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CHAPITRE 9. Les institutions observées et leurs caractéristiques vis-à-vis de l’étude

I.2. L’organisation et le suivi du travail personnel

Les élèves ont leur cahier de cours habituel, que le professeur appelle "main courante", mais ils sont aussi obligés de tenir un classeur à la maison. Le fait qu’il qualifie le cahier de main courante, signifie, pensons-nous, qu’il sert de support pour le travail que les élèves devraient effectuer à la maison en continuité avec ce qui a été fait en classe. Dans ce classeur, il existe une partie consacrée à la méthode, une consacrée aux exercices corrigés en classe, une partie facultative pour le cours, et enfin une partie consacrée aux contrôles. Le professeur donne des exercices à faire à la maison que les élèves doivent normalement faire sur la main courante. La réalisation de ces exercices n’est pas évaluée, elle est même peu contrôlée. Le professeur ne donne pas de devoirs longs à la maison. Par contre, les élèves doivent soigneusement rédiger dans leurs classeurs tous les exercices qui sont corrigés en classe et cette rédaction est évaluée régulièrement par le professeur (cette évaluation est faite une fois par trimestre et elle compte dans la moyenne au même titre qu’un contrôle). Le professeur s’en explique de la manière suivante :

27. O : Pour renforcer ces moyens de contrôle, comme le contenu est un peu léger, ils sont peut-

être obligés de travailler à la maison, de rédiger… ?

28. LK : Alors, le travail à rédiger, le prof aime donner du travail à rédiger à la maison. C’est que,

par exemple, si je donnais un devoir à faire à la maison, quand je donne des exercices à la maison… Vous avez vu ce matin [au premier cours], j’avais donné des exercices, mais y’en a d’autres. C’était simple, mais y’en avait deux qui ne l’avaient pas fait ; deux de chaque groupe, ça faisait quatre. Et c’était des exercices extrêmement simples.

Si vous donnez des exercices un petit peu plus difficiles, vous avez déjà la moitié, la moitié qui ne l’a pas fait. Donc la moitié des élèves de la classe ont cherché les exercices. Si vous corrigez les exercices pour ceux qui ont cherché, vous leur faites perdre du temps. Ceux qui ne l’ont pas cherché, vous corrigez trop vite, de toutes façons, ils perdent leurs temps. Donc en fait, les deux perdent leurs temps. Donc c’est très difficile de voir les exercices à faire à la maison, c’est très très difficile. Parce que si vous en donnez trop, vous corrigez mais là, ils perdent leurs temps en classe, si vous corrigez pas…

On voit tout d’abord qu’en se substituant à des exercices ou des devoirs à la maison classiques, le travail avec classeur permet une meilleure gestion du temps didactique, puisque selon le professeur, la reprise des exercices ou des devoirs en classe ne bénéficie pas aux élèves. Mais une analyse plus poussée montre que l’enjeu du classeur est davantage à interpréter du point de vue de l’étude autonome : le classeur constitue pour le professeur un moyen de centrer l’attention des élèves lors du travail à la maison sur les méthodes de résolution, sur la démarche mathématique, ce qui leur permet ainsi de repasser pour soi-même, comme le disait Bachelard, le savoir qu’ils ont rencontré en classe. Cette interprétation se confirme à travers une autre conversation81 :

LK : Quand on donne des devoirs à la maison, si l’élève n’a pas su faire l’exercice, donc il saura

pas rédiger. Soit, il le fera faire à quelqu’un d’autre. Je donne des rédactions à faire à la maison

Chapitre 9

Les institutions observées et leurs caractéristiques vis-à-vis de l’étude

sur un exercice corrigé en classe. Un élève s’intéresse plutôt à la solution. Quand on corrige un exercice, il veut regarder seulement la réponse. C’est très difficile de lui montrer que la réponse ne l’aide pas vraiment. Il faut qu’il sache quels sont les choix, comment on l’a trouvé. Quand on corrige un exercice, je mets une partie méthode, il faut faire ça et dans les rédactions, ça les aide. Ça les aide à trier ce qui est méthode, ce qui est la solution. Ce qui leur apporte c’est la méthode. Mais ce sont des méthodes facultatives. Et donc lors des corrections je leur demande de prendre des notes à côté. C’est très difficile pour eux, je le valorise [à travers l’évaluation de la rédaction] en notant. Souvent je divise le tableau en deux ; à gauche j’écris les méthodes et à droite, les solutions. J’essaie de les distinguer.

Le professeur attend donc des élèves qu’ils sachent sélectionner, classer les méthodes et les solutions, les retravailler à la maison en le rédigeant sur leurs classeurs. Ce qui constitue sans doute un travail autonome d’une grande envergure pour les élèves puisqu’ils doivent se rendre compte que la qualité de leur travail autonome ne sera pas évalué jusqu’au jour du contrôle et que pourtant c’est ce travail qui va être déterminant dans leur réussite. Les élèves dont le travail autonome consisterait uniquement à relever les méthodes indiquées par le professeur et à les intégrer dans la rédaction ne sauraient sans doute tirer un quelconque bénéfice de ce travail puisqu’il s’agit d’un travail qui n’est pas « formaté » par l’institution mais qui doit faire l’objet d’un investissement et d’une initiative personnels. Il nous semble qu’il s’agit là d’une manifestation importante du contrat didactique d’étude : l’espace de l’étude se présente aux élèves sous forme d’un travail à réaliser en l’absence du professeur alors même que le problème mathématique doit y être rencontré comme une tâche problématique. C’est dans ces termes que s’exprime le contrat pour l’étude et que s’explique l’insistance constante du professeur sur la recherche et sur le contrôle des résultats :

LK : […] Avant de passer à la rédaction, il faut savoir chercher. La priorité c’est la recherche.

Cette rédaction est l’aide à la recherche d’exercices, aide au contrôle du résultat. Je favorise toujours la recherche et le contrôle du résultat. Dans les contrôles, j’autorise des feuilles de recherches. Et si la solution est bonne j’attribue des points, mais j’attribue aussi des points quand on m’a dit pourquoi la réponse n’est pas cohérente. L’élève qui explique pourquoi ça ne va pas a des points. On va en effet à l’encontre de l’objectif de l’élève : son objectif est d’obtenir les bonnes notes, qu’est-ce qu’il faut faire pour obtenir la bonne note... Donc toutes ces rédactions sont faites dans les pages jaunes du classeur et elles sont évaluées.

Par ailleurs, compte tenu du fait que la plus grande partie des élèves de cette classe veut faire une classe de Première S, le travail de classeur nous semble constituer, suivant le terme utilisé par le professeur, un consensus, au sens où chacun y trouve son compte : le professeur sera satisfait du fait que les élèves travaillent individuellement et fournissent un travail mathématique hors classe. Quant aux élèves, ils seront contents car la bonne tenue des classeurs contribue aux moyennes trimestrielles au même titre qu’un contrôle :

32. LK […] Si vous voulez, en Seconde, le problème de la Seconde c’est que les élèves de cette

classe, les élèves qui veulent faire des sciences, ceux qui veulent faire de tout, ceux qui n’ont rien à faire mais qui ont pas le courage, ainsi de suite... Et donc, je viens de trouver avec le classeur un consensus et puis comme je faisais faire des devoirs à la maison, la note n’intervenait pas dans la moyenne, ou très peu, puisque très souvent ils se faisaient aider à la maison. Tandis que là, le

classeur, c’est assez gros, le classeur, on peut pas se faire aider pour faire le classeur. Et puis même si on se fait aider pour le faire c’est pas très grave. Donc en fait, la carotte si vous voulez, c’est parce que la note du classeur, elle va compter dans la moyenne. Et elle compte au même titre qu’un contrôle, et donc… Mais je suis exigeante quand même sur la qualité de la rédaction. Et je suis d’autant plus exigeante qu’en classe, je donne des biais, des indications de rédaction.

Cependant, pour que le classeur ait un intérêt quelconque, il faut que les élèves aient déjà appris à distinguer les solutions et les méthodes, dont certaines sont particulières comme le dit le professeur, et qu’ils arrivent à s’en servir lors de leur étude autonome. En plus, pour mener à bien ce travail, les élèves doivent régulièrement rédiger leurs classeurs, et y passer beaucoup de temps. Or, on sait que ce n’est majoritairement pas le cas des élèves de Seconde, compte tenu notamment du travail qu’ils ont simultanément dans les autres matières. La note exceptée, il parait difficile que nombre d’élèves voient l’intérêt des classeurs, notamment les élèves qui ont des organisations de travail efficaces ou des gestes d’étude idoines.