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Le fonctionnement général de la classe et celui des différents dispositifs d’étude

CHAPITRE 9. Les institutions observées et leurs caractéristiques vis-à-vis de l’étude

I.1. Le fonctionnement général de la classe et celui des différents dispositifs d’étude

Les horaires des cours de mathématiques en classe entière sont le mardi et le jeudi de 8h à 9h et le vendredi de 9h à10h ; pour les modules, le vendredi de 10h à 11h et de 11h à 12h pour les deux groupes, la séance pour l’aide individualisée étant située le même jour de 14h30 à 15h30. On remarque donc que les élèves qui viennent en aide individualisée ont trois heures de mathématiques le vendredi et cinq heures par semaine.

Les séances de mathématiques ont toujours lieu dans la même salle qui est équipée d’une dizaine d’ordinateurs installés sur trois côtés. En effet, l’usage des outils informatiques dans ces cours de mathématiques reste important et le professeur essaye de s’en servir à chaque fois que possible. Il se sert notamment d’une calculatrice graphique et d’un vidéo projecteur qui lui permet de montrer l’écran de la calculatrice à toute la classe. Tous les élèves ayant eux-mêmes leurs propres calculatrices graphiques, leur utilisation est souvent sollicitée par le professeur : les modalités de cette utilisation font partie du contrat didactique comme nous le verrons plus loin dans la quatrième partie (au chapitre 12).

Les séances en classe entière sont souvent consacrées au cours, à part quelques séances de travail particulières où les élèves se servent des ordinateurs et travaillent en groupe.

Il existe plusieurs logiciels à la disposition des élèves, installés sur les postes d’ordinateur : IMAGICIEL pour certains graphiques, INTERESP pour la géométrie, SAMAO pour le calcul algébrique, les fonctions et la résolution d’équations/inéquations, mais aussi DERIVE (qui n’avait pas encore été présenté aux élèves au moment où nous avions commencé nos observations). Pour ces séances de travail en environnement informatique, il existe 10 groupes d’élèves, dont 8 composés de 4 élèves et 2 composés de 2 élèves. Les élèves connaissent leurs groupes et leurs places. Le professeur affirme qu’elle n’a pas retenu de critères particuliers pour la constitution des groupes. L’ordinateur étant connecté au vidéo projecteur est manipulé, selon l’activité, tantôt par un élève tantôt par le professeur ; l’ordinateur est parfois remplacé par la calculatrice dont l’image est ainsi projetée.

Si le professeur n’a pas prévu une autre activité, les heures de module sont souvent consacrées aux exercices, parfois donnés à la maison par avance. Dans la plupart des cas, ce sont les élèves qui viennent au tableau, l’un après l’autre, pour faire les exercices.

Les séances d’aide individualisée se déroulent souvent en environnement informatique. Les élèves s’installent devant leurs postes d’ordinateur et le professeur demande aux élèves sur quoi ils veulent travailler. Selon la réponse des élèves, Mme Lecourt précise, au besoin, le logiciel à utiliser. Elle affirme qu’elle n’intervient dans le travail des élèves que lorsqu’un élève fait appel à elle alors qu'avant elle intervenait « dès qu'elle voyait une ligne rouge » (le logiciel SAMAO affiche une remarque rouge en cas de mauvais résultats) : elle s'était rendue compte que ces interventions gênaient les élèves.

Chapitre 9

Les institutions observées et leurs caractéristiques vis-à-vis de l’étude

Cette courte présentation des séances d’aide individualisée nous montre déjà un fonctionnement assez particulier par rapport à ce qui est conseillé par les textes officiels, mais ne représente en fait que la partie la plus visible des négociations qui ont eu lieu entre les élèves et le professeur tout au long du premier trimestre, au cours des années qui ont suivi la mise en place de ce dispositif sur lequel le professeur veille tout particulièrement.

Nous allons étudier le fonctionnement de ce dispositif un peu plus en détail parce qu’il nous semble témoigner de manière exemplaire des attentes réciproques des élèves et du professeur vis-à-vis de l’étude autonome, en dépassent largement le cadre des séances d’aide individualisée.

En effet, le professeur déclare qu’elle a été obligée d’opter pour une nouvelle stratégie qui consiste à ne prendre en aide que les élèves volontaires. Elle affirme que quand l’aide individualisée a été mise en place il y a trois ans, elle constituait une liste des élèves à prendre en aide individualisée, notamment les élèves relativement en difficulté suivant les résultats de l’évaluation nationale de Seconde comme il est conseillé par les textes officiels. Mais une fois la liste faite, « il y avait des

élèves qui disaient - Oh ! moi, j’ai pas été appelé -. Là, je me suis dit, ils ont rien compris à l’aide. En fait, ils le prenaient comme étant une tare » nous confie le professeur. Elle a par conséquent décidé,

avec l’accord de l’administration, de ne prendre que les élèves volontaires et de ne pas se limiter en nombre devant l’insistance des parents lors du conseil de classe. Une seule condition doit être respectée par les élèves : à partir du moment où ils décident de venir en aide individualisée, ils s’engagent à venir tout le temps.

Il s'agit donc non seulement d’élèves en difficulté mais aussi d’élèves qui éprouvent un besoin d'aide pour diverses raisons : certains élèves de cette classe veulent faire une Première S mais leurs moyennes actuelles en mathématiques ne suffisent pas ; d’autres ne se sentent pas forts en mathématiques et souhaitent trouver un moment d’étude sous la direction de leur professeur, etc. Selon le professeur, le choix du volontariat n’a été que bénéfique : les élèves sont de plus en plus actifs, de plus en plus sérieux. Mais, ajoute-elle tout de suite, ceci a été surtout possible grâce au logiciel INTERESP qui lui a permis de proposer aux élèves suffisamment d’exercices pour qu’ils puissent travailler en groupe ou individuellement, pour qu’ils puissent s’auto-évaluer, prendre un engagement personnel de réussite et se sentir rassurés.

Toute la mise en œuvre de ce fonctionnement s’accompagne d’une vision assez particulière de ce que devrait être une aide du professeur.

Selon le professeur, il y a tout d’abord des problèmes, des difficultés chez les élèves qui relèvent de l’aide individualisée. Mais l’aide individualisée qu’elle organise n’est pas immédiatement profitable aux élèves, n’est pas tout de suite « rentable ». Nous pensons qu’une des raisons à cela réside dans le fait qu’en aide individualisée, les élèves de cette classe travaillent toujours sur ordinateur de manière autonome en choisissant les activités qu’ils veulent faire. Les activités proposées par le logiciel n’étant pas toutes directement liées au cours, il appartient aux élèves d’investir ce qu’ils ont pu apprendre afin de retrouver une conformité avec les objets du cours. Par exemple, les élèves, au moment où ils

étudiaient la résolution d’inéquations du second degré en classe, pouvaient travailler en aide individualisée sur SAMAO les inégalités et les inéquations du premier degré et non pas celles du second degré. Comme ce qui se passe lors d’une séance d’aide individualisée n’est pas repris par le professeur (pas de moments de bilan), c’est aux élèves qu’il incombe finalement, s’ils veulent en tirer un profit quelconque, de s’adonner à l’étude, en réinvestissant notamment les connaissances lors de moments d’étude qui, pour la plupart des cas, concerneront le travail à la maison. Par ailleurs, le professeur conseille aux élèves, tout au long de ces séances, de prendre des notes sur ce qu’ils font, tout en précisant que « le but n’est pas de jouer sur les ordinateurs ». Dans cette classe, l’aide individualisée fonctionne donc comme un moment d’étude autonome qui, pour être bénéfique, suppose l’aménagement d’autres moments et d’autres lieux d’étude autonome.

Une des fonctions essentielles de l’aide du professeur, souligne Mme Lecourt, est d’instaurer avec les élèves une relation différente de celle qui existe en classe entière. C’est une telle modification des rapports élève-professeur que Mme Lecourt affirme avoir réussi grâce au fonctionnement qu’elle a mis en place pour l’aide individualisée. Les extraits d’entretien qui suivent illustrent le double point de vue de la topogenèse et de la chronogenèse (voir notre première partie) :

12. LK […] Parce que moi, je reste persuadée que l’aide ne peut être que… Enfin, moi je viens

mais il faut pas que je valide, il faut pas que je valide l’exercice. Je n’ai que le rôle d’aide, c’est à dire si on donnait un exercice à faire comme ça en classe, je vais avoir le double rôle ; je veux avoir le rôle de celui qui valide et de celui qui aide. Et en aide individualisée, je veux plus avoir ce rôle de celui qui valide. Parce que ça me permet de, justement une autre relation avec eux. Ce n’est plus moi qui sanctionne.

13. O : C’est-à-dire qu’ils vous demandent pas de valider ?

14. LK : Non, non. Parce que je refuse. Je refuse de valider. Puisque justement le logiciel valide.

Je trouve pour moi c’est plus confortable parce que ça m’évite de valider et donc ça me met dans une relation tout à fait différente.

15. O : Eux, ils vous appellent dès qu’il y a quelque chose qu’ils comprennent pas ?

16. LK : Voilà, voilà. Uniquement quand ils ne comprennent pas et ils m’appellent pas pour

valider et puis en plus, le logiciel a déjà une aide dessus. Donc en prenant, ils essayent d’être autonome. Donc, c’est ça que je trouve intéressant, c’est que, mais c’est vers quoi je vise, je veux qu’ils utilisent d’abord l’aide qui est fournie par le logiciel. En général, ils le font. Donc, ils vont pas m’appeler. Parce que, au début ils m’appelaient beaucoup plus souvent et maintenant ils ont envie d’être autonome. Ça, ça me plait. Mais c’est pas facile, hein !

L’aide apportée par le logiciel se substitue ici à l’aide que peut/doit apporter le professeur dans le fonctionnement d’une séance d’enseignement ordinaire. Les élèves étant libres de choisir les activités souhaitées, ce n’est donc plus le professeur qui contrôle les variables des situations afin d’offrir à l’élève la possibilité de retravailler son rapport à un objet de savoir précis, mais au contraire, c’est à l’élève qu’il échoit même d’identifier son propre besoin, sa propre ignorance et de la retravailler, en ne faisant appel au professeur qu’en dernier recours.

Chapitre 9

Les institutions observées et leurs caractéristiques vis-à-vis de l’étude

généralement dans les dispositifs d’aide) ne reste pas limitée à l’exercice pur et simple d’un contrat d’étude formel : le professeur entraîne les élèves à s’exercer véritablement et à acquérir une certaine autonomie, dans la mesure où ils doivent choisir les exercices à faire, les reconnaître, et les adapter aux situations qu’ils viennent d’étudier en classe. Des exercices, souligne le professeur, qui ne sont pas très éloignés de leurs connaissances, des exercices où ils peuvent se trouver en succès :

19. O : Donc, ils ne se sentent pas dans une situation d’évaluation de leurs connaissances, ils

choisissent les exercices à faire, ils choisissent une question…Est-ce qu’ils travaillent sur quelque chose de très simple… ?

20. LK : Ah, ça, c’est le risque mais ce qui est certain, ils savent très bien en fait, ils savent très

bien que là, ils sont pas évalués. Donc ce qui est leur objectif quand même c’est de préparer activement le contrôle. Donc, ils savent très bien que s’ils font des choses trop faciles là, ça ne leur sert à rien. Donc ils sont venus une heure pour rien. Donc là, la question ne se pose pas. Ils viennent pas chercher des choses trop faciles mais ils viennent au contraire chercher des choses qu’ils ne savent pas faire. Mais pas trop trop. Il faut qu’il n’y ait pas une trop grande distance. C’est pour ça que je trouve que c’est intéressant. Parce que quand moi, je propose un exercice, je vais proposer un exercice qui est beaucoup trop loin de leurs connaissances tandis qu’eux, ils vont aller chercher des exercices qui ne sont quand même pas trop loin de leurs connaissances. Donc, ce sont des exercices où ils peuvent se trouver en succès. C’est pour ça que je trouve que cette démarche est valorisante. Et puis en plus, elle les oblige à se situer. Par exemple, l’autre jour, ils travaillaient sur la statistique et on leur parlait d’écart type. Bien sur, ils pouvaient pas connaître, ça ne fait pas partie du programme. Et alors là, je leur ai dit ; vous êtes en tort quand même parce que vous devriez savoir qu’on l’a pas eu en classe. Donc, je le laisse, je le leur ai pas dit. Parce que moi j’estime qu’ils doivent savoir ce qu’on n’a pas eu. Parce que c’est comme ça qu’ils peuvent trier, essayer de voir. Comme ça, ils l’ont fait mais ils savent pas le faire. Donc, je reviens dessus. Parce que s’ils ne savent pas ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont pas fait, ça sert à rien. C’est ce qui se passe en situation de classe. Ils savent jamais si on a fait un exercice ou si on ne l’a pas fait. Tandis que là, à partir du moment où ils choisissent l’exercice, ils doivent savoir choisir un exercice sur un chapitre qui a été traité ou pas […]

Ce dernier extrait montre bien que, à côté de la grande autonomie que le professeur attend de ses élèves lors des séances d’aide individualisée (attente finalement liée à la topogenèse comme nous l’avons souligné dans la première partie), il s’investit dans le domaine de la chronogenèse : il ne gère pas, mais il organise la progression du temps personnel des élèves. Pour pouvoir avancer et préparer activement le contrôle, les élèves doivent rencontrer des exercices ni trop faciles, ni trop loin de leur connaissances : les premiers n’apporteront rien à leur progression alors que les deuxièmes arrêteront ce processus (Mercier, 1992).

On va voir dans la suite que ces éléments relatifs à la topogenèse et chronogenèse s’affinent davantage à travers l’organisation et le suivi du travail personnel des élèves par le professeur.