• Aucun résultat trouvé

L’ENVIRONNEMENT : UNE RELATION AMBIGUË

A- La difficulté à prévoir

Le contrôle budgétaire consiste essentiellement à rapprocher et comparer périodiquement des prévisions de la réalisation d’un fait économique. La première opération dans une phase de contrôle budgétaire consiste donc à faire une prévision de l’activité et à traduire cette prévision dans les budgets. L’entreprise qui souhaite faire du contrôle budgétaire doit donc être capable de prévoir. Or cela est souvent assez difficile. Les contemporains du développement du contrôle budgétaire avaient déjà entrevu cette difficulté majeure. C’est ainsi l’une des interrogations les plus courantes du Congrès de Genève en 1930. On trouve également des références sur ce point chez Ludwig (1930b) ou encore dans le compte-rendu de la mission de productivité des experts-comptables de 1951 (OECCA, 1952).

1

Dans sa thèse, Marc Nikitin a montré comment les entreprises du XIXe siècle ont modifié leur calcul économique en réaction à une intensification de la concurrence à laquelle elles étaient confrontées.

Mintzberg (1994), dans « Grandeur et de la décadence de la planification stratégique », traite lui aussi largement de cette difficulté. Son approche est d’autant plus intéressante qu’il associe le contrôle budgétaire et la planification, allant parfois jusqu'à identifier l’un à l’autre : « dans le mesure où la planification est reliée au processus budgétaire, ou devient synonyme de ce dernier, l’attention des managers situés plus bas dans l’organisation se rive sur le court terme ». Le contrôle budgétaire est alors la phase de court terme (l’année) d’un processus plus global de planification stratégique. Il en est de même pour Kalika (1988) pour qui « planification et contrôle sont cependant inséparables, le plan définissant le cadre et les références des procédures de contrôle. Cette indissociabilité apparaît notamment pour les budgets. Ils ne peuvent constituer des éléments de contrôle que s’ils ont été préalablement définis dans le cadre d’une planification ». Ce qui différencie les plans et les budgets, ce sont les horizons temporels et le degré de précision de chacun. On retrouve le lien existant entre la stratégie et le contrôle de gestion (Bouquin, 1997). L’une des idées développée par Mintzberg est que la planification stratégique est d’autant plus efficace qu’elle se développe dans un environnement stable, certain et non perturbé. Commentant la planification militaire, il affirme que « tout comme pour la planification formelle, ceci paraît plus adapté aux périodes de temps de paix qu’aux périodes perturbées de guerre, et tout particulièrement de guerre non prévue ». La planification, c’est-à-dire la déclinaison des objectifs, « fonctionne mieux quand les directions d’ensemble d’une stratégie sont déjà en place, pas quand des changements stratégiques majeurs sont requis ». Qualifiant la planification, il reprend la formule de Jouvenel, « le fatalisme moderne », pour indiquer que le « futur est essentiellement une conséquence linéaire du présent ». Selon Mintzberg, les entreprises ne sont pas capables, la plupart du temps, de prévoir les grands bouleversements auxquels elles vont avoir à faire face. Leurs prévisions pour le futur se limitent à une extrapolation du présent. Tant que cette projection relativement simple fonctionne bien, c’est-à-dire tant que le futur se déduit plus ou moins du présent, alors les entreprises parviennent à faire fonctionner les systèmes de planification correctement. On imagine sans peine les problèmes de planification engendrés par des visées à cinq ans. Dans une moindre mesure, des plans à un an peuvent également être difficiles à mettre en place. Que deviennent les budgets et comment s’en sert-on dès qu’un marché s’écroule, que des concurrents nouveaux apparaissent ou que les ventes grimpent en flèche ? Mintzberg en conclue que « la planification paraît plus appropriée pour soutenir dans la durée des opérations stables qui ont pour objectif l’efficience ».

La stabilité pour Mintzberg n’est pas forcément un monde immobile. C’est un univers qui évolue de façon prévisible : « si le monde se tient tranquille, ou au moins s’il continue à changer exactement comme dans le passé, alors la prévision peut fonctionner correctement ». Un taux de croissance régulier de 10% dans une économie est moins problématique pour une entreprise que des variations erratiques, éventuellement accompagnées de changement de signe. Les années soixante apparaissent alors comme la période idéale pour le développement de la planification stratégique car « les tendances étaient plus stables, ou à tout le moins plus favorables au monde de l’entreprise ». Une étude historique du contrôle budgétaire prend alors tous son sens. En introduisant une perspective dynamique de longue période, cela permet d’appréhender les modifications subies par les entreprises dans leur environnement.

Remarquant la nécessaire précision de la prévision, Mintzberg affirme qu’il est souvent impossible de contrôler l’environnement. Si l’environnement est peu turbulent, une prévision par extrapolation ne sensibilise pas au problème de la pertinence de la prévision car celle-ci a de fortes chances d’être juste. L’erreur contenue dans l’acte de prévision n’est alors que potentielle. S’appuyant sur des études théoriques, il affirme que la prévision à plus de deux ans est notoirement inexacte. Un risque est donc associé à la prévision de court terme, même si celle-ci a de plus grandes chances d’être juste. Les meilleurs techniques de prévision seraient d’ailleurs les plus simples... ou les plus chanceuses. Les modèles complexes seraient bien souvent inefficaces. Cette approche de la prévision, pour aussi pertinente qu’elle puisse être, ne traite sans doute pas l’ensemble des variables caractéristiques. Le panorama global de Mintzberg masque, par exemple, les différences entre entreprises. Peut-on comparer dans leur capacité à établir des prévisions, l’industrie textile et l’industrie électrique ? Les différences dans les longueurs de cycles d’investissement (la construction d’une centrale électrique se programme sur plusieurs décennies) devraient sans doute conduire à un jugement plus nuancé. Il y a, par ailleurs, des secteurs où les prévisions sont plus faciles à réaliser que dans d’autres. Que l’on pense aux différences pouvant exister entre l’industrie de biens intermédiaires, vendant à d’autres entreprises, et l’industrie de consommation. La nature de la clientèle a son importance.

A l’intérieur d’une entreprise, les contraintes de l’environnement s’expriment aussi sans doute de manière différente selon les activités. Dans une entreprise pétrolière, par exemple, les activités d’extraction du pétrole sont confrontées à des contraintes, comme la régularité du pompage et l’irrégularité des découvertes de nouveaux gisements,

radicalement différentes de celles qui prévalent dans la distribution de produits raffinés, telles l’irrégularité de la demande ou le grand nombre de sites dispersés. Il faudrait aussi distinguer les types de concurrence auxquelles sont confrontés les entreprises avant d’affirmer, comme le fait Mintzberg, qu’une entreprise ne peut pas agir sur son environnement. Dans un monopole, ou dans un marché ayant une structure oligopolistique ou monopolistique, une entreprise peut agir plus facilement sur son environnement, s’entendre avec la concurrence, créer des marchés captifs, etc. Ce sont autant d’éléments qui devraient être pris en compte. Malgré cela, l’apport critique de Mintzberg donne de précieuses informations sur l’incidence concrète de l’environnement quant à la fixation des objectifs.