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F ONCTION PÉRIPHÉRIQUE

1 1 Le concept de marqueur discursif

1.6. Traits caractéristiques des marqueurs discursifs

1.6.4. F ONCTION PÉRIPHÉRIQUE

Les marqueurs ont une fonctionne marginale dans la syntaxe de la phrase, car leur niveau d’opérativité est le discours et non la proposition. Ainsi, le syntagme prépositionnel a

propósito fonctionne comme complément circonstanciel de manière du prédicat dans l’énoncé

suivant :

(26) Sí, te parecés [...] ¿Pero es que me van a dejar tranquila? Te digo a propósito que te parecés a él, para que de una vez por todas nos dejemos de absurdos.

Julio Cortázar, Rayuela, Argentina, 1963, CORDE.

Or, le même syntagme peut révéler une fonction exophrastique :

(27) Y los especialistas en folklore canyengue, como un servidor. Haceme acordar en casa que te lea la confesión de Ivonne Guitry, viejo, es algo grande.

- A propósito, manda decir la señora de Gutusso que si no le devolvés la antología de Gardel te va a rajar una maceta en el cráneo -informó Talita.

Julio Cortázar, Rayuela, Argentina, 1963, CORDE.

Dans ce dernier cas, il sert à introduire un changement de sujet dans la conversation et fonctionne comme organisateur du discours.

1.6.5. INTONATION

Les marqueurs se démarquent généralement du reste de l’énoncé pas une pause antérieure et/ou postérieure. Outre cette démarcation, certains traits suprasegmentaux sont associés à différentes nuances pragmatiques. María Antonia Martín Zorraquino71 observe des signaux d’intonation systématiques et réguliers dans différents emplois des marqueurs bueno et claro. Ce dernier peut être employé pour signaler l’accord avec ce que vient d’être dit, mais il peut également avoir une valeur contre-argumentative. Dans l’exemple suivant, le marqueur

claro suivi de que sert à confirmer les propos précédents :

(28) Mi felicidad estriba en ayudar a los demás. Luego está Dios, tú lo sabes. Te lo he enseñado.

- Sí, claro que sí. Pero a Dios no le vemos ni le tocamos...

José Luis Martín Vigil, Los curas comunistas, España, 1968, CORDE.

Le marqueur présente le tonème de « cadence » (↓) qui se caractérise par une intonation descendante à la fin du groupe phonique. Or, lorsque claro véhicule une valeur concessive, il présente un tonème de « suspension » (→) où l’intonation se maintient à la fin du groupe phonique:

(29) Yo realmente no sé qué vamos a hacer, este tablón empieza a pesar demasiado, ya sabés que el peso es una cosa relativa. Cuando lo trajimos era livianísimo, claro que no le daba el sol como ahora.

Julio Cortázar, Rayuela, Argentina, 1963, CORDE.

1.6.6. GRAMMATICALISATION DES MARQUEURS

L’une des propriétés les plus caractéristiques des marqueurs serait leur invariabilité ou

fixation. Cette caractéristique est un trait distinctif des traditionnelles particules – adverbes,

conjonctions, interjections – et nombre d’entre elles sont des catégories qui peuvent fonctionner comme marqueurs. Cependant, il existe d’autres catégories grammaticales parmi les marqueurs – des syntagmes prépositionnels et verbaux, par exemple – qui s’avèrent invariables comme résultat d’une opération ordinairement désignée comme une

grammaticalisation. C’est ainsi que, en 1912, le linguiste français Antoine Meillet décrit la

création de formes grammaticales à partir de formes pleines :

La constitution de formes grammaticales par dégradation progressive des mots jadis autonomes est rendue possible par les procédés [...] qui consistent [...] en un affaiblissement de la prononciation, de la signification concrète des mots et de la valeur expressive des mots et des groupes de mots.72

Un demi-siècle après cette description, Jesy Kurylowicz nuance la définition de Meillet et considère la grammaticalisation comme un phénomène de « gradation ». Pour l’auteur, il s’agit d’une augmentation graduelle du caractère grammatical des mots affectés :

La grammaticalisation consiste en la progression de la catégorie d’un morphème d’un statut lexical vers un statut grammatical ou d’un statut moins grammatical vers un statut plus grammatical.73

Dans l’ensemble, la grammaticalisation implique que certains mots passent d’une catégorie lexicale à une catégorie grammaticale74 mais cela peut également impliquer une évolution dans le degré de grammaticalisation, c’est-à-dire moins de grammaticalisation à plus de grammaticalisation75.

Au passage d’un statut à un autre, les éléments grammaticalisés subissent une dégradation que certains chercheurs qualifient de sémantique, pragmatique, syntaxique et phonique, comme Bernd Heine et Mechthild Reh par exemple :

Par le terme « grammaticalisation », nous faisons essentiellement référence à une évolution par laquelle les unités linguistiques perdent en complexité sémantique, signification pragmatique, liberté syntaxique et substance phonétique.76

De ce fait, l’unité grammaticalisée semble devenir un élément figé dans sa structure et plus ou moins « désémantisé ».

Dans une perspective discursive, la grammaticalisation permet la création d’unités discursives invariables à partir de formes lexicales pleines. Les marqueurs se distinguent des unités non grammaticalisées desquelles ils procèdent par leur fixation, c’est-à-dire par le fait qu’ils n’admettent ni complémentation, ni coordination, comme on l’a signalé précédemment, ni changements morphologiques de genre, nombre, personne verbale, temps, mode, etc.

Néanmoins, certains marqueurs présentent quelques variations, ce qui serait le signal d’un procès de grammaticalisation « inachevée ». No obstante est un marqueur discursif contre-argumentatif dans l’énoncé suivant :

(30) La costa quedaba libre de amenaza. No obstante continuamos invisibles. Pablo Neruda, Una casa en la arena, Chile, 1966, CORDE.

73 [« Grammaticalization consists in the increase of the range of a morpheme advancing from a lexical to a

grammatical or from a less grammatical to a more grammatical status, e.g. from a derivative formant to an inflectional one »]. Josy Kurylowicz [1960] 1975, p. 52. La traduction est de notre fait.

74 Il s’agirait, par exemple, du marqueur no obstante formé à partir du participe du verbe obstar. Voir Mar

Garachana Camarero, [1998] 2008, p. 193-212.

75 Le démonstratif este, mot grammatical, acquiert un statut de mot plus grammaticalisé lorsqu’il est employé

comme marqueur métadiscursif. Voir Ignacio Bosque, Violeta Demonte, op. cit., p. 4199, § 63.6.5.6.

76 [« [W]ith the term "grammaticalization" we refer essentially to an evolution whereby linguistic units lose in

semantic complexity, pragmatic significance, syntactic freedom, and phonetic substance. »]. Bernd Heine, Mechthild Reh, 1984, p. 15. La traduction est de notre fait.

Or, obstante est le participe du verbe obstar dans l’exemple suivant où il s’assemble avec un syntagme nominal :

(31) Entonces los siete recogían el balón o los mazos de madera, juntaban las palmas, caían de rodillas y, más Botticellis que nunca, no obstante las simples camisetas y calzoncillos uniformes del deportivo atuendo, rezaban a coro, cantando rítmicos latines.

Manuel Mujica Láinez, El escarabajo, Argentina, 1982, CREA.

Son agencement avec le sujet las simples camisetas y calzoncillos uniformes del

deportivo atuendo inviterait à voir une moindre grammaticalisation de no obstante.

Cependant, l’absence de concordance de genre – féminin – et de nombre – pluriel – révélerait un processus de fixation en marche.