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§1- Le contrôle budgétaire apparaît au début des années trente

C- La similitude avec les budgets d’Etat : vers un modèle public

C- La similitude avec les budgets d’Etat : vers un modèle public

La ressemblance entre les budgets de l’Etat et ceux des entreprises est, très tôt, un sujet de discussion. La conférence de Genève traite déjà de ce problème (Bunbury, 1930). Certains auteurs ont cherché à comprendre les budgets de l’entreprise dans la théorie du budget de l’Etat. Penglaou, après avoir déjà indiqué en 1931 l’origine étatique des budgets, rappelle en 1935 (Penglaou, 1935c) que « le contrôle budgétaire est, plus naturellement, une prévision de recettes et de dépenses d’exploitation, prévision qu’on rapprocherait périodiquement des recettes ou des dépenses réelles (il est piquant de relever son origine étatique) ». Les similitudes ne manquent pas en effet entre les deux techniques. Toutes deux séparent les dépenses d’exploitation des dépenses d’investissement. Elles s’appuient sur des prévisions de recettes et de dépenses d’activité. Les entrées de fonds (impôts ou chiffre d’affaires) ne sont pas complètement maîtrisées. Chose intéressante, cette confusion semble se retrouver dans les entreprises publiques. L’une des premières entreprises à annoncer une pratique budgétaire est le

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Paris-Lyon-Méditerranée (PLM). De même, les compagnies d’électricité ne tardent pas à suivre. S’il peut y avoir une confusion au départ entre budgets publics et budgets managériaux, rapidement ces sociétés, bien au fait des débats sur le contrôle budgétaire, adoptent des pratiques assez orthodoxes et proche de leurs consœurs du secteur privé. S’agit-il alors d’un modèle français de contrôle budgétaire ?

1/ Le PLM, entre privé et public.

Beaucoup de publications concernent, dans les années trente, les chemins de fer. Le contrôle budgétaire et l’OST y sont souvent évoqués. Ainsi, Dorpmuller (1931) publie dans Mon Bureau « Le contrôle des recettes et des dépenses aux chemins de fer du Reich ». En 1936, l’UIMM publie « Chemins de fer de l'Etat : le contrôle budgétaire appliqué aux grands ateliers de matériel roulant ». D’autres publications pourraient nous éclairer comme celle de Bloch (1935) sur la compagnie du Paris-Orléans ou encore la présentation de Peyronnet (1937) devant la Cégos. Mais ce sont les cas présentés devant le CPA qui retiennent notre attention.

Le Paris-Lyon-Méditerranée1 (PLM) a signé une convention en 1921, instituant un fonds commun à l’industrie des chemins de fer et l’obligation d’égalité des recettes et des dépenses. Cette société concessionnaire est soumise à des contraintes par l’Etat. Celui-ci prend à sa charge une partie des dépenses d’investissement et autorise le financement des déficits par l’émission d’emprunts remboursables en fin de vie de la concession. Ces facilités ont une contrepartie dans l’établissement obligatoire d’un budget visant à faciliter le contrôle de la tutelle publique sur la compagnie. L’intervention de l’Etat conduit alors à de nouvelles pratiques de gestion. « Chaque année, conformément aux instructions de l’administration, les Compagnies de chemins de fer envoient au Ministre des Travaux Publics un projet de budget pour l’exercice suivant ». Il est composé de trois parties : le compte d’exploitation (prévision des recettes et dépenses), le compte d’établissement (correspond à l’investissement) et le compte de réserves (c’est le domaine des actionnaires). Ce budget est nécessaire pour obtenir le financement de l’Etat et son autorisation à émettre des emprunts. Calqué au départ sur un modèle de comptabilité publique et servant à rendre des comptes à la tutelle, cette pratique s’affranchit rapidement de ces objectifs et est utilisée pour une gestion interne.

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Cas CPA. Le PLM : F91 (1931). Le PLM : F304 (1932). Le PLM : F665 (1932-1933). SNCF : I 1719 (1942).

Des tableaux chiffrés présentent les évaluations budgétaires. Celles-ci s’appuient sur les données passées et anticipent un trend de croissance. Les estimations, assez grossières, sont réalisées au million le plus près. Seules les grandes masses sont a priori traitées. Le budget est découpé par mois et permet d’établir une situation mensuelle de trésorerie. La réalité est confrontée aux prévisions, ce qui donne lieu à la mise en évidence d’écarts et à explication de leurs montants. On ne note pas toutefois la présence de centres autonomes de responsabilité, avec des budgets individualisés. La décentralisation reste donc très limitée.

C’est le conseil d’administration ou le directeur général qui se charge de l’établissement du budget. Le responsable de ce document doit avoir une vue d’ensemble de la situation. Le budget est établi en septembre pour être soumis au Ministre avant la fin de l’année. Les charges et les produits sont classés par nature. En 1942, le budget, de la toute jeune SNCF, est préparé par un service spécial sous les ordres directs du directeur général. Un service d’état-major est donc constitué. « Chaque mois, tout établissement comptable de la SNCF dresse un tableau de ses dépenses, décomposées jusqu'à la rubrique qui constitue le plus petit élément de détail ». Ce sont donc les unités de la SNCF qui sont garantes du respect des prévisions. Si au départ, il ne semble pas y avoir de décentralisation, en 1942, les opérationnels semblent plus impliqués dans le fonctionnement des budgets. Trimestriellement, les prévisions sont revues et réajustées.

Servant d’abord à rendre des comptes, les budgets sont rapidement utilisés pour une gestion interne où interviennent les opérationnels. Il faut comprimer les dépenses en établissant un lien entre inputs et outputs. Les dirigeants des chemins de fer participent au fonctionnement des organismes que nous avons déjà décrits. Ils ne peuvent ignorer le développement du contrôle budgétaire. C’est peut-être cela qui les amène à modifier les pratiques publiques. Cet enchaînement se retrouve également dans d’autres entreprises.

2/ La compagnie d’Electricité de Strasbourg

Cette société est un autre bon exemple du rôle de la puissance publique dans le développement des budgets. Une étude de la Cégos (1937b), présentée devant la section n° 3, direction administrative et financière, livre des informations intéressantes. M. Antoine pourrait avoir fait cette présentation. Ce dernier intervient en effet en 1930 à l’IIOST sur le thème « L'organisation et le contrôle du développement des entreprises

de production et de distribution électriques ». Il était de plus présent à la conférence de Genève en tant que directeur général de la compagnie d’Electricité de Strasbourg, où il avait signalé que sa société faisait déjà du contrôle budgétaire. En outre, un cas sur cette entreprise est présenté au CPA en 1938.

Une présentation devant la Cégos (Cégos, 1937b) commence par préciser que le cycle de production des biens d’équipement est long. Ceci oblige naturellement à faire une prévision d’activité à moyen terme. D’autre part, la puissance publique fixe des obligations concernant le montant des tarifs maxima... L’entreprise emploie à cette époque 844 agents et sa clientèle est hétérogène1. Les services commerciaux comprennent la vente d’énergie, les services « tout-électrique », les applications électriques et « électric-crédit » (intermédiaires entre les vendeurs d’appareils et le client qui cherche un crédit). Les services techniques incluent les deux centrales, la distribution et les études techniques.

Le budget consiste à faire des prévisions sur les principales valeurs du compte de pertes et profits et à contrôler régulièrement l’avancement des réalisations avec ces prévisions. Le budget est avant tout « un budget industriel » estimant les recettes et les dépenses. Il est étroitement relié à la comptabilité. L’auteur précise également que « le budget doit être rigoureusement sincère : c’est un document confidentiel à l’usage exclusif de la direction et ce serait perdre son temps et son argent que de l’établir en vue d’une action particulière quelconque ; il ne doit pas être prévu pour servir à des discussions sur des relèvements de tarifs ou en vue de démarches auprès des autorités concédantes » (Cégos, 1937b). Ceci en dit sans doute beaucoup sur les problèmes qu’ont rencontré les dirigeants de l’Electricité de Strasbourg pour savoir ce qu’il fallait faire des budgets. Les hypothèses générales du budget portent sur :

1. « la répartition probable des besoins d’énergie entre la production aux centrales de la société et ses achats aux secteurs voisins,

2. les principales prévisions sur les augmentations prévues dans la vente d’énergie entre les diverses utilisations,

3. les hypothèses faites sur les prix de vente de l’énergie au cours de l’exercice, notamment d’après les valeurs admises pour les index économiques électriques,

4. la base des appointements et salaires d’après leur évolution probable au cours de l’exercice : en effet, ces appointements et salaires varient d’après les indices du coût de la vie,

5. le prix admis pour les achats particulièrement importants, notamment pour le charbon,

6. les hypothèses faites sur l’aboutissement des projets législatifs : nouveaux impôts, nouvelles lois sociales... » (Cégos, 1937b).

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Le contrôle des dépenses se fait mensuellement quand la comptabilité met au point son bilan et son compte de pertes et profits provisoires. La précision du contrôle budgétaire est très réduite car les prévisions elles-mêmes sont assez vagues et entachées d’incertitudes. Le secrétaire général, en charge du budget mensuel dans la compagnie, établit les prévisions et contrôle les réalisations. Le cas du CPA nous apprend entre autres que la ville de Strasbourg détient 50% du capital de cette société. Elle a donc sans aucun doute un droit de regard important. C’est un administrateur-délégué, représentant vraisemblablement la ville, qui assure la direction effective, assisté d’un comité de direction.

La précocité de cette expérience, débutée avant 1930, la présence d’une tutelle publique, le vocabulaire utilisé (prévisions de recettes et de dépenses) incitent à penser que l’Electricité de Strasbourg a suivi le sillage du PLM. Les budgets d’abord à vocation de contrôle externe, sont peu à peu utilisés pour le management interne. On retrouve également des budgets identiques dans les archives de la compagnie du Gaz de Paris1. Cette société établit des budgets pour rendre des comptes à la ville. Puis, elle les rapproche des réalisations pour vérifier l’exactitude de ses anticipations. L’importation de pratiques publiques de surveillance de l’activité économique dans certaines entreprises a sans doute facilité le développement du contrôle budgétaire. Cela semble être une particularité française et donne un éclairage particulier à la comparaison entre les budgets de l’Etat et ceux des entreprises.

D- Bilan des années trente : un contrôle budgétaire connu mais encore