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§2- Le contrôle budgétaire après 1945

C- Des entreprises de plus en plus nombreuses à pratiquer le contrôle budgétaire ?

On pourrait penser que le contrôle budgétaire se banalise en France à partir des années cinquante et surtout soixante. Le modèle américain de gestion finit de s’imposer aux entreprises et devient un classique de la formation. Mais quelle est la diffusion réelle du contrôle budgétaire, qui devient de plus en plus du contrôle de gestion ? Plusieurs sources d’information permettent de répondre à cette question.

1/ Une diffusion limitée dans les entreprises

Une enquête de l’INSEE sur l’information économique menée en janvier 1967 auprès de 2000 chefs d’entreprises et citée par Carré, Dubois et Malinvaud (1972), obtient les résultats suivants :

Tableau 2 : Organismes de préparation des décisions au sein des entreprises industrielles

Nombre de salariés employés par l’entreprise % des entreprises déclarant posséder : 10 à 99 100 à 499 500 à 999 1000 à 4999 5000 et plus Ensemble un service de contrôle de gestion 14 26 39 57 78 43 un service d’études économiques 6 9 16 31 79 29

Source : Carré, Dubois, Malinvaud (1972, 580)

Ces derniers résultats sont surprenants par l’ampleur qu’ils donnent au phénomène contrôle de gestion en France. La diffusion des méthodes modernes de gestion apparaît donc plus répandue que ne le laisse penser l’étude de Jacques Houssiaux portant sur 50 entreprises à la même période1. Mais Carré, Dubois et Malinvaud (1972) nous invitent à interpréter avec prudence ces résultats. Ils les attribuent en partie à des confusions entre les termes de services de contrôle de gestion et services comptables ou services commerciaux. Cela manifeste bien au contraire une certaine ignorance des nouvelles

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Ce document cité dans l’ouvrage de Carré, Dubois, Malinvaud (1972) et commandé vraisemblablement par la Commissariat au Plan n’a malheureusement pu être retrouvé. Il en est de même pour l’original de l’enquête INSEE, malgré la diligence du personnel de l’Institut de Statistiques.

méthodes de gestion de la part des entreprises. Ce jugement doit toutefois être tempéré par la prise en compte du facteur taille de l’entreprise. L’étude montre que les grandes entreprises connaissent en général le contrôle de gestion. C’est dans les petites sociétés que cette connaissance est plus douteuse. Peut-être parce qu’elles n’en ont pas besoin ?

L’Institut de Contrôle de Gestion (ICG) organise, dans les années soixante, une grande enquête sur le développement de la gestion prévisionnelle en France (Taboulet, 1966). Le compte-rendu de l’enquête distingue clairement la gestion prévisionnelle, le contrôle de gestion, la gestion budgétaire et le contrôle budgétaire dont ils donnent des définitions. Mais dans le récit, la distinction est moins nette et tous ces concepts sont souvent traités comme un tout. La préface est signée de François-Xavier Ortoli (futur président de Total et à l’époque Commissaire général au Plan) qui souligne les liens existant entre planification publique et budget d’entreprise. L’enquête de l’ICG a été diligentée par le Commissariat Général au Plan d’Equipement et de la Productivité. L’étude a justement été motivée par le faible développement apparent de cette technique en France. Le rapport cherche à ériger certaines entreprises en exemple afin d’inspirer l’ensemble du corps professionnel français.

Toutes les équipes de l’ICG ayant réalisé des cas ont travaillé à partir de questionnaires types. Les informations ainsi recueillies ont été retranscrites et discutées. Vingt-neuf entreprises ont été étudiées et analysées par les groupes d’experts (professeurs, anciens auditeurs de l’ICG), mais seuls 5 cas ont été retenus dans le livre faisant office de rapport final (Delalande, le Secrétariat à la Jeunesse et aux Sports, Alsthom, Cointreau, Saint-Gobain)1. Toutefois, il est abondamment fait allusion aux autres cas dans le corps du texte. Les enquêtes ont commencé dès 1961. Les entreprises ont été sélectionnées car elles sont particulièrement avancées dans la mise en place du contrôle budgétaire.

Delalande (produits pharmaceutiques) commencerait ainsi le contrôle budgétaire en 1956. Celui-ci n’est pas appliqué systématiquement à tous les services à la date de l’étude. L’expérience du Secrétariat à la Jeunesse et aux Sports peut être interprété comme un nouvel avatar de la comparaison budgets publics/budgets privés. Il s’agit en fait d’une déconcentration. L’Alsthom est présentée comme une entreprise divisionnalisée (les Groupes) suite à une réforme entreprise en 1958. Les auteurs y décrivent ce qui ressemblent fort à une gestion par le ROI (Return On Investment).

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Sont ainsi laissés de côté des cas comme, par exemple, Air Liquide, Bull, Esso, IBM, Kléber-Colombes, Kodak-Pathé, Liebig, Merlin-Gérin, Pernod, Renault, Télémécanique.

Chez Cointreau, le contrôle budgétaire date de 1961. Il est installé par le secrétaire général. Les gérants de la société en avaient eu l’idée en assistant à des séminaires sur la gestion prévisionnelle des entreprises en 1957 organisés par le Centre de Recherches des Chefs d’entreprises. Le cas de Saint-Gobain n’est pas développé ici car il est présenté largement en annexe. Air Liquide aurait commencé à implanter des budgets en 1950. Merlin-Gérin s’y serait essayée sans succès en 1953.

Les exemples sont donc toujours les mêmes et traduisent une évolution lente de la diffusion, déjà faible, du contrôle budgétaire en France. On remarque au passage que les observations réalisées sur deux entreprises étudiées dans cette thèse (Saint-Gobain et Alsthom) sont tout à fait concordantes avec notre travail.

Au crédit du développement du contrôle budgétaire après la guerre, il faudrait également citer de nombreuses autres expériences telles que la Compagnie Française des Pétroles (CFP-Total) ou encore la Snecma1. Mais dans un article de 1961, M. de Pins, contrôleur principal à la Cie de Saint-Gobain, s’interroge sur les pratiques françaises en matière de contrôle budgétaire. Il leur reproche de n’être trop souvent qu’une « technique comptable perfectionnée », synonyme de surveillance et non de maîtrise de la gestion. Aussi préfère-t-il le terme de gestion budgétaire. Il reprend ici un glissement sémantique déjà opéré dans sa société. De même, A. Ramboz (1956) note que très peu d’entreprises (10%) réalisaient des prévisions. La pratique du contrôle budgétaire est donc difficile et sans doute assez peu répandue.

2/ L’Amérique juge le management français

Mc Arthur et Scott (1970) se sont intéressés, dans le cadre d’une étude très complète, à l’influence des Plans nationaux sur la gestion des entreprises. Ils ont considéré pour cela un échantillon, non représentatif, de 50 entreprises françaises, dont « presque la moitié des 50 plus grandes firmes françaises, parmi lesquelles certaines qui avaient la réputation d’être les mieux dirigées ». Quinze d’entre elles ont fait l’objet d’une étude approfondie ayant duré deux ou trois ans (1964-1966) selon les cas. Les autres ont servi à vérifier les premières conclusions, au travers d’études plus succinctes. Ils en profitent pour passer en revue les caractéristiques structurantes des entreprises françaises.

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Se fondant sur l’étude d’un sous-échantillon de 15 entreprises, McArthur et Scott trouvent la répartition suivante quand ils étudient l’existence d’une gestion prévisionnelle :

Tableau 3 : Effectif par catégorie du degré de gestion prévisionnelle

Groupes Forte gestion

prévisionnelle Gestion prévisionnelle peu développée Pas de gestion prévisionnelle Grandes entreprises 4 2 5 Entreprises de taille moyenne 1 2 1 Source : McArthur et Scott (1970, 143)

Il en résulte donc qu’un certain nombre de sociétés ne font pas de gestion prévisionnelle. Même si les concepts divergent quelque peu, on peut supposer qu’elles n’ont pas de système de contrôle budgétaire. La taille n’est pas, selon les auteurs, un critère de recours à la gestion prévisionnelle. La nature de l’industrie ne l’est pas non plus d’ailleurs. Le constat qu’ils dressent est assez sévère pour l’industrie française. Les inégalités sont criantes entre les entreprises. Celles faisant de la gestion prévisionnelle apparaissent aux auteurs systématiquement plus à l’écoute de leurs marchés. De même, elles connaissent mieux leurs concurrents que les autres. Ils ne trouvent aucune explication économique pour justifier ces différences qui semblent plutôt tenir à l’attitude de la direction générale. Ils en concluent au « sous-développement » de la gestion prévisionnelle en France. 10 entreprises sur 15 font peu ou pas de gestion prévisionnelle.

Commentant la stratégie des 50 entreprises de l’échantillon, les auteurs trouvent une absence d’objectif clairement explicité. Quand il existait, ce dernier « reflétait les conditions d’un accord interentreprises de maintien des positions respectives ». Sur la structuration des entreprises françaises, ils constatent une faible décentralisation et peu de structures par produits au profit d’une structure généralement fonctionnelle et organisée autour de la production plus que des ventes. Ce jugement laisse donc à penser que seule une minorité d’entreprises en France est, à la fin des années soixante, au fait des méthodes modernes de management. Est-ce une particularité française ou une situation comparable à ce qu’il est possible d’observer dans les autres pays ?