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CHAPITRE 1. Etude et aide à l’étude

IV. Etude dans les développements récents de l’approche anthropologique

IV.2. Les moments de l’étude et la notion de topos

La place de l’étude dans le processus didactique ne peut pas se définir sans une interrogation sur les positions occupées respectivement par les élèves et le professeur dans la relation didactique et sans définir les rôles qui leur incombent institutionnellement dans ce processus. Comme nous avons analysé ci-dessus, les élèves et le professeur n’appartiennent pas au même registre épistémologique. L’un est responsable de l’organisation et de l’avancement du savoir dans la classe, les autres sont responsables d’effectuer les gestes nécessaires à l’apprentissage. Cette relation asymétrique entre le professeur et les élèves vis-à-vis du savoir constitue en effet le point de départ pour l’approche en question qui se propose tout d’abord d’étudier les tâches du professeur, en considérant celui-ci à la fois comme organisateur et directeur de l’étude conduite ou à conduire par les élèves. Ce point de vue,

9 La notion d’œuvre a ici un sens particulier : selon l’auteur, une œuvre est une production humaine

intentionnelle visant à répondre à des questions qui sont les raisons d’être de l’œuvre. « Un type de tâches T est une œuvre ; plus généralement, on admettra que toute œuvre s’égale en tout ou partie à une ou plusieurs praxéologies, même quand une telle organisation praxéologique n’est pas aisément identifiable, notamment parce que la présentation usuelle des œuvres tend à privilégier leurs traces matérielles davantage que les pratiques que ces œuvres rendent possibles" (Chevallard 1997c, sous la rubrique « les œuvres et les raisons

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désormais transparent, retrouve sa forme fondamentale avec le texte de Chevallard (1997a) déjà cité, dont le titre « familière et problématique : la figure du professeur » indique justement l’intention de l’auteur de modéliser les pratiques enseignantes selon les termes de l’approche. Sa lecture approfondie nous permettra de comprendre les contraintes et les moyens du professeur dans l’organisation et dans la direction de l’étude, et par là, d’avancer dans l’identification des conditions et contraintes de l’étude pour l’élève.

Dans ce texte, après une analyse historique de l’évolution du rôle du professeur qui se voit diversifié sous les injonctions institutionnelles, Chevallard tente de définir le rôle du professeur, en identifiant tout d’abord les deux grandes composantes du système des tâches professorales :

En première approximation, le système des tâches professorales laisse apparaître deux grandes composantes solidaires. La première est formée des tâches de conception et d’organisation de

dispositif d’étude, ainsi que de gestion de leur environnements (un dispositif étant la composante matérielle d’une technique, par opposition à sa composante gestuelle) ; la seconde, des tâches d’aide à l’étude, et en particulier de direction d’étude et d’enseignement, dont l’accomplissement

est appelé par la mise en œuvre, dans le cadre des dispositifs précédemment mentionnés, de techniques didactiques déterminées. [p.42]

Si le premier type de tâches du professeur, soit la détermination des organisations mathématiques10 à

étudier en classe, consiste à déterminer les types de tâches mathématiques, les développements techniques et leurs composantes technologiques/théoriques, la direction à donner à l’étude d’une organisation mathématique déterminée suppose en effet la conduite d’une transposition et d’une reconstruction de cette organisation. C’est là qu’intervient la notion de moments d’étude comme la description de la mise en place de l’étude d’une organisation mathématique en classe :

On ne saurait évidemment s’attendre à ce qu’une telle construction soit univoquement déterminée. Mais on s’aperçoit pourtant que quelque soit le cheminement de l’étude, certains types de situations sont nécessairement présents, même s’ils le sont de manière très variable, tant au plan qualitatif qu’au plan quantitatif. On appellera donc moments de l’étude, ou moments didactiques, de tels types de situations, parce qu’on peut dire que, quelque soit le cheminement suivi, il arrive

un moment où tel ou tel geste didactique devra être accompli ; où, par exemple, on devra « fixer »

les éléments élaborés (moment d’institutionnalisation) ; ou encore, on devra se demander « ce que vaut » ce qui s’est construit jusque-là (moment de l’évaluation) ; etc. [Chevallard, 1997a, p.45]

Les moments de l’étude se composent ainsi de 1.Moment de la (première) rencontre avec un type de tâches T, 2.Moment de l’exploration du type de tâches et de l’émergence de la technique τ , 3.Moment de la construction du bloc technologico-théorique [θ/Θ], 4.Moment de l’institutionnalisation. 5.Moment du travail de l’organisation mathématique (et en particulier de la technique). 6.Moment de l’évaluation.

Chevallard souligne que les moments de l’étude sont d’abord une réalité organique de l’étude, avant d’en être une réalité chronologique. L’ordre indiqué est donc arbitraire. Il précise aussi qu’une bonne

gestion supposerait que chacun des moments didactiques se réalise aux bons moments. « Mais un moment de l’étude se réalise généralement en plusieurs fois, sous la forme d’une multiplicité d’épisodes éclatés dans le temps » [Ibid.]

Il est clair que jusqu’ici l’article tâche de caractériser le rôle du professeur dans l’institution didactique, tout en donnant une piste et une structure à l’organisation et à l’accomplissement du rôle qui lui est assigné. De ce fait, la problématique tentant de désigner et modéliser les gestes d’étude

autonome pour les élèves et son orientation par un éventuel directeur de l’étude semble confondue,

voire, perdue sous le modèle d’une organisation de l’étude par le professeur. C’est enfin, dans la dernière partie de l’article et sous le titre « La difficulté d’enseigner » qu’apparaissent pour la première fois, les questions concernant le parcours de l’étudiant et les frontières de sa liberté.

Ces questions s’articulent autour de la notion de topos, mot d’origine grecque signifiant « lieu », qui permet à Chevallard de revenir aux conditions et aux contraintes de la position institutionnelle de l’élève dans la relation didactique. La notion de topos " de l’élève", explique-t-il, délimite le rôle de l’élève, c'est-à-dire l’ensemble des gestes qu’il doit accomplir, « soit le "lieu" où, psychologiquement, il éprouve le sentiment d’avoir à jouer "un rôle bien à lui", et, solidairement, de devoir ne compter que sur lui-même.» [p.51]

On l’aurait compris, le topos de l’élève dépend du topos du professeur et l’efficacité d’une direction d’étude sera mesurée en fonction du topos qu’elle accorde à l’élève, du rôle qu’elle lui permet de jouer dans la réalisation des apprentissages. Alors, c’est toute la difficulté de faire une relation asymétrique, étudiée plus haut, qui se trouve naturellement à l’origine de la problématique du topos de l’élève. En référence au paradoxe fondamental du contrat didactique, Chevallard souligne avec force ce caractère problématique de la relation topogénétique :

L’élève doit accepter le professeur comme directeur d’étude, et, dans le même temps, renoncer presque violemment aux trompeuses facilités qu’il apporte comme enseignant – et cela, en principe, à propos de chacun des moments de l’étude, évaluation et institutionnalisation comprises. Le « drame didactique » que le mot de topos résume se noue ainsi autour du jeu du professeur : toujours subtilement présent, fût-ce in absentia, celui-ci doit savoir se faire absent même in praesentia, pour laisser l’élève libre de conquérir une indépendance que la figure tutélaire du professeur rend tout à la fois possible et incertaine. [Chevallard, 1997a, p.53]

La notion de topos est régulièrement reprise dans les textes ultérieurs de Chevallard (1999, 2002a), le lien avec le contrat didactique et plus généralement avec la théorie des situations didactiques est souligné. Bien qu’une définition plus formelle et un modèle plus explicite n’en soient proposés par l’auteur, ces formulations constituent pour nous un pas essentiel pour apporter plus de précisions aux premières définitions de l’étude autonome. Nous le ferons dans la section suivante à partir d’un rapprochement entre la notion de topos et la notion d’autonomie.

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