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Des équations algébriques à l’algèbre moderne : le langage algébrique, les nombres et les

CHAPITRE 4. Elements de repère pour l’étude du site algébrique-fonctionnel

I. Un aperçu historique du site algébrique-fonctionnel

I.1. Des équations algébriques à l’algèbre moderne : le langage algébrique, les nombres et les

Des exemples de résolutions d’équations du premier degré et du second degré son connus dans l’antiquité et l’étude des équations fait l’unique préoccupation des algébristes jusqu’au début du XIXème siècle.

Des connaissances babyloniennes et égyptiennes à l’émergence de l’algèbre moderne en Europe et en passant par la mathématique du monde musulman, le développement de la théorie des équations va rester étroitement lié d’une part au développement du langage algébrique, d’autre part aux extensions successives de la notion de nombre.

Après les premières formulations de Diophante (vers 350 après J-C.), au IXème siècle, Al- Khuwarizmi va élaborer l’un des premiers traités d’algèbre, en rédigeant un exposé systématique de la théorie des équations. Une traduction en latin du livre d’Al-Khuwarizmi, diffusée à partir du XIIème siècle en Europe, va progressivement bouleverser les méthodes des mathématiciens de l’époque et au XVIème siècle se mettra en place un véritable langage algébrique, celui des lettres et des symboles dont l’initiative revient à François Viète. Le signe d’égalité, tel qu’il est utilisé aujourd’hui, sera proposé à cette époque par un physicien de la Cour Royale d’Angleterre, Robert Recorde, mais il faudra un temps considérable avant qu’il soit généralement accepté.

Déjà connus des mathématiciens arabes sous forme de puissance de l’inconnue (sans le symbolisme moderne), les polynômes vont se développer dans ce contexte. Représentation des inconnues par des voyelles et celles des paramètres par des consonnes, les notations de la somme, du produit, du quotient, et de la puissance seront introduites par Viète et Descartes. Descartes va ensuite utiliser une forme semblable de l’équation du second degré à celle utilisée aujourd’hui, en écrivant par exemplexx- x5 +6α 038. Il va étudier aussi comment on peut diminuer le degré d’une équation si on

connaît l’une de ses racines réelles et comment on peut déterminer le nombre de racines positive (ou négative) que peut avoir une équation39. Tout sera alors en place pour que se développe l'étude

37 Les documents relatifs à l’histoire de l’algèbre sont nombreux et ils semblent tous témoigner à peu près des

mêmes mouvements, en précisant les trois étapes du développement de la théorie : algèbre des anciens, celle du monde musulman et l’essor de l’algèbre moderne en Europe à partir XVIème siècle. Dans cette étude, nous allons nous appuyer principalement sur l’ouvrage de Mahammed (1998) qui propose une étude assez remarquable de l’histoire de l’algèbre et sur celui de Guisti (1999) qui, au-delà des éléments historiques qu’il contient, apparaît comme une référence épistémologique importante.

38 Exemple donné dans Mahammed (1998, p.64)

39 C’est à ce propos qu’il énonce la règle suivante, connue depuis sous le nom de Règle de signes de Descartes :

en chaque équation, il peut y avoir autant de vraies racines que les signes + et – s’y trouvent de fois être changés, et autant de fausses qu’il s’y trouve de fois deux signes+, ou deux signes – qui s’entresuivent

Chapitre 4

Eléments de repère pour l’étude du site algébrique-fonctionnel

générale des polynômes.

Pendant ce temps, les nombres négatifs et irrationnels seront développés tandis que les formules de résolution d’une équation du troisième degré, obtenues grâce au symbolisme algébrique en fonction des constants de l’équation, conduiront les algébristes italiens du XVIème siècle à raisonner sur les nombres ‘imaginaires’. Cette « extension » des nombres (qui prendra le nom de nombres complexes) amènera d'Alembert (en 1746) et Gauss (en 1799) à démontrer le théorème fondamental de l'algèbre énoncé deux siècles avant : toute équation polynomiale de degré n en nombres complexes a exactement n racines (comptées chacune avec sa multiplicité). Autrement, sous sa forme moderne : le corps des nombres complexes est algébriquement clos.

Le XIXème siècle s'intéressera désormais à la calculabilité des racines d’une équation, et en particulier à la possibilité de les exprimer par des formules générales à base de radicaux, problème connu dans la littérature mathématique comme celui de la résolution d’une équation algébrique par extraction de

radicaux. Par analogie avec le cas des équations de degré inférieur ou égal à 4, les algébristes vont

penser que toute solution d’une équation peut s’exprimer par des radicaux portant sur les coefficients de l’équation. Les tentatives infructueuses pour établir cette conjecture vont remettre en question des résultats obtenus et les méthodes employées jusque là, conduire à dégager les premières structures abstraites et être à l’origine de l’algèbre moderne. Réfléchissant sur les difficultés introduites par les formules exprimant les racines des équations de degrés trois et quatre, Vandermonde (1774) développera l’idée que la résolution algébrique d’une équation dépend de la possibilité de trouver des fonctions rationnelles des racines telles que les valeurs prises, après permutation des racines, soient inchangées. Il mettra ainsi en évidence le rôle important que vont jouer les fonctions symétriques des racines de l’équation et le concept de substitution dans un ensemble fini (ici celui des racines de l’équation). Ensuite, Lagrange va conduire une étude plus fouillée de la théorie des substitutions d’un ensemble fini40. Ainsi, la problématique de la résolubilité algébrique des équations sera modifiée : au

lieu de chercher des expressions algébriques explicites des racines d’une équation, il conviendra désormais de donner des critères permettant de savoir a priori si une équation donnée est résoluble algébriquement. Ensuite, dans la lignée des travaux de Vandermonde et de Lagrange, Ruffini et Abel

40 L’idée de Lagrange est la suivante : « considérons une équation de degré n, ,

+

+....+

+

=0

0 1

-

a

x

a

a

x

n n x

et soient (

x

1

,x

2

,...x

n) ses racines. Supposons que nous ayons trouvé une fonction f(

x

1

,x

2

,...x

n) de ses racines, qui prenne seulement k valeurs différentes avec k<n. Ces valeurs de la fonction f seront alors solutions d’une équation auxiliaire de degré k, dont les coefficients pourront être déterminés au moyen de ceux de l’équation initiale. Si nous arrivons à résoudre cette équation auxiliaire, nous auront trouvé les valeurs de certaines combinaisons des racines, à partir desquelles nous pourrons remonter aux racines elles-mêmes, et ainsi pourrons-nous résoudre l’équation de départ. Naturellement, nous pourrons appliquer la même idée aussi à l’équation auxiliaire, ramenant sa résolution à celle d’une équation de degré inférieur, et ainsi de suite jusqu’à arriver à une équation du second degré, dont nous pourrons écrire explicitement les solutions. Lagrange montre comment cette stratégie de réductions successives conduit au succès si le degré de l’équation est 3 ou 4, tandis que si n=5, elle ne réussit pas à abaisser le degré de l’équation auxiliaire à moins de 6. Ce fait le conduit à douter de la résolubité par radicaux des équations de degré supérieur au quatrième, même s’il évite de se prononcer à ce propos » (Giusti, 1999, p.29).

chercheront une démonstration de l’impossibilité de la résolution par les radicaux d’une équation de degré égal ou supérieur à 5. Galois va introduire pour la première fois la notion de groupe (de substitution), en étudiant le groupe des permutations des racines d'une équation polynomiale et va aboutir à l'impossibilité de la résolution par radicaux pour les équations de degré supérieur ou égal à 5. Dès lors, l’algèbre au sens moderne, à savoir l’étude des structures algébriques indépendamment de leurs réalisations concrètes va progressivement se dégager au cours du XIXème siècle, et les mathématiques vont changer de statut. Ainsi le mathématicien anglais George Boole pourra déclarer en 1847 ; « la mathématique traite les opérations considérées en elles-mêmes, indépendamment des matières diverses auxquelles elles peuvent être appliquées » (Verley, 1984, p.705). Il écrira algébriquement le calcul logique, dont les objets sont des propositions.