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Signifié de traitement

1 1 Le concept de marqueur discursif

1.9. Signifié de traitement

Le concept de signe désémantisé est également exploité lorsque les marqueurs sont définis comme des éléments qui n’ont pas de signifié conceptuel mais un signifié de

traitement. Selon de nombreux théoriciens82, les marqueurs n’ont pas un signifié dénotatif car ils ne désignent pas une réalité extralinguistique ; leur contenu conceptuel est nul car ils ne contribuent pas aux conditions de vérité des énoncés dans lesquels ils se présentent. Dans la Théorie de l’argumentation d’Oswald Ducrot et Jean-Claude Anscombre, les marqueurs constituent un ensemble d’instructions sémantiques qui guident la façon d’interpréter ou d’inférer l’information des énoncés à l’intérieur desquels ils se présentent. Dans cette perspective, la signification des connecteurs est formée de ces instructions qui permettent de comprendre la relation sémantique des éléments qu’ils relient83. Enfin, la théorie de la

pertinence de Dan Sperber et Dreiden Wilson84 considère les marqueurs comme des pistes utilisées par le locuteur afin de coopérer avec son interlocuteur lors du processus inférentiel85. Dans une vision économiciste de la communication, selon laquelle les sujets parlants dépensent le moins d’énergie possible dans le traitement de l’information, les marqueurs sont des signaux utilisés par le locuteur afin de diriger de façon coopérative l’opération d’interprétation de son interlocuteur. Dans le cadre de cette théorie de la pertinence, Diane Blakemore86 signale que les marqueurs ne contiennent pas de signifié représentationnel mais

computationnel ; ils fournissent des informations pragmatiques qui servent à interpréter le

contenu conceptuel de l’énoncé.

82 VoirIgnacio Bosqueet Violeta Demonte, op. cit., p. 4071, § 63.1.4.1. 83 Voir José Portolés, [1998] 2008, p. 71-91.

84 Dan Sperber, Deidre Wilson, 1986.

85 Voir Estrella Montolío Durán, 1998, p. 93-119. 86 Diane Blakemore, 1987.

1.10. Discursivisation

De leur côté, Luis Cortés et María Matilde Camacho87 observent que les marqueurs présentent différents degrés de contenu sémantique. Les auteurs signalent des unités avec un haut contenu notionnel (en primer lugar), d’autres avec un contenu intermédiaire (mire

usted), enfin des éléments complètement dépourvus de contenu lexical (mmm)88. Les marqueurs seraient issus d’une opération de sédimentation discursive, processus discursif révélant le développement de structures syntaxiques et morphologiques qui deviennent figées lorsqu’elles véhiculent d’autres capacités expressives dans leur fonctionnement discursif89. Les auteurs préfèrent parler de discursivisation à la place de grammaticalisation, car la façon de signifier de ces unités résulte de leur fonction dans le discours. Dans cette optique, on ne serait pas face à une perte de signifié mais à une transformation90 du signifié qui résulterait de la fonction discursive des unités en question.

1.11. Subjectivisation

D’après une autre théorie explicative, les marqueurs discursifs seraient issus d’un processus de subjectivisation qui comporte des aspects de la grammaticalisation et de la dégrammaticalisation91. La subjectivisation est un processus dynamique de changement linguistique au moyen duquel les appréciations et les attitudes du locuteur sont codifiées de façon explicite dans la grammaire d’une langue jusqu’à constituer un signifié conventionnel et hautement symbolique92.

87 Luis Cortés et María Matilde Camacho, op. cit. 88 Ibid., p. 141.

89 Ibid., p. 148. 90 Ibid., p. 149.

91 Les propos sur la subjectivité dont on fait état ici se basent sur la description de ce phénomène pragmatique

faite par Concepción Company Company (2004b, p. 29-66).

92 D’après la Grammaire cognitive de Ronald Langacker (1999a, p. 152), la subjectivisation implique la

disparition de toute base objective dans la conceptualisation [« [T]he full disappearance of any objective basis for the conceptualizer’s mental scanning »]. Ce phénomène est aussi expliqué en termes de remplacement : « J’ai précédemment décrit la subjectivisation en termes de remplacement : une relation dans la situation objective décrite est remplacée par une relation inhérente au processus de conception comparable mais construite de façon subjective [...] Cependant, j’ai acquis la conviction que ce composant subjectif est toujours présent, immanent à la conception objective, et que simplement il reste derrière lorsque la conception objective s’efface. » [« I have previously characterized subjectifiction in terms of replacement : some relationship withtin the objective situation under description is replaced by a comparable but subjectively construed relationship inherent in the very process of conception [...] However, I have comme to believe that this subjective component

Ce phénomène implique une « recharge » pragmatique de formes qui affaiblissent leur signifié référentiel étymologique – entendu comme résultat du processus de grammaticalisation – et, en même temps, qui leur offre de l’autonomie par rapport à la structure syntaxique lorsqu’ils deviennent opératifs à un niveau de langue supérieur – caractéristique de la « dégrammaticalisation », comme le signale Concepción Company Company93. Dans cette perspective, les marqueurs discursifs sont le résultat d’un changement

sémantico-syntaxique qui, grâce à un accroissement pragmatique et à l’acquisition d’appréciations subjectives, donne une autonomie syntaxique à ces formes. On souligne quelques modifications à la base de la subjectivisation et de la formation des marqueurs du discours :

a) Changements métaphorico-métonimiques de nature inférentielle : le sujet parlant charge le message d’un certain degré d’appréciation personnelle, de façon voilée, ce qui invite son interlocuteur à sur-interpréter ce que l’on a effectivement dit. Une fois interprété le point de vue du locuteur, son interlocuteur suppose que la nuance subjective est une valeur établie dans la forme produite par le locuteur. Cette inférence individuelle se transformera avec le temps en une inférence conventionnelle partagée par les membres de la communauté linguistique et deviendra un signifié standard fixé dans la grammaire.

b) Élargissement de la portée de la prédication : la valeur de la forme subjectivisée porte sur la globalité de la proposition, et non sur un ou plusieurs segments à l’intérieur de la phrase.

is there all along, being immanent in the objective conception, and simply remains behind when the latter fades away »]. Id., 1999b, p. 298. Or, selon la théorie de la grammaticalisation de Traugott, la subjectivisation est conçue comme un processus de changement pragmatico-sémantique : « [L]e processus historique pragmatico- sémantique au moyen duquel le sens réside de plus en plus dans les appréciations subjectives du locuteur ou dans son attitude par rapport à ce qui est communiqué. » [« [T]he historical pragmatic-semantic process whereby meanings become increasingly based in the speaker’s subjective belief-state, or attitude towards what is said ».], Elisabeth Traugott, 1989, p. 35. Pour John Lyons (1982, p. 102), la subjectivité est une caractéristique des langues naturelles : « « La subjectivité fait référence à la façon dont les langues naturelles, dans leurs structures ainsi que dans leur fonctionnement normal, permettent l’expression locutoire du sujet parlant et l’expression de ses propres attitudes et croyances ». [« Subjectivity refers to the way in which natural languages, in their structure and their normal manner of operation provide for the locutionary agent’s expression of himself and of his own attitudes and beliefs »]. Les traductions sont de notre fait.

93 « En este proceso inverso [a la gramaticalización] las formas prescinden o se liberan de sus antiguas

restricciones semánticas y distribucionales y pasan a operar en un nivel superior de lengua ; por supuesto, adquieren restricciones semánticas y distribucionales de otra naturaleza. Este tipo de cambio suele ser englobado bajo una diversidad de etiquetas conceptuales [...] : lexicalización, desgramaticalización, adaptación, refuncionalización, pragmatización, etc. ». Concepción Company Company, 2004b, p. 23.

c) Fixation et autonomie de la prédication : les marqueurs issus de la subjectivisation peuvent évoluer dans des expressions figées. En général ils constituent une prédication autonome et sont indépendants au niveau prosodique.

d) Perte de capacités syntaxiques : les formes subjectivisées montrent une syntaxe appauvrie, une fixation syntaxique qui peut aller jusqu’à l’annulation complète.

e) Affaiblissement et/ou perte totale du signifié référentiel étymologique d’origine : celui-ci est le sujet le plus polémique. Il existe deux positions par rapport au degré de désémantisation des marqueurs : soit ils gardent leur signifié étymologique, quoique affaibli, soit ils se détachent complètement de leur contenu lexical.94