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L’ENVIRONNEMENT : UNE RELATION AMBIGUË

B- L’environnement mis en perspective : un point de vue historique

Le développement des outils de gestion et des entreprises aux Etats-Unis fournit également un point de repère pour notre propre analyse. Ainsi, Chandler (1977) montre-t-il comment les entreprises ferroviaires à la fin du XIXe siècle sont dans l’obligation de collaborer entre elles pour construire un réseau national. Cela permet la mise au point de « procédures et d’équipements normalisés » mais n’empêche pas une guerre des tarifs, des campagnes de promotion et de publicité pour attirer les passagers d’autres sociétés afin de régulariser le trafic propre d’une compagnie. Dans le cadre de ces accords, l’intérêt des compagnies est d’avoir le maximum d’activité afin de rentabiliser leurs investissements. Les variations d’activité sont très mal vécues car elles introduisent de l’incertitude et font courir un risque de faillite. Les entreprises sont donc à la recherche d’un niveau d’activité garantie. « Pour canaliser cette concurrence effrénée, les dirigeants des différents réseaux recoururent à la coopération. Afin d’obtenir le volume de trafic, le plus régulier possible, ils passèrent des accords officieux avec les réseaux concurrents qui leur étaient raccordés. Quand la pression de la concurrence pour le trafic de transit se fit plus intense et menaça ces alliances, les dirigeants donnèrent à ces dernières un caractère plus officiel, créant ainsi les cartels les plus grands et les plus perfectionnés que l’économie des Etats-Unis ait jamais connus ou presque ». Une autre méthode pour garantir un trafic est de passer des accords avec certains clients réguliers en échange de conditions tarifaires avantageuses. Les accords de coopération des compagnies de chemins de fer avec les entreprises de messagerie visaient à assurer un volume plus régulier de trafic. Pour Chandler, c’est le début de la coopération entre compagnies qui accroît le professionnalisme des cadres, et notamment des cadres moyens. Les méthodes d’organisation sont perfectionnées, sans

doute sous la pression de la coopération. La main invisible du marché pousse lentement à s’améliorer. La coopération, plus personnalisée, oblige à rendre des comptes à ses « concurrents - associés », donc accroît le formalisme des pratiques de gestion. La coopération est l’occasion de se poser des questions sur son management.

Ces coopérations qui se transforment ensuite en intégration verticale, sont l’occasion d’échanges d’informations. Les cadres, assurés de « faire un parcours dans la société » se lancent dans ces échanges d’expériences. La coordination administrative devient plus forte que la coordination par le marché. Chandler note également que les cartels fonctionnent mieux en période de croissance que de récession. Malgré les risques inhérents à une stratégie de coopération, peu d’entreprises ont eu l’initiative personnelle de développer un réseau autosuffisant. Toutefois, l’échec à terme de la politique d’alliances entraîne la constitution de firmes géantes, constituées par fusion. Chandler décrit la politique d’entente comme un stade provisoire. Les entreprises viables ont ensuite développé une politique d’intégration pour atteindre une masse critique. Cette dernière leur assurait des économies d’échelle grâce au leadership qu’elles exerçaient sur le marché. La coordination administrative permettait à l’entreprise d’avoir un flux régulier d’activité. L’intégration et le développement de la coordination administrative apparaissent donc surtout comme des moyens de défense face aux perturbations du marché.

Chandler voit dans la coopération entre les firmes ferroviaires, un élément clé de constitution des entreprises modernes. On voit ainsi apparaître une nouvelle catégorie, « les cadres moyens », dont le rôle est primordial dans le développement de la rationalité des entreprises. C’est ce groupe professionnel qui, en développant des techniques de gestion des flux dans les entreprises, a permis leur développement. Et c’est parce que l’environnement est devenu plus stable, grâce aux ententes dans un premier temps, puis à l’intégration dans un second temps, que les cadres ont pu développer des outils de rationalisation des flux. La prévisibilité de l’environnement a permis une économie de moyens grâce à de nouvelles techniques administratives.

Chandler donne ensuite un certain nombre d’exemples montrant comment s’est constitué le capitalisme américain autour de structures concurrentielles atténuées. American tabacco, par exemple, jouissait d’un monopole sur le marché du tabac après avoir absorbé ses quatre rivaux. Contrairement à l’industrie de la viande où la structure de l’oligopole dominait, les entreprises de ce secteur choisirent, comme dans les

chemins de fer, de coopérer. Cela permettait un mouvement plus régulier des marchandises.

Chandler rappelle également le type d’environnement qu’a rencontré l’entreprise Dupont de Nemours. Les ententes horizontales ayant été remplacées par des intégrations verticales, les responsables de l’entreprise ont cherché ensuite à s’assurer une activité régulière. Pour cela, ils ont refusé de devenir un monopole ce qui les aurait obligés à faire face aux fluctuations importantes du marché de la poudre. Ils ont laissé subsister des concurrents, moins efficaces, donc peu dangereux qui se sont chargés d’amortir les fluctuations du marché. Analysant le développement des outils de contrôle chez Dupont de Nemours, Johnson et Kaplan (1987) expliquent également comment cette compagnie n’a pas cherché à systématiquement éliminer ses concurrents. Convaincue qu’elle avait les coûts les plus bas du marché, elle s’est fixée un prix minimum permettant à des concurrents de survivre. Loin d’être philanthropique, cette stratégie permettait à Dupont de conserver des concurrents plus faibles, sur lesquels reposait l’absorption des variations du marché. Selon Johnson et Kaplan, cela permettait vraisemblablement à la firme de travailler quasiment à pleine capacité et de façon régulière. L’environnement sur lequel a pesé la firme aurait ainsi été un élément déterminant dans la naissance des outils de gestion de Dupont (Hopper et Armstrong, 1991). En réduisant l’instabilité du marché, la société a créé les conditions lui permettant de mettre en place des outils de gestion spécifiques.

On pourrait multiplier les exemples donnés par Chandler. Les entreprises qu’il décrit ont cette particularité, au moment où elles développent des outils de gestion rationnels, de rechercher une position dominante sur le marché. Celle-ci leur permet d’avoir des flux stables plus faciles à gérer et d’accroître le taux d’utilisation des investissements importants réalisés. Elles ont donc mis en place des procédures rationnelles de coordination des flux. Certains de ces efforts vont déboucher comme chez Dupont sur la mise en place d’un système de contrôle budgétaire. L’absence de turbulences de l’environnement semblent donc jouer comme un facteur propice au développement d’une rationalisation accrue.

Quail (1997) s’interroge également sur l’environnement que rencontrent les entreprises britanniques souhaitant développer du contrôle budgétaire. Il note « the inception of budgetary control is the beginning of business planning, the systematic attempt to achieve relative certainty of business conditions and response which the increasing size of the new enterprises would be an increasing liability ». Malheureusement, il ne

poursuit pas plus avant dans l’analyse de cette intuition qui, comme nous le verrons plus bas, contribue à renforcer nos propres conclusions. Certes, les entreprises recherchent des conditions d’activité plus stables, mais elles vont aussi chercher cette stabilité à l’extérieur. On pourra regretter que Quail n’aille pas plus loin dans son analyse des prévisions de chacune de entreprises qu’il étudie, car on voit mal comment le contrôle budgétaire permet à lui seul de « lisser » l’activité des sociétés. Tout au plus, les budgets permettent, selon nous, de gérer une activité prévisible, ce qui est assez différent.