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Le contrôle budgétaire nécessite de faire des prévisions, tâche compliquée comme nous l’avons montré dans le chapitre précédent. Comment les premières entreprises ayant réalisé du contrôle budgétaire ont-elles surmonté cette difficulté ? Pour répondre à cette question, nous allons tout d’abord dresser un récapitulatif des conditions économiques de la première moitié de ce siècle. Un examen attentif des cas sera ensuite entrepris pour comprendre le type d’environnement auquel étaient confrontées les entreprises ayant développé du contrôle budgétaire. Il apparaît à la lumière de cette investigation qu’elles étaient toutes dans un système peu turbulent, où la faible incertitude autorisait une délégation des responsabilités à moindre risque pour la direction. C’est à ce contexte que le contrôle budgétaire paraît adapté. Nous verrons, par la même occasion, les processus ayant permis, dans un grand nombre de cas, un développement plus aisé du contrôle budgétaire. Souvent bâtis en situation de crise, les budgets fonctionnent pourtant paradoxalement à partir du moment où l’environnement devient routinier et prévisible. Loin d’être une solution universelle, ce type de contrôle nécessite des conditions favorables qui ne sont peut-être plus réunies aujourd’hui. Il correspond alors à une solution temporaire permettant de faire face à des problèmes, certes variés, mais bien délimités.

Si le contrôle budgétaire semble se développer dans des environnements « objectivement » prévisibles, les cas de figure rencontrés sont assez différents selon les sociétés. Les situations auxquelles sont confrontées les entreprises peuvent se résumer dans le tableau suivant :

Tableau 6 : Résumé de la situation des principales entreprises sur leur marché et état de développement du contrôle budgétaire

Sociétés Etat de l’environnement Développement du contrôle budgétaire

Saint-Gobain verre et Glace (avant 1940)

Marché très perturbé dans les années trente.

Les cartels étant assez faibles et peu stables, leur régulation ne permet pas de prévisions

Tentative d’implantation.

Le contrôle budgétaire ne fonctionne pas.

Saint-Gobain verre et Glace (1940-1953)

Economie dirigée de guerre.

Puis marchés très perturbés jusqu’en 1953, concurrence exacerbée, les services n’arrivent plus à prévoir.

Mise en place de prévisions et de contrôle budgétaire par Héranger (parfois simple développement de l’existant).

Abandon du contrôle budgétaire en 1946. Limité au frais de siège jusqu’en 1953. Saint-Gobain

à partir de 1953

verre et Glace

Très forte croissance de la demande saturant les capacités de production. Cartels de plus en plus stables.

Développement important du contrôle budgétaire.

Saint-Gobain chimie (1940-1947)

La chimie est laissée pour compte. Economie dirigée de guerre,

puis marchés très perturbés jusqu’en 1949, les prix et les conditions de production varient beaucoup, les services n’arrivent plus à prévoir.

Pas de contrôle budgétaire avant-guerre, ni de tentatives d’implantation.

Mise en place de prévisions et de contrôle budgétaire par Héranger.

Abandon du contrôle budgétaire en 1946. Saint-Gobain

à partir de 1949

chimie

Les conditions d’exploitation plus régulières, développement des cartels et des ententes entraînent un recours aux prévisions.

Développement de prévisions financières précises dès 1949.

Passage au contrôle budgétaire très rapidement à partir de 1956.

Pechiney avant-guerre

Forte croissance des marchés, promotion systématique de l’aluminium, des cartels répartissent la production entre entreprises.

Mise en place d’un contrôle budgétaire à partir de 1933.

Pechiney après-guerre

Dès que les conditions des marchés se stabilisent ; retour au système d’avant-guerre : forte demande et régulation par des cartels.

Remise en place du contrôle budgétaire dès 1948.

EDF-GDF

Situation de monopole, avec une très forte demande et un marché non totalement satisfait jusqu’en 1950 (coupures)

nécessité d’équilibrer le réseau (offre=demande) sinon problème technique

Mise en place de prévisions et de budgets dès 1947.

Total distribution. à partir de 1956

Développement du réseau national de Total en France et large développement à l’étranger de la distribution.

Pas d’accords entre distributeurs + nombreux distributeurs indépendants + les principaux concurrents sont américains ou anglais.

Mise en place d’un contrôle budgétaire des réseaux de distribution à partir du milieu des années 50.

Le Printemps Peu d’information : prévisions de conjoncture puis « sentiment » des chefs de rayon

Alsthom Gros matériel électrique : commandes à long terme, plan de charges.

Petit matériel : peu d’information, production « pour le stock ».

Développement dans les années trente.

PLM Pour les marchandises : prévisions facilitées car réservation à l’avance du trafic.

Pour les voyageurs : estimation grossière à l’aide de l’état de la conjoncture.

Développement dans les années trente

Pour Saint-Gobain, par exemple, dès que les prévisions deviennent impossibles ou peu fiables, suite à une turbulence de l’environnement, la compagnie arrête de faire du contrôle car cela ne lui semble plus pertinent. La maîtrise du marché et la capacité à établir des prévisions peuvent être réalisées de plusieurs manières. La concurrence peut être régulée par un cartel, par l'Etat ou par une offre inférieure à la demande. Ces situations vont alors agir sur le comportement des entreprises. Leur fonctionnement interne s'en trouve ainsi modifié. Le contrôle budgétaire est introduit dans une situation de crise et se développe dans un contexte de concurrence amoindrie qui permet d'établir plus facilement les prévisions. Il acquiert ainsi son autorité, ce qui aurait été plus difficile, voire impossible, dans une situation instable. Mais quid de Total et du Printemps, par exemple, pour lesquelles, des conclusions similaires ne peuvent être tirées ?

Les ententes et la sous-capacité du marché peuvent être les premiers facteurs rendant possible le développement du contrôle budgétaire. En facilitant les prévisions, parfois en les cantonnant à l’activité de production, ces deux éléments permettent d’établir et de contrôler plus facilement des programmes de fabrication. Ils agissent en premier lieu sur le volume de la production et contribuent à le stabiliser. C’est l’effet le plus important pour le développement du contrôle budgétaire. En second lieu, le contrôle des prix, soit du fait d’un gouvernement dirigiste, soit encore du fait des cartels, permet également une plus grande stabilité du volume d’affaires. En valeur, si les prix sont stables ou prévisibles, le montant du chiffre d’affaires est seulement influencé par les quantités. Un prix de vente maîtrisé renforce également la stabilité des quantités écoulées sur le marché, en évitant des effets-volume (via des effets-prix et des effets-revenus). Des facteurs comme l’existence d’un monopole ou le travail à façon dans le cadre de projets facilitent également l’établissement de prévisions. Enfin, la stabilité de la conjoncture autorise des prévisions par défaut, consistant à actualiser à la marge les réalisations antérieures.