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Le site mathématique comme fil conducteur d’une analyse pour un diagnostic

CHAPITRE 3. Problématique et cadre général du travail

III. Le site mathématique comme fil conducteur d’une analyse pour un diagnostic

Arrivé à ce stade, nous devons nous poser les questions suivantes : que signifie étudier en mathématiques ? Que signifie étudier en mathématiques pour un élève donné ?

Dans le premier chapitre, nous avons tenté de développer une réponse à partir de la position épistémique de Bachelard et de la position didactique de Chevallard. Cette réponse peut être articulée avec ce que disait Descartes à propos de la méthode cartésienne de connaissances dans le discours de

la méthode.

En effet, en lisant l’étude de Mercier (2001) sur cet élève remarquable qu’a été Descartes, nous comprenons comment l’élève Descartes a été amené à mettre en doute les savoirs qui lui ont été enseignés, et à imaginer une reconstruction complète du savoir qui enchaînerait seulement les certitudes :

Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle, ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctivement à mon esprit…, diviser chacune des difficultés… pour mieux les résoudre, conduire par ordre mes pensée, en commençant par les objets les plus simples…. Faire partout des dénombrements si entiers… que je fusse assuré de ne rien omettre….

Le discours de la méthode désigne ainsi une connaissance didactique que Mercier identifie comme

suit : étudier le savoir c’est, aussi bien pour Bachelard que pour Descartes, « se l’exposer à soi- même », « repasser son cours » et c’est « le projet de s’enseigner soi-même, tel qu’il peut se former après qu’un premier enseignement ait présenté les objets sur lesquels l’effort didactique doit porter » [idem., p.35].

La méthode cartésienne est sans doute guidée par une conception des savoirs propre à son auteur. Un savoir est une œuvre humaine, une construction comme une réponse à des questions qui lui ont donné naissance. Ce savoir ne devient le savoir d’une personne que lorsque celle-ci le construit ou le reconstruit pour soi-même. Mais une construction du savoir pour soi-même suppose une connaissance sur la structure et le fonctionnement du savoir, voire, une connaissance de l’activité de recherche du

mathématicien, activité sur laquelle on connaît encore fort peu de choses26.

D’un point de vue à la fois historique et épistémologique en effet, il apparaît impossible de considérer les objets mathématiques comme objets de savoir isolés, développés indépendamment les uns des autres. Chaque objet est étudié tout au long de sa genèse en étroite relation avec d’autres et toute situation interroge d’autres situations27. Chaque situation spécifique met en place des objets

mathématiques et des relations pertinentes, dont l’ensemble constitue un champ de signification et d’investigation stable, un système qui peut fournir à chaque personne en position d’étudiant des outils d’action mais surtout des moyens d’identification et de validation de ses propres démarches. C’est à cette unité praxéologique relative à chaque domaine d’étude particulier que nous avons donné, (cf. Duchet & Erdogan, 2005), le nom d’un site mathématique.

Une des conséquences de ce point de vue est que l’enjeu de l’étude n’est pas la production de réponses à une question posée ou à une tâche problématique, mais la construction d’un rapport aux moyens qui permettent de produire ces réponses. Autrement dit, l’étude suppose non pas un rapport isolé aux objets de savoir mais un rapport aux objets du site dont l’ensemble constitue un guide, un référentiel, notamment dans le cas de l’étude autonome28.

Ce point de vue sur l’étude ne doit pas nous conduire à supposer la nécessité d’une relation immédiate et pleine des élèves aux objets d’un site donné. Un tel point de vue constituerait sans doute une fuite en avant et un tel projet serait voué à l’échec par avance. Notre problème est celui de la construction des moyens de diagnostic pour l’étude autonome des élèves et c’est seulement postérieurement à l’établissement d’un diagnostic qu’il nous semble possible d’imaginer l’aide que le professeur doit apporter à cette étude, la direction qu’il doit donner au travail de ses élèves. La notion de site mathématique nous permet d’affirmer que même si chaque élève doit réaliser son entrée dans la matière d’étude et construire ses propres rapports aux objets du site, cette notion est avant tout un moyen pour comprendre les conditions sous lesquelles les objets d’étude se présentent aux élèves, notamment à travers l’organisation générale du curriculum et l’enseignement dispensé, à travers les choix du professeur et les conditions faites à l’étude autonome des élèves.

26 À ce propos, Arsac (1992) note que des techniques indispensables au chercheur comme savoir raisonner,

savoir résoudre un problème, savoir rédiger, ne font pas l'objet d'une communication au sein de la communauté scientifique, sans doute parce qu’il n’y a pas d’étude épistémologique qui montrerait ce qui est un objet de savoir et ce qui est un objet de la recherche.

27 Citons pour appuyer ce point de vue, l’ouvrage de Giusti (1999) qui propose une étude remarquable sur la

naissance et le développement des objets et des notions mathématiques tout en montrant les liens qui se créent entre les notions dans leurs genèses.

28 Les situations de recherche sont sans doute plus marquées par le besoin d’un tel référentiel parce qu’elles

supposent à la fois l’identification de la tâche, la création d’une technique et un mode de validation interne à la situation. L’esquisse d’un modèle théorique proposé par Duchet, exposé dans (Duchet, Mainguené, 2003) met en évidence les composantes principales d’une telle démarche. Notre point de vue sur l’étude autonome, avec la notion de site mathématique que nous proposons, est conforme avec ce modèle, parce qu’il nous semble qu’il n’y pas, au fond, une distinction à marquer entre la recherche et l’activité d’étude telle que nous le concevons dans ce travail.

Chapitre 3

Problématique et cadre général du travail

À cet effet, nous proposons une analyse épistémique et didactique à deux niveaux complémentaires. Nous pensons qu’il faut d’une part mettre en évidence le site mathématique relatif à un domaine d’étude donné au sein d’une classe donnée, et d’autre part analyser l’écologie scolaire d’un tel site, notamment en identifiant les objets et relations qui sont a priori pertinentes pour les processus didactiques considérées. Nous supposons alors que l’examen du degré d’adéquation entre ce que révèlent ces deux niveaux d’analyse nous permettra d’établir un diagnostic fiable sur les difficultés rencontrées par les élèves dans des situations d’étude autonome réelles, sur les contraintes et les conditions qui déterminent les actions du professeur et des élèves.