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Les postulats du lexique génératif

Dans le document Le verbe espagnol dar : approche sémantique (Page 97-101)

1 1 Le concept de marqueur discursif

2. D AR ET LES VERBES SUPPORTS

2.7. Les postulats du lexique génératif

Selon la théorie du lexique génératif proposée par James Pustejovsky, le lexique ne constitue pas un ensemble statique où les mots sont répertoriés avec leurs entrées lexicales. En effet, il s’agit d’une la théorie de décomposition du sens selon laquelle les mots acquièrent différents sens selon le contexte où ils se présentent. C’est une théorie générative dans le sens qu’elle rend compte du potentiel créatif du langage ; au moyen d’un nombre limité d’opérations on génère un nombre illimité d’interprétations161.

Le fait que les mots puissent véhiculer différents sens s’explique grâce à leur sous- spécification lexicale (underspecification) : le signifié des mots est assez imprécis, suffisamment indéterminé et susceptible de générer de nombreuses interprétations selon le contexte d’occurrence. Cette indétermination leur permet de s’agencer dans différentes structures syntaxiques et d’entrer dans diverses opérations de composition sémantique.

Un lexique génératif peut être défini comme un système comprenant quatre niveaux de représentations :

1. Structure argumentale, qui spécifie le nombre et le type d’arguments logiques, obligatoires et optionnels, d’un élément lexical.

language, the study of lexical semantics is bound to fail. There is no way in which meaning can be completely divorced from the structure that carries it. »]. La traduction est de note fait.

160 L’approche de Pustejovsky est du type componentialiste ou moléculariste. Sa théorie suppose que le contenu

lexical n’a pas seulement une fonction référentielle mais également inférentielle. Contrairement à cette optique, les théories atomistes conçoivent l’invariance de l’apport sémantique des mots au contexte et de ce fait supposent la compositionnalité du sens. La vision moléculariste intègre le principe de contextualité selon lequel le sens de la phrase détermine le sens de ses constituants. Voir la critique atomiste de la théorie de Postejovsky dans James Fodor et Ernest Lepore, 1998. Voir également l’analyse d’Alexandra Arapanis, 2009, dans sa thèse de doctorat en philosophie. La perspective de l’analyse que l’on mène à propos du verbe dar prend en compte et en quelque sort marie certains postulats de l’atomisme et du contextualisme, deux visions apparemment inconciliables : bien qu’un mot soit toujours associé au même apport de signification dans une phrase, c’est la combinatoire phrastique qui permettra évoquer un effet de sens particulier.

161 « À mon avis, la représentation du contexte d’un énoncé devrait être considérée comme comportant de

nombreux facteurs génératifs différents, lesquels rendent compte de la façon dont les usagers de la langue créent et manipulent le contexte de façon contrainte dans le but d’être compris. » [« It is my opinion that the representation of the context of an utterance should be viewed as involving many different generative factors that account for the way that langage users create and maniputalte the contexte under constraints, in order to be understood. »], James Pustejovsky, 1991, p. 411. La traduction est de notre fait.

2. Structure événementielle, qui définit le type d’événement d’une unité lexicale ou d’une phrase, soit l’information aspectuelle de l’événement. Les événements qui constituent des états, des procès et des transitions ont une structure interne ou sous-événementielle. On reprend par la suite les représentations proposées par Miguel Aparicio162 d’après la description de Pustejovsky. Les états (E) représentent un événement simple (amar, sentir,

pensar) :

E

e

Figure 1 : REPRÉSENTATION DES ÉTATS (PUSTEJOVSKY) D’APRÈS MIGUEL APARICIO.

Les procès (P) représentent une succession d’événements qui impliquent la même expression sémantique (correr, cantar) :

P e1 e2

Figure 2 : REPRÉSENTATION DES PROCÈS (PUSTEJOVSKY) D’APRÈS MIGUEL APARICIO.

Les transitions (T) impliquent un événement dont la représentation sémantique est estimée par rapport à une représentation opposée (construir, destruir) :

T

e ¬e

Figure 3 : REPRÉSENTATION DES TRANSITIONS 1 (PUSTEJOVSKY) D’APRÈS MIGUEL APARICIO.

Une autre représentation de la transition peut impliquer un premier sous événement

procès qui donne lieu à un état, du fait que la transition implique un procès donnant lieu à un

état :

T

P E

Figure 4 : REPRÉSENTATION DES TRANSITIONS 2 (PUSTEJOVSKY) D’APRÈS MIGUEL APARICIO.

3. Structure de qualia, où sont codifiées linguistiquement les informations concernant les entités représentées par les substantifs et les verbes. Cette structure réunit quatre types d’information spécifiés dans des rôles ou qualia163 :

- Quale constitutif, qui rassemble l’information relative à la constitution de l’objet (matière, poids, éléments constitutifs).

- Quale formel, qui informe sur l’orientation, magnitude, forme, dimensionnalité, couleur et position de l’objet.

- Quale télique ou fonctionnel, qui renseigne sur la finalité et la fonction de l’objet, c’est-à-dire sur le mobile qui conduit un agent à réaliser quelque chose ou sur la finalité de certains activités.

- Quale agentif, qui rassemble les informations sur les facteurs impliqués dans l’origine ou la production de l’objet.

Voici comment ses informations sont codifiées dans la structure de qualia du substantif roman d’après Pustejovsky :

163 Comme l’observe Arapinis (op. cit., p. 117), Pustejovsky se base sur les principes Aristotéliciens de cause qui

rendent compte de l’organisation conceptuelle du monde et qui, selon celui-ci, explique l’organisation sémantique du lexique. Ces principes de cause fondent la structuration des quatre qualia proposée par le linguiste. On reprend la citation d’Arapinis : « En un sens, la cause, c’est ce dont une chose est faite et qui y demeure immanent [...]. En un autre sens, c’est la forme et le modèle, c’est-à-dire la définition de la quiddité et ses genres [...]. En un autre sens, c’est dont vient le premier commencement du changement et du repos [...], l’agent est cause de ce qui est fait, ce qui produit le changement de ce qui est changé. En dernier lieu, c’est la fin ; c’est-à-dire la cause finale » (Physique II 194b23-195a3 et Métaphysique ∆ 2, 1013a25-1013b4).

Roman ⇒ Quale constitutif : narrative

Quale formel : livre Quale télique : lire Quale agentif : écrire.

La structure de qualia de roman – si on la transpose à l’analyse de novela – permet l’une ou l’autre interprétation de la phrase suivante :

Empezó la novela (empezó a {leerla/escribirla})

Il s’agira de leerla si l’on sélectionne le quale télique et de escribirla si l’on sélectionne le quale agentif codifié dans le substantif roman.

4. Structure d’héritage lexical, qui identifie les rapports de hiérarchie entre des structures lexicales (hyperonymie, hyponymie, etc.).

Les informations contenues dans ces structures interagissent au moyen des mécanismes génératifs et transformationnels, ce qui permet l’interprétation des mots dans les contextes où ils se présentent. Les mécanismes sont les suivants :

a) Coercition de Types : opération au moyen duquel un élément lexical est contraint par un noyau recteur à s’adapter au type attendu par le noyau, c’est-à-dire à changer de type sémantique sans changement syntaxique. Dans l’exemple précédent, empezó la novela,

empezar est le noyau qui sélectionne un événement, soit un syntagme verbal, comme son

complément. Dans ce cas, il s’agence avec le syntagme nominal la novela, qui normalement représente un objet. Or, empezar force un changement sémantique dans novela, qui passe de représenter un objet à indiquer un événement. Ce changement permettra les deux interprétations possibles, leer ou escribir, des informations inscrites dans la structure de quale télique et agentif de novela. Ce mécanisme de changement sémantique se produit à partir de la sélection des traits essentiels dans la structure de qualia dans novela, le quale télique pour leer et le quale agentif pour escribir.

b) Liage sélectif : il s’agit d’un mécanisme de concordance de traits lexicaux au moyen duquel un foncteur opère sur une sous-structure. En reprenant l’exemple proposé par

Miguel Aparicio, le verbe subir obtient une interprétation causative dans la empresa sube los

precios et inaccusative dans los precios suben.

c) Co-composition : c’est le fait que plusieurs éléments interviennent dans la composition du sens et pas seulement le verbe. Dans les phrases Es un excelente amigo et Es

un excelente lavarropas, l’interprétation de l’adjectif excelente change selon le substantif

auquel il s’applique. Lorsqu’il s’applique à amigo, il signifie « qui a certains types de qualités », tandis qu’en composition avec lavarropas, on l’interprète comme « qui lave bien, qui fait bien sa fonction ». Dans le premier cas, l’adjectif sélectionne le quale constitutif du substantif, tandis que dans le second, il sélectionne le quale télique qui informe sur la fonction de l’entité.

En somme, d’après ce modèle descriptif, les différentes interprétations du sens sont possibles à partir de la sous-spécification des mots, à travers l’information contenue dans leur entrée lexicale, structurée aux quatre niveaux décrits – structure argumentale, événementielle, de qualia et d’héritage lexical – et par l’application des mécanismes génératifs qui permettent d’exploiter ces informations et qui régulent la bonne formation des syntagmes et des phrases.

Le cadre théorique du lexique génératif offre une analyse des verbes « supports » selon laquelle, loin d’être conçus comme plus ou moins vidés de leur contenu notionnel, ils gardent leur signification et sont capables de choisir leurs arguments. Telle est la position de Miguel Aparicio164 lorsqu’elle démontre que les verbes dans les constructions à verbes supports interviennent dans la sélection de leurs arguments (El chico dio un golpe/golpeó. El viento

golpeó/*dio un golpe) et que les verbes avec lesquels ils peuvent être paraphrasés n’ont pas la

même signification (hacer [un corte] = cortar : El médico hizo un corte en el brazo ≠ El

médico cortó el brazo).

Dans le document Le verbe espagnol dar : approche sémantique (Page 97-101)