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CHAPITRE 8. Classe de Seconde comme une institution particulière d’étude

III. Les dispositifs d’étude de la classe de Seconde

III.3. Les regards critiques sur l’aide individualisée

La mise en place de l’aide individualisée soulève plusieurs questions, notamment de la part des acteurs de terrain. Certaines parmi elles sont abordées lors de l’université d’été, organisée par le ministère de l’éducation en juillet 1999, portant uniquement sur ce thème et regroupant des chefs d’établissement, des représentants des corps d’inspections ainsi que des personnes-ressources des académies. Ces

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questions se formulent en général autour des axes suivants74 ;

- Les attentes réciproques : quelle est l’attente de l’élève dans cette aide, celle de ses parents et celle de l’institution ?

- Des évaluations indispensables : à partir de quelle évaluation faut-il choisir les élèves à aider, comment évaluer l’élève aidé, le groupe, selon quelle périodicité ?

- Des compétences professionnelles : la mise en œuvre de l’aide individualisée en seconde requiert-elle de la part des professeurs des compétences professionnelles nouvelles ?

C’est sans doute pour ces diverses questions qui se posent autour de l’AI et pour mesurer l’efficacité de tels dispositifs sur le terrain que le ministère de l’éducation nationale a confié la préparation d’un rapport sur les effets de la mise en place de ce dispositif à l’IREDU. Ce rapport qui concerne la première année de la mise en place de ce dispositif, a été rendu public en 200075.

Par rapport aux objectifs fixés par les textes officiels pour ce dispositif, les résultats statistiques de l’IREDU sont peu encourageants.

En ce qui concerne d’abord le contenu des séances de l’aide individualisée, le rapport révèle que « les enseignants déclarent privilégier les méthodes de travail des élèves et leurs connaissances de base puis, dans une moindre mesure, ils travaillent sur le rapport à la discipline et les blocages, sur la réalisation d’exercices, sur l’aide aux devoirs et sur les révisions du cours» (Duru-Bellat et al., 2001, p.2). Rien d’inattendu jusqu’à là, puisque ces déclarations correspondent bien aux objectifs du dispositif. Par contre, les élèves qui ont suivi des séances d’aide individualisée considèrent en grande majorité, quelque soit leur niveau scolaire, que ce dispositif leur a surtout permis d’abord d’améliorer leurs capacités à faire les exercices, ensuite de mieux comprendre le cours. Tandis que les élèves sont assez sévères sur les autres dimensions du dispositif :

Dimensions Mathématiques Français

Compréhension du cours 64,6% 53,6%

Définition de votre projet d’étude 14,6% 16,5% Relations avec l’enseignant 37,7% 41,9% Appréciation de la discipline 32,3% 36,4% Capacité à faire les exercices 68,0% 54,9%

Comportement en classe 20,9% 23,2%

Tableau : Appréciation positive de l’AI par les élèves, extrait du rapport de l’IREDU

Les auteurs de ce rapport en concluent que ce sont donc avant tout les effets scolaires de l’aide qui

74 L’aide individualisée en classe de seconde des lycées d’enseignement général et technologique, Université

d’été des 12 et 13 juillet 1999, document du ministère de l’éducation nationale de la recherche et de la technologie, direction de l’enseignement scolaire (1999).

75 Duru-Bellat et al. (2000), l’aide individualisée en seconde : mise en route et premier effets d’une innovation

sont mis en avant par les élèves. Autrement dit, les élèves ne considèrent ce dispositif que du point de vue de l’aide qu’il leur apporte pour la réalisation de leur étude autonome.

Et pourtant, l’effet d’aide est ce qui est le moins assuré, et de ce point de vue l’AI apparaît plutôt, osons ici le mot, nocive. Par rapport à toutes les variables (établissements, fréquentation,…) l’impact de l’aide individualisée apparaît comme nul en mathématiques et légèrement négatif en français. Les auteurs en concluent que « l’aide en français et en mathématiques ne permet pas d’améliorer les

résultats scolaires des élèves entre le début et la fin de l’année scolaire. La variable qui explique le mieux le niveau atteint en fin d’année reste le niveau atteint en fin de premier trimestre dans chacune de deux matières.»

Il convient cependant de nuancer ce constat car il s’appuie sur l’évaluation par les résultats scolaires.

Il s’agit là d’une question largement débattue dans la didactique des mathématiques (Chevallard 1986,1988 ; Brousseau 2000), et nous ne reprendrons pas ici toutes ses variations (certains aspects sont assez connus : le fait que le professeur se voit obligé de tenir la moyenne de la classe aux alentours de 10, et que pour cela, il ne devrait pas poser de questions trop faciles qui risquent de le faire apparaître aux yeux des parents et de ses collègues comme un professeur qui n’apprend rien,…). Notons uniquement qu’à l’entrée en classe de Seconde, les élèves sont évalués en grande partie sur leurs connaissances de Troisième, alors que, avec l’avancement du cours et l’introduction au fur et à mesure des objets d’enseignement de la classe de Seconde, la plupart des élèves voient leurs notes s’effondrer. Une amélioration des notes n’arrive que vers la fin du troisième trimestre pour les élèves en progression. C’est un point important de nos données d’observations sur lequel nous allons revenir au chapitre 11.

Les auteurs du rapport esquissent quelques pistes dans leur conclusion - en s’appuyant également sur d’autres travaux d’évaluation réalisés sur des dispositifs de soutien en faveur des publics en difficultés scolaires - afin de comprendre l’inefficacité « apparente » de l’aide individualisée en Seconde76.

L’élève qui participe à l’AI aurait renoncé à d’autres activités, il serait en position d’attente, le malentendu entre les professeurs et les élèves, les premiers axant le contenu des séances sur la révision des connaissances de base, les seconds situant le problème plutôt au niveau de la compréhension des attentes et des consignes de l’enseignant lors du travail personnel etc. Bref, de nombreuses questions que l’on peut facilement formuler en termes de contrat didactique ou plus précisément de contrat de

l’étude.

C’est un tel travail de recentrage de la question de l’efficacité de l’AI autour du contrat didactique qu’ont tenté de réaliser Matheron & Noirfalise (2002) en réaction « didactique » aux résultats du rapport de l’IREDU. Les auteurs considèrent l’AI comme un système didactique auxiliaire annexé au système principal77, un système qui a pour fonction de fournir des aides complémentaires relatives aux

76 Nous nous référons ici à la note de synthèse de l’équipe sur le rapport citée ci-dessus.

77 Le fait de considérer de tels dispositifs comme des systèmes auxiliaires pose quelques problèmes qui mériterait

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objets de savoir que constituent, selon les principes de l’approche anthropologique, les organisations mathématiques et leur étude.

En premier lieu, en se référant aux travaux de Brousseau et de Chevallard, ils soulignent deux points importants à propos de l’échec scolaire :

1- Les échecs des élèves doivent être analysés du point de vue des connaissances elles-mêmes 2- Tout se passe comme si les rapports entre les différents statuts d’élève étaient des caractéristiques

constantes, donc régulées, du fonctionnement scolaire. L’échec n’est donc pas à interpréter en termes d’apprentissages uniquement mais aussi en termes de position sociale dans le collectif formé par une classe

Ensuite, en situant le fonctionnement d’un tel système auxiliaire dans le cadre du contrat didactique, ils construisent leur raisonnement sur les trois règles du contrat didactique, à savoir ;

R1 : le professeur est supposé créer des conditions suffisantes pour l’appropriation des connaissances par les élèves, et reconnaître cette appropriation quand elle se reproduit.

R2 : l’élève est supposé satisfaire ces conditions

R3 : la relation didactique doit continuer coûte que coûte

Une première hypothèse des auteurs est alors de se demander si l’AI, en exigeant de la part du professeur des formes d’aide à l’étude en grande partie inédite et la création des nouvelles conditions pour l’appropriation des connaissances, ne déresponsabilise pas l’élève en le mettant dans une position d’attente ? « Plus l’élève est assuré de la réussite par des effets indépendants de son investissement

personnel et plus il échouera » notent les auteurs en faisant allusion à « l’effet Diènes ».

Deuxième hypothèse : à trop vouloir aider les élèves sur des difficultés que l’on croit spécifiques, en faisant travailler l’élève sur les objets anciens, le travail en AI ne porterait-t-il pas essentiellement sur des clauses anciennes du contrat didactique, mais avec une exigence moindre ?

Troisième hypothèse : l’AI ne serait-t-elle pas le lieu d’un glissement méthodologique, notamment par l’attention portée à la lecture des consignes et aux dispositifs intermédiaires inutiles (ainsi des étapes censées aider les élèves lors d’une démonstration) ?

Quatrième hypothèse : en mettant l’accent sur certains conseils, en rendant saillante l’application de telle ou telle règle, l’AI ne risque-t-elle pas de rendre les élèves ayant déjà des difficultés pour la perception des clauses du contrat didactique, encore plus insensibles aux nuances de ce contrat ?

« Nuances sans lesquelles, il leur serait pourtant difficile de réussir », précisent les auteurs.

par les mêmes professeurs que ceux du système didactique principal.

IV. Conclusion

Une remarque importante à ce niveau : qu’il s’agisse des textes concernant la classe de Seconde dans sa généralité ou ceux portant sur les différents dispositifs pédagogiques propres à cette classe comme les modules et l’aide individualisée, la question du contenu de l’aide dont les élèves ont besoin pour étudier ne semble jamais posée par les rédacteurs de programmes. Et pourtant, l’étude autonome des élèves en classe ou à la maison y est considérée comme activité mathématique fondamentale à ce niveau et des fonctions diverses lui sont attribuées. C’est autour de sa capacité à fournir un travail

personnel que va se jouer l’échec ou le succès d’un élève de Seconde, note le proviseur d’un lycée de

région parisienne (Doc. cité, p.31), participant à cette école d’été sur l’aide individualisée. Ou encore,

l’aide individualisée c’est la compétence à rendre l’élève ‘sujet’ de la construction des savoirs,

déclare un conseiller d’académie (Ibid.p.43) participant aux mêmes journées.

Le besoin d’aide à l’étude que ressentent de nombreux élèves de la classe de Seconde ainsi que les difficultés réelles qu’ils rencontrent lors de leur étude autonome ne sont interprétés par les rédacteurs de programmes que du point de vue de la diversité des parcours scolaires des élèves, du problème de l’hétérogénéité des classes, des effectifs nombreux, du manque de méthode de travail : les objectifs restent loin des préoccupations proprement didactiques. Les rédacteurs de programmes ne semblent jamais considérer que l’échec des élèves, ou plus spécifiquement les difficultés rencontrées par un élève à fournir un travail autonome conformément aux attentes institutionnelles pourraient être le fruit de l’institution et de son fonctionnement didactique. Devant l’incapacité à identifier les véritables sources de l’échec des élèves, et en réponse au problème que rencontrent les enseignants dans leur classe, les pouvoirs de décision semblent conduits à procéder avant tout à une diminution du nombre d’élèves pris en charge par chaque enseignant avec la mise en place des dispositifs de pédagogie individualisée. Si cette tendance est accueillie de manière plutôt favorable par tous les acteurs (élèves, parents, enseignants…) « force est de constater que la recherche peine à démontrer l’efficacité des

mesures qui en découlent », remarquent les auteurs du rapport de l’IREDU (Danner et al., 2001). Ils

soulignent ainsi, en se référant aux travaux de Crahay (2000), que très peu de travaux, notamment en France, ont véritablement montré l’efficacité d’un enseignement en groupe restreint pour la remédiation.

Notons enfin que, s’il subsiste dans les textes officiels une idée d’aide aux élèves concernant les problèmes didactiques, cette idée est toujours formulée à l’égard des élèves dits « en difficulté ». Le fait qu’un besoin d’aide pourrait apparaître pour les « bons » élèves lors de l’étude d’un thème ou d’une question donnée n’est jamais évoqué. L’aide en question apparaît comme inscrite dans le cadre d’une remédiation destinée aux élèves en difficulté, et ne s’inscrit pas dans une problématique de besoin de direction d’étude, besoin que tous les élèves, même très bons, pourraient ressentir à un moment donné de leur parcours en classe de Seconde.