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§1- Le contrôle budgétaire apparaît au début des années trente

B- Une diffusion assurant une large publicité

1/ Informer sur le contrôle budgétaire

Il ne saurait être question d’examiner l’intégralité des publications concernant le contrôle budgétaire dans les années trente, du fait de leur importance. De plus, ces publications sont souvent redondantes et une étude exhaustive n’apporterait que peu d’informations supplémentaires. L’importance du travail effectué et la diffusion réelle du contrôle budgétaire peut s’appréhender au travers des revues, des comptes-rendus de salons et congrès et de la publication d’ouvrages clés.

a) Les revues touchent un large public

Quelles sont les revues traitant du contrôle budgétaire1 ? Elles sont diverses et s’adressent à un public hétérogène. La première revue à publier sur le contrôle budgétaire est Mon Bureau, dirigée par Gaston Ravisse et Thérèse Leroy, tous deux présents à Genève en 1930. Elle ouvre largement ses colonnes aux auteurs désireux de traiter du contrôle budgétaire. Dès août et septembre 1930, elle se fait l’écho de l’événement suisse du mois précédent. Entre 1930 et 1931, elle publie 22 articles sur le sujet. La revue Organisation consacre une trentaine d’articles au contrôle budgétaire dans la première moitié des années trente et même un numéro spécial en 1935. La revue Méthodes prend ensuite le relais et publie une vingtaine d’articles entre 1933 et 1939. Le Commerce y consacre neuf papiers entre 1930 et 1939 (ces publications ont surtout lieu après 1935). L’Usine en publie une dizaine entre 1932 et 1935 et La Comptabilité, cinq entre 1931 et 1938. Il s’agit là de revues traitant souvent du contrôle budgétaire. Par ailleurs, un nombre important de revues de toutes origines l’abordent de façon épisodique. Pour juger de cette diversité et sans souci d’être complet, citons le Bulletin de l'association technique de fonderie de France (1934), le Bulletin de la Société industrielle de Rouen (1936), le Comité permanent d'organisation bancaire (1934), la

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Nous excluons volontairement les revues des organismes de concertation (CNOF, CGPF...) qui seront traitées plus bas.

Compagnie des chefs de comptabilité (1931), Fils et tissus (1934). Cette hétérogénéité garantit qu’un large public est mis en contact avec le contrôle budgétaire. Pour être complet, il faudrait toutefois connaître le nombre de lecteurs concernés, mais cette information n’est pas disponible. Il n’a pas été tenu compte non plus des commentaires d’ouvrages et de conférences traitant du contrôle budgétaire. Assez succincts, ils entretiennent néanmoins l’intérêt des lecteurs, tout comme les nombreux congrès.

b) Les congrès permettent des contacts fréquents

Les congrès sont également un lieu d’échange d’information. Deux d’entre eux peuvent retenir notre attention. L’un parce qu’il concerne les comptables et l’autre parce qu’il illustre les échanges internationaux.

En 1935, se tient à Marseille un congrès de comptabilité (Congrès National de Comptabilité, 1935) ayant notamment pour objectif1

de situer le rôle du comptable face à ce nouvel outil. Les comptables, et plus particulièrement les comptables d'entreprises (par opposition aux experts-comptables libéraux) semblent en effet bien placés pour revendiquer la gestion du tout nouveau contrôle budgétaire. Mais deux affirmations nuancent cette impression et sont révélatrices de l'état d'esprit qui règne dans ce congrès. « Sachons nous rendre utile et nous cesserons d'être considérés comme des frais généraux ». « Une grande place, une place essentielle est réservée aux comptables dans l'organisation sociale. Pour l'avenir de la profession et pour le bien public, il faut qu'il s'en empare ». Ces deux assertions montrent que la place du comptable ne va pas de soi. La profession se sent menacée. Cette nouvelle technique représente pour elle l’opportunité de se rendre utile et d'acquérir du pouvoir dans l'entreprise. Durant cette conférence, M. Seu, l’un des intervenants, fait une remarque montrant aussi que les comptables ont peur de la concurrence exercée par d'autres services. Ainsi dans une partie intitulée « le comptable devant le problème budgétaire » : « Il faut que parmi les comptables attachés à une entreprise, se distingue une élite, et, disons-le, que cette élite ne reste pas comme une chrysalide dans son cocon, mais qu'elle en sorte, qu'elle soit agissante au sein de la profession et qu'elle ne laisse pas des faiseurs lui ravir la place à laquelle elle doit prétendre en jetant un discrédit sur la profession toute entière ». Le rôle du comptable et de la comptabilité dans les techniques de contrôle budgétaire n'est

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Outre, le contrôle budgétaire, ce congrès a également abordé l'influence de la mécanisation comptable, le commissariat dans les sociétés anonymes et le statut externe du comptable à chaque degré de la hiérarchie.

donc à cette époque pas bien établi. A tel point que les comptables s'interrogent eux-mêmes sur leur place au sein de ce système.

Et pourtant, le contrôle budgétaire nécessite la mise en place d'une organisation particulière pour bien fonctionner. Les différentes charges ne doivent plus être enregistrées selon leur nature, mais selon les différentes fonctions de l'entreprise auxquelles elles se rattachent, ou par centre de responsabilité. Le cloisonnement de l'entreprise en centres autonomes de responsabilité rend la comptabilité particulièrement pertinente pour saisir les mouvements entre ces différents centres. Chaque centre de responsabilité devient une petite entreprise qu'il s'agit de gérer. Si le contrôle budgétaire est construit sur des bases fonctionnelles, la comptabilité peut s'adapter à cette forme. Le contrôle budgétaire met en évidence les fonctions de production, de commercialisation, d'administration... Au sein de la fonction de production, on distingue également l'approvisionnement et les différentes étapes du processus de production. La comptabilité peut alors reprendre cette organisation par fonction. Elle permet de mettre en évidence les résultats des différentes parties de l'organisation. Les comptables de cette époque sont conscients de cette opportunité. Ainsi pour Gaston Commesnil, lors du même congrès comptable : « Le contrôle budgétaire est basé sur une organisation fonctionnelle ; la classification des comptes faite, sur les mêmes bases, permettra à la direction d'exercer un contrôle sur l'activité des services responsables ».

La superposition d'une comptabilité par nature et d'une comptabilité par fonction permet alors de s'adapter au contrôle budgétaire. L'utilisation de la comptabilité aux fins de contrôle budgétaire ne présente dès lors aucun problème majeur. Et, comme le fait remarquer Seu, la comptabilité n'a plus besoin que de quelques améliorations mineures pour convenir tout à fait à cette nouvelle fonction : « La comptabilité avait déjà ses plans et sa production propre. Sa production, c'était des états récapitulatifs, comparatifs, qui n'indiquaient peut-être pas ce qu'auraient dû être les productions ou les rendements rapportés à des prévisions systématiques, mais, ce qu'ils étaient par rapport aux chiffres du passé... ». Elle change juste de perspective, les prévisions complète l'analyse du passé. En créant de petites entités assimilables à des entreprises de tailles réduites, le contrôle budgétaire permet à la comptabilité de s'affirmer dans son nouveau rôle. Le budget permet à un subordonné de rendre des comptes à son supérieur hiérarchique. Ce qui est bon pour l'entreprise dans son ensemble l'est aussi pour chacun des centres autonomes de responsabilité. Si la comptabilité peut informer les actionnaires de la gestion des responsables de l'entreprise, elle peut tout aussi bien remplir la même fonction avec les centres de responsabilité. Ce congrès est

particulièrement typique des relations entre les comptables et le contrôle budgétaire dans les années trente.

Le Ve Congrès International d'Organisation Scientifique du Travail se tient à Amsterdam en 1932. On y traite assez peu du contrôle budgétaire. Mais c’est l’occasion de prendre des contacts utiles et de rencontrer des entreprises ayant tenté l’aventure. Ainsi, Robert Satet (1942b) dans son cours à l’EOES se souvient d’y avoir rencontré les représentants d’une entreprise hollandaise, les usines J. Van Nelle (importation de cacao, café et tabac). Le cas est intéressant puisque c’est le représentant de l’entreprise, M. Van der Leuw, qui y a développé le contrôle. Or, c’est aussi lui qui avait présidé les travaux de la conférence de Genève, on voit donc encore l’impact de cette conférence. Satet a pu se rendre compte, lors de ce congrès, des réalisations de cette entreprise. Il cite également un article paru dans la revue Méthodes et exposant cette expérience.

L’Usine (1932) avait également publié un compte-rendu de cette conférence où il est mentionné que 19 mémoires portant sur le prix de revient étaient à l’ordre du jour. Mais apparemment, peu traitaient de contrôle budgétaire. Un inconnu, cité par Satet (1936a), y fait une intervention sur le thème « Le budget considéré comme base de détermination et du contrôle des crédits bancaires ». Il s’agit sans doute de Penglaou, mais ce n’est qu’une hypothèse. Ce congrès est révélateur des réseaux de relations qui parcourent alors l’Europe.

Au moins quatre autres congrès rendent compte d’interventions sur le contrôle budgétaire. Citons, le XIIIe Congrès de Fonderie de Nancy (1934), le Congrès d'Organisation commerciale (1934), le VIe Congrès International d'Organisation Scientifique du Travail à Londres (1935)1 et enfin le Congrès d'Organisation des entreprises de Liège (1939) en Belgique où de nombreux français sont présents. La réflexion est donc internationale. Les français font preuve d’une grande assiduité dans ces réunions, elles-mêmes d’ailleurs largement commentées ensuite au niveau national.

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c) Trois ouvrages banalisent le concept de contrôle budgétaire

Comme pour les revues, il n’est pas question d’examiner toute la production livresque. Certains ouvrages et leurs auteurs méritent toutefois un examen particulier.

Le premier ouvrage faisant date est celui publié en France par l’allemand Ludwig en 1930 (Ludwig, 1930b). Cette traduction est, à notre connaissance, le premier ouvrage en langue française, de cette importance, sur le contrôle budgétaire. L’auteur commence par rappeler les principes du contrôle budgétaire. Puis, pour être plus concret, il donne deux exemples d’application, sans doute tirés de sa propre expérience professionnelle. Les deux entités retenues sont une fabrique automobile et la succursale d’une fabrique automobile. Il ne divulgue pas leur nom mais les comptes-rendus de la conférence de Genève, dont Ludwig était l’un des initiateurs, nous apprennent qu’il est directeur des usines Horsch travaillant effectivement dans l’industrie automobile. Son livre finit avec une rubrique générale indiquant une « utilisation du budget à des fins particulières ». Le budget est ainsi vu comme le moyen de connaître le capital nécessaire à une affaire, on retrouve la notion de BFR normatif déjà rencontrée, et comme un moyen de contrôle du crédit.

Le deuxième livre qui marque son époque est celui de Satet (1936a). Il est intéressant à deux titres, de par la personnalité de son auteur et du fait de sa bibliographie et des exemples mentionnés. Robert Satet est l’un des personnages les plus importants du petit monde des économistes d’entreprises des années trente. Il voue sa carrière au contrôle budgétaire à partir de la conférence de Genève. En 1927, il est membre de la Taylor Society. A la même époque, il participe à la création du Comité National de l’Organisation Française (CNOF) qu’il anime ensuite en y faisant un certain nombre d’interventions, notamment sur le contrôle budgétaire. A partir de 1930, il est le Chef du service d'Organisation Scientifique de l'Union des Industries Métallurgiques et Minières (UIMM), puissant syndicat de branche, émanation de la CGPF1

. Il a, dans cette fonction, un rôle normalisateur très important et initie un certain nombre de nouveautés managériales. Il a été, selon un bulletin CNOF d’octobre 1936, le Chef du contentieux du Comité des Forges et Mines de fer de l'est de la France. Il fut également Professeur à l'Ecole d'organisation scientifique du travail (EOES, membre fondateur), à l’Université de Louvain (Belgique) et à l'Ecole Nationale Supérieure des PTT. Il présente des études de cas sur le contrôle budgétaire au Centre de Perfectionnement à

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l’Administration des affaires (CPA). Il est intervenu dans le cadre de la Cégos, au moins une fois en 1942. Enfin, ces compétences sont mises directement au service des entreprises où il intervient en tant qu’ingénieur-conseil. Très ouvert à l’international, il se rend vraisemblablement plusieurs fois aux Etats-Unis, où il visite des entreprises et observent leur système de gestion. Satet donne dans son cours de l’EOES de 1942 des détails sur ses voyages. Il fait référence à une entreprise américaine qui fabrique des appareils de chauffage domestique et de cuisine : la Perfection Stove C° de Cleveland. Il indique avoir visité cette entreprise en 1933 lors d’un voyage d’études effectué en compagnie d’industriels. C’est M. Smith, l’un des dirigeants de la compagnie qui leur décrit le fonctionnement de ce système lors d’une « conférence très détaillée », suivie de l’examen des différents chiffres. Il cite également le cas d’Edison aux Etats-Unis qui se sert des heures de travail direct comme élément de base des calculs d’imputation des charges fixes. Le directeur technique de cette entreprise lui précise « qu’il ne faut pas considérer ces calculs comme rigoureusement précis et les accepter comme base sans faire de vérification à chaque étape d’appréciation ». Avant cela, les calculs étaient faits en se servant d’une base de dépenses moyennes d’où des variations importantes et une estimation qui laissait à désirer. « Il est nécessaire, en effet, de connaître la relation entre chaque compte et le volume de la production ou tout autre variable qui peut avoir un rapport avec la production ». Ce que préconise Satet c’est la recherche de la cause des coûts, tout en précisant que chez Edison, « on a jugé nécessaire de convertir la production en heures de travail direct, de façon à donner une base plus stable, une sorte de dénominateur commun à tous les comptes pour la mise au point du budget soumis à des variations ». Devant la difficulté à trouver un indicateur représentant la relation entre l’activité et les dépenses, on a donc utilisé les heures directes de main-d’œuvre.

Satet diffuse largement ses observations au sein de la communauté des affaires. C’est en effet un auteur très prolifique. Il publie pas moins de 57 ouvrages sur une période s’étalant de 1926 à 1958. Un bon nombre de ces références concernent le contrôle budgétaire. Son œuvre majeure est sans doute son livre de 1936, portant justement sur cette technique. Tout comme Ludwig, il commence par expliquer les principes du contrôle budgétaire. Dans une deuxième partie, il traite de monographies d’entreprises. Certaines sont anonymes, nous ne connaissons que leur secteur d’activité, d’autres sont nominatives. On trouve : une entreprise de tissage de toile, une entreprise lainière, une bonneterie (Etablissement Doué et Lamotte), la société anonyme des Hauts Fourneaux, Forges et Aciéries de Denain et d’Anzin, la société Gouvy et Cie (Maître de forge), les établissements Amouroux (constructeurs de moissonneuses-lieuses), la société

Emidecau (mécanique générale), l’Electricité de Strasbourg, les imprimeries Delmas, Chapon et Gounouilhou. Suivent ensuite un grand nombre d’exemples étrangers et notamment américains. On sent bien la volonté de Satet de montrer que des entreprises de toutes nationalités et de tous secteurs réussissent à faire du contrôle budgétaire. Cette méthode lui apparaît sans doute universelle. Il essaye bientôt de l’appliquer à l’agriculture (Satet et Piel-Desruisseaux, 1946).

Le troisième livre remarquable pour les années trente est sans doute de celui de Maurice Mareuse1 (1938). On le retrouve souvent cité en référence d’autres travaux. Le titre du livre est novateur : « Le contrôle de gestion dans les entreprises ». Il se distingue des précédents sur plusieurs points. Outre le titre novateur, il prend du recul par rapport à la technique. Il s’agit moins de convaincre le lecteur de l’utilité du contrôle budgétaire que de lui donner un cadre d’analyse cohérent pour situer cette nouvelle technique dans les pratiques d’entreprise. Contrairement à Satet, il ne cite aucune référence en notes ou en bibliographie. Ce n’est pas par méconnaissance car on retrouve, dans le corps du texte, des commentaires sur le sixième principe d’Emerson, les travaux de Fayol, père et fils et sur le CNOF. Il s’intéresse aux principes d’organisation de l’entreprise qui, selon lui, guident l’application du contrôle budgétaire. Il préconise l’unité de commandement qui permet de déterminer des centres de responsabilité et de décentraliser. Le danger de la décentralisation est toutefois un cloisonnement trop important. Il faut donc, selon l’auteur, coordonner l’ensemble des unités autonomes. C’est là le but du contrôle de gestion.

On cherche toutefois en vain dans son ouvrage l’existence d’un service fonctionnel dédié à l’activité de contrôle de gestion. Ce sont les services comptables, la hiérarchie et les opérationnels qui se partagent cette activité. Il justifie l’usage de la comptabilité par la garantie et le contrôle qu’elle apporte sur les chiffres. Mais, il préconise également le recours à d’autres statistiques (informations externes, mouvements commerciaux ou financiers). L’analyse des entreprises est tout autant un fait technique qu’un exercice de psychologie. En effet, la personnalité des acteurs explique bien souvent (trop souvent dit Mareuse) les causes des problèmes que rencontrent les sociétés. On dépasse donc avec cet ouvrage les présentations antérieures. Plus conceptuel, Mareuse cherche moins à convaincre, ce qui explique sans doute l’absence d’exemples réels.

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