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Au regard de la littérature scientifique de gestion, il est déjà possible de tirer quelques enseignements concernant la diffusion du contrôle budgétaire en France. Dans quelle

mesure en effet, peut-on connaître à cette époque le retard par rapport aux autres pays ? Le contrôle budgétaire naît aux Etats-Unis. Aussi, est-il intéressant de faire une comparaison avec ce pays. De même, pour une comparaison avec les autres pays européens, nous disposons de quelques études permettant de voir quand et comment s’est diffusé le contrôle budgétaire.

Le développement du contrôle budgétaire aux Etats-Unis a été largement traité dans la littérature de gestion américaine par Chandler (1962, 1977), relayé ensuite par Johnson (1978, 1983), Kaplan (1984, 1984), Johnson et Kaplan (1987). Chandler (1962, 1977), suivi de Kaplan notamment, montre le premier comment Du Pont de Nemours, dans la première décade du siècle (de 1903 à 1910), a peu à peu développé « all the basic methods that are currently used in managing big business » (Kaplan, 1984), parmi lesquelles figure le contrôle budgétaire. La prise de contrôle de Dupont sur la General Motors de Durant est également l’occasion pour des cadres tels qu’Alfred Sloan et Donaldson Brown de développer de nouveaux outils de gestion basés sur le Return on Investment (ROI). De façon plus générale, le contrôle budgétaire semble se généraliser aux Etats-Unis après la première guerre mondiale (Quail, 1997). Entre les premiers exemples de contrôle budgétaire aux Etats-Unis et la conférence de Genève, on compte donc une petite trentaine d’années. Seules huit années séparent la publication du livre de McKinsey en 1922 de son exportation en Europe (sans doute même moins). La diffusion d’un continent à l’autre a donc été rapide. L’influence américaine dans ce domaine n’a toutefois pas dépassée quelques initiés en France. Il faut attendre la fin de la Deuxième Guerre mondiale pour que le contrôle budgétaire se développe réellement.

Le contrôle budgétaire se développe lentement en France. Chandler et Deams (1979) émettent une hypothèse intéressante pour expliquer le retard du vieux continent dans le développement d’outils de contrôle comptables. Les européens auraient pris du retard sur les américains dans le développement des outils de gestion car ils auraient continué à faire confiance à d’autres mécanismes de contrôle social. Le paternalisme aurait ainsi empêché le développement de la technique administrative de gestion. Nous aurons l’occasion de revenir sur cette hypothèse dans le deuxième chapitre.

Chandler (1977) et Kaplan (1984) soulignent également l’importance de l’OST et de Taylor dans le développement des nouveaux outils comptables qui apparaissent aux Etats-Unis au début du siècle. Ils mettent également en exergue le rôle des ingénieurs. Ce sont là autant de points communs avec l’expérience française.

Boyns (1997, 1998a, 1998b) nous livre une analyse intéressante sur le développement du contrôle budgétaire en Grande-Bretagne. Il remarque que les travaux sur archives manquent pour avoir un bon panorama de l’essor de cette technique. Très souvent, seule une simple étude de la littérature contemporaine est entreprise. Boyns date le développement du contrôle budgétaire et des coûts standards entre la fin des années vingt et le début des années trente. C’est, selon lui, par son importance la deuxième innovation majeure après l’OST en Grande-Bretagne. Même si des progrès substantiels sont réalisés avant-guerre, il faut attendre les années suivant 1945, pour voir le contrôle budgétaire se développer réellement. L’auteur considère que ce développement au Royaume-Uni a été plus lent qu’aux Etats-Unis. Il reprend alors l’hypothèse de Chandler sur le contrôle social à son compte. Le schéma global d’apparition et d’évolution des budgets est donc similaire au modèle français. Traitant le cas de l’industrie minière, Boyns (1997) montre également comment la nationalisation de 1946 a entraîné une prise de conscience des coûts et le développement d’un contrôle budgétaire. Ce cas est très similaire à celui que nous rencontrons à EDF à la même époque. L’influence des consultants est également perceptible dans cette expérience. Miller et O’Leary (1987), se fondant sur une analyse de la littérature, datent également l’apparition des thèmes de coûts standards, d’écarts, de budgets et de contrôle budgétaire des années trente pour le Royaume-Uni, confirmant ainsi l’analyse de Boyns. Pour Quail (1997), les applications réelles de contrôle budgétaire peinent à démarrer en Angleterre durant les années trente. Les exemples dont il dispose montrent des applications très réduites.

Pour la Suède, Samuelson (1986) et Arwidi et Samuleson (1993) font remonter le contrôle budgétaire aux années cinquante. Avant cette date, ils notent une phase de pré-budgétisation qui dure quelques années. Il s’agissait alors surtout de surveiller des dépenses et des recettes.

Au total, le schéma de développement français semble fonctionner pour l’ensemble de l’Europe. On note ainsi un transfert rapide du contrôle budgétaire des Etats-Unis vers l’Europe puis une diffusion plus lente ensuite. Un approfondissement est toutefois nécessaire avant de conclure définitivement. Cela pose la question de la cause de ce retard. Une étude similaire sur l’Allemagne serait sans doute très intéressante. Ce pays semble en effet jouer un rôle crucial dans le développement du contrôle budgétaire dans les années trente. Après avoir fait une ébauche d’un schéma national (ou européen) de développement, est-il possible de théoriser le développement du contrôle budgétaire en lui-même ?