grâce aux efforts des partis issus de l’opposition mais avec l’aide des anciens communistes. Comment justifier donc cette attitude des postcommunistes ? La loi de lustration de 1997 ne contenait aucun élément de décommunisation. Par conséquent, elle ne constituait pas un danger pour eux. Les postcommunistes reconvertis en démocrates n’avaient pas de raisons de s’opposer à l’adoption de cette loi dans sa version originale, d’autant plus que le Président Kwasniewski était l’auteur de l’un des projets de la loi.

B. Les tentatives de mise en place de la lustration et l’adoption des lois transformant les

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