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La dimension épistémique de l’étude autonome : notion de site mathématique

CHAPITRE 2. Genèse d’une problématique

V. La dimension épistémique de l’étude autonome : notion de site mathématique

En allant plus loin dans l’analyse des deux situations précédentes, on pourrait mettre en évidence un même corps d’objets mathématiques. Dans les deux cas en effet, ce sont des expressions algébriques qui sont convoquées et amenées à être comparées, soit par une relation d’ordre (exercice d’encadrement pour la classe de Seconde), soit par une relation d’équivalence (preuve d’une propriété

21 Par exemple, pour ce type de problèmes, trouver le nombre qui est congru à 1 se révèle souvent comme une

manière rapide de former la réponse, sans pour autant qu’il y ait mise en œuvre d’une technique justifiée.

22 Sensevy note : "on trouvera alors une conception de la temporalité de l’apprentissage comme étude, où les

dimensions prépondérantes sont le « souvenir » et « l’attente », ou pour parler plus « cognitivement », la mémoire et l’anticipation" (Sensevy, 1998, p.54).

de congruence en DEUG). Des règles formelles, combinatoires, permettent dans chaque cas d’opérer des déductions sur les expressions concernées. Examinons plus en détail la situation de l’exercice de la classe de Seconde.

La comparaison en question s’appuie sur le concept de relation d’ordre comme un objet du "second plan" qui s’appuie lui-même sur le concept de relation binaire. Mais ce passage fait intervenir le concept de fonction (approximation, croissance, développement limité) et les problématiques d’analyse (infinitésimal, continuité, limite). C’est ainsi qu’un réseau de techniques s’organise autour des fonctions particulières faisant ainsi référence : fonction 1/x, fonction x² (fonctions de référence explicite des programmes) et fonctions polynômes (référence implicite pour les procédures d’approximation : 1/1+x comparée à 1+x et

1+x

comparée à

8 ² - 2 + 1 x x .)

Ce bout d’analyse est en effet suffisant pour voir comment, devant une telle situation, les objets mathématiques - certains visibles, d’autres cachés - s’agencent les uns avec les autres - avec différents niveaux de profondeur - jusqu’à constituer un champ pertinent sur lequel va s’appuyer l’étude autonome de l’élève, un champ qui va lui permettre des outils d’action mais aussi des moyens d’identification et de validation de ses propres démarches. C’est un tel champ que nous appelons un site mathématique23 et nous le définissons de la manière suivante :

Le champ des objets mathématiques dont l’étude se révèle pertinente ou est supposée telle pour la connaissance d’un objet scientifique donné, O, peut être considéré comme un réseau d’objets et de relations, le site mathématique de O. Certains de ces objets et relations sont visibles, d’autres sont cachés. Pour chaque sujet en position d’étudiant, le site mathématique se présente sous forme d’un champ de signification, d’investigation et d’expérience suffisamment stable, à son échelle, pour conférer à son étude un référentiel fiable [Duchet & Erdogan, 2005].

Le site mathématique en question dans ce que nous venons de voir serait par exemple un domaine d’étude « algébrique – fonctionnel » sans pour autant s’y limiter24. Les objets principaux de ce site

seraient par conséquent constitués des objets/concepts tels que nombre, polynôme, relation/graphe, équation, fonction, variation, ordre, inéquation… etc., des relations parmi eux, des concepts et des techniques qui s’y rapportent.

Il va de soi que l’efficacité de l’étude autonome d’un élève dépendra de la manière dont ce site se présente à lui, mais aussi de ses dispositions personnelles qui lui permettent d’entrer dans ce site. Poursuivons l’étude de la question de notre élève de Seconde, mais cette fois-ci avec une entrée institutionnelle :

La comparaison, l’objet apparent de l’exercice, est un concept plutôt scolaire, effectif sur des

ensembles connus en extension, signifiant la détermination de l’ordre de deux éléments du même ensemble ordonné. Il devient, dans l’enseignement au Collège, un objet utile dans la comparaison des

23 En analogie avec le site archéologique où on effectue des fouilles.

Chapitre 2

Genèse d’une problématique

nombres et la résolution d’équations et inéquations. Il se traite le plus souvent par une technique de réduction au problème du signe de la différence des deux nombres.

En classe de Seconde, tout en gardant son statut pour la comparaison algébrique ou pour la résolution d’équations et inéquations, cet objet est appelé à cohabiter avec les fonctions, telles que

x

2et1/x, couramment appelées les fonctions de référence ou les fonctions usuelles. Car, le programme ne consacre pas de chapitre particulier au calcul algébrique mais prévoit une étude du calcul algébrique en lien avec les fonctions, les objets de l’un devenant alors les outils dans le traitement des questions de l’autre.

C’est dans cette organisation que la question de notre élève de Seconde semble avoir trouvé sa place. Car les questions intermédiaires qui aident l'élève demandent de comparer, à chaque fois, deux de trois nombres donnés par une expression algébrique. Par ailleurs, l'enjeu d'un encadrement de 1+x est important, puisque nous avons ici affaire aux fonctions (approximation des fonctions pour obtenir des approximations de nombres, dans leur usage savant en analyse relatif au calcul numérique), et en particulier à la croissance de la fonction carré sur R+.

Il est clair que les comparaisons demandées peuvent être très bien menées à terme par les élèves par une méthode algébrique. Mais du point de vue fonctionnel, suivant l’enjeu institutionnellement déclaré, les questions de l’exercice sont supposées mettre en œuvre des propriétés de la fonction carré, notamment ses variations ou l’étude de son extremum. La question est alors de savoir si de tels usages de la fonction carré sont établis en tant que tels en classe de Seconde, c'est-à-dire comme une partie structurée du site algébrique-fonctionnel sous-jacent au problème ? La réponse à cette question fait tout l’intérêt de notre travail et nous éviterons ici de faire un jugement sur l’adéquation du programme avant d’avoir déjà mis en évidence le site algébrique-fonctionnel.

VI. Conclusion

Au-delà du caractère éminemment problématique de l’aide que peuvent donner des systèmes auxiliaires comme les forums sur Internet, nos analyses montrent qu’il est nécessaire de s’interroger sur une partie du travail des élèves qui est considérée la plupart du temps comme allant de soi. Nous pouvons dire que le travail laissé à la charge des élèves, l'étude autonome, échappe souvent aux regards didactiques, et pourtant ce travail est pour les deux actants du système d’enseignement (élève et enseignant) un enjeu institutionnel majeur.

Nous avons ainsi montré sur des exemples que l’étude autonome a deux dimensions majeures que notre recherche doit prendre en compte : une dimension liée au contrat didactique, aux gestes d’étude attendus, et une dimension épistémique relative aux objets mathématiques des situations proposées, c'est-à-dire au site des objets mathématiques à étudier.

Une hypothèse importante et relative à ces deux dimensions de l’étude autonome se dégage ainsi de cette analyse, et nous allons la formuler dans le chapitre qui suit.