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Quelques remarques complémentaires relatives au site algébrique-fonctionnel

CHAPITRE 4. Elements de repère pour l’étude du site algébrique-fonctionnel

IV. Quelques remarques complémentaires relatives au site algébrique-fonctionnel

IV.1. Les faits marquants du site algébrique-fonctionnel

Le site algébrique-fonctionnel se trouve en effet au carrefour de plusieurs cadres au sens de Douady46 : numérique, algébrique, fonctionnel et analyse. Historiquement, l’existence des différents cadres n’est pas une simple question de définition et de délimitation des objets d’étude, mais provient du fait que les objets d’un cadre sont dépassés, dans la recherche des solutions à des problèmes concrets ou lors d’une démonstration, par l’apparition des nouveaux objets qui constituent à leur tour un nouveau cadre.

Notre étude historique contient quelques exemples de ce dépassement. Elle montre que le numérique est transgressé par l’algébrique, l’algébrique est transgressé par le fonctionnel et le fonctionnel est transgressé par l’analytique qui est lui-même transgressé par le topologique. Dès lors, les objets plus généraux ont toujours du sens dans le cadre d’avant mais il existe un dépassement pour l’étude des objets particuliers.

Un tel phénomène se rencontre déjà avec la formule de Cardan pour calculer les racines des équations du troisième degré47. L'utilisation de cette formule nécessite parfois l'utilisation de nombres

46 À propos de la notion de cadre, Douady écrit : « Le mot "cadre" est à prendre au sens usuel qu’il a quand on

parle de cadre algébrique, cadre arithmétique…, mais aussi cadre qualitatif ou cadre algorithmique. Disons qu’un

cadre est constitué des objets d’une branche des mathématiques, des relations entre les objets, de leur

formulations éventuellement diverses et des images mentales associées à ces objets et ces relations (Douady, 1986, p.10)

Chapitre 4

Eléments de repère pour l’étude du site algébrique-fonctionnel

complexes, même pour trouver des solutions réelles, ce qui avait conduit les mathématiciens de cette époque à imaginer et à introduire l’ensemble des nombres complexes.

Le deuxième exemple remarquable est sans doute celui de la démonstration du théorème fondamentale de l’algèbre selon lequel toute équation polynomiale de degré n admet au moins une solution dans l’ensemble des nombres complexes. D’Alembert en donne une démonstration dans son Traité de

dynamique et Gausse en donne la première démonstration rigoureuse au début du XIXème siècle.

Mais une démonstration purement algébrique de ce théorème n’existe pas et un passage à la limite semble inévitable pour y parvenir48. Ceci a deux conséquences : il s’agit, d’une part, d’un seuil

épistémologique important pour la preuve dans la mesure où la démonstration en question n’est pas interne au domaine dans lequel le théorème est formulé, d’autre part, d’un dépassement du cadre fonctionnel qui devient l’analyse et ce dépassement est caractérisé par l’étude des proximités.

Un autre phénomène analogue semble rencontré dans le cas de la définition de la fonction logarithme complexe. En effet, après leur découverte, les nombres complexes seront utilisés avec une confiance croissante, jusqu’à conduire le mathématicien Albert Girard à énoncer le principe de permanence selon lequel on peut appliquer au champ complexe toutes les identités obtenues dans le champ réel (Verley, 1981). Verley précise que le traitement algébrique des fonctions élémentaires qui est au cœur des recherches des analystes du XVIIIème siècle, sans préoccupation de convergence (pour laquelle il faudra attendre le début du XIXème siècle), va systématiquement introduire les nombres complexes dans l’étude des fonctions élémentaires. « L’extension au cas complexe de le fonction logarithme allait, pour la première fois, faire apparaître un phénomène qui était resté caché tant que l’argument était réel, celui des fonctions multiformes » [idem., p. 123]. C’est ainsi que le concept de fonction sera transgressé au début du XIXème siècle par celui de fonction multiforme et le mouvement sera poursuivi par la théorie de distribution de Schwartz qui généralise la notion de fonction à des classes de fonctions.

Dans la suite, l’analyse moderne sera transgressée par la topologie qui va naître comme une branche des mathématiques où l'on approfondit les notions de base de l’analyse (continuité, voisinages, limite…) qui sont appliquées dans des espaces plus abstraits que l’ensemble des réels.

Nous n’allons pas pousser plus loin ces remarques parce qu’elles s’avèrent suffisantes pour anticiper les phénomènes didactiques qui en découlent relativement au site algébrique fonctionnel. Nous

normale

x

3

+rx²+sx+t=0

est transformée, par la substitution de x=y-(r/3), en la forme réduite (

y

3

+py+q=0

) dans laquelle il n’y a pas de terme quadratique. Ensuite, la solution requise est partagée en deux parties u et v, qui seront déterminées séparément.

48 Une preuve concise repose sur le théorème de Liouville en analyse complexe (toute fonction entière bornée est

constant) : on considère un polynôme P à coefficients complexes, de degré au moins égal à 1. On suppose qu'il n'a aucune racine. Dès lors, la fonction rationnelle 1 / P est entière et bornée (car elle tend vers 0 à l'infini). Du théorème de Liouville, on déduit qu'elle est constante, ce qui contredit l'hypothèse sur le degré, et prouve ainsi par l'absurde l'existence d'au moins une racine de P.

pouvons d’abord nous interroger sur ce site du point de vue du nécessaire passage d’un cadre à l’autre, ou du changement de cadre49, qui permet d’avoir des formulations différentes d’un même problème,

d’élaborer des techniques différentes. Sans développer ici un argument dans ce sens, nous pouvons par exemple imaginer les enjeux cruciaux de la partie « calcul et fonctions » du programme de la classe de Seconde qui propose une étude conjointe des fonctions et du calcul algébrique. De même, nous pouvons voir comment l’étude des fonctions (notamment celle des fonctions de référence) devient un enjeu important avant l’entrée à l’analyse en classe de Première. Plus encore, nous pouvons anticiper comment les objets silencieux tels qu’ordre, nombre réel, fonction polynôme vont rendre nécessaire pour les élèves un rapport idoine sans lequel l’étude d’un objet quelconque de ce site ne sera impossible. Nous allons mettre ces hypothèses à l’épreuve dans les chapitres suivants. Précisons d’abord où en est la recherche didactique avec ces questions.

IV.2. Les travaux didactiques relatifs au site algébrique-fonctionnel

L’importance du site algébrique-fonctionnel de la classe de Seconde réside, nous l’avons souligné, dans le fait qu’il se trouve à la charnière de l’algèbre et de l’analyse. Il s’agit donc pour nous d’étudier les objets de ce site, tout en nous intéressant aux liens qui se créent, au fur et à mesure et à travers le cadre des fonctions, entre l’algèbre et l’analyse.

Les chercheurs en didactique des mathématiques ont déjà identifié les problèmes de passage de l’arithmétique à l’algèbre (Chevallard, 1984, 1989 ; Gascòn, 1994 ; Coulange, 2000…), des diffcultés liées à l’enseignement des fonctions et à l’introduction des nombres réels en classe de Seconde (cf. Bronner 1997a/b). Quant à la dialectique entre l’algèbre et l’analyse, elle est en effet très peu étudiée. Le travail algébrique sous-jacent à l’étude des fonctions ne semble pas pris en compte comme tel. De la même manière, l’élargissement du travail algébrique à l’étude des fonctions et la stabilité que cet élargissement doit assurer au travail algébrique ne semblent pas non plus faire l’objet d’une attention particulière. Nous pouvons cependant citer les travaux de Artigue (1993, 1996, 2000), ceux de Bloch (2000, 2002) et celui de Comin (2005), qui constituent des références importantes pour pouvoir étudier ces questions.

49 « Le changement de cadres est un moyen d’obtenir des formulations différentes d’un problème qui sans être

nécessairement tout à fait équivalentes, permettent un nouvel accès aux difficultés rencontrées et la mise en œuvre d’outils techniques qui ne s’imposaient pas dans la première formulation » (Douady, 1986, p.11). « Les

jeux de cadres sont des changements de cadre provoqués à l’initiative de l’enseignant, à l’occasion des

problèmes répondant aux conditions énoncées plus haut, pour faire avancer les phases de recherche et notamment pour élaborer une filiation de questions pertinentes par rapport au problème posé, lequel prend place dans une certaine situation d’apprentissage » (ibid. p.21).