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Dar verbe prédicatif vs dar verbe support

1 1 Le concept de marqueur discursif

2. D AR ET LES VERBES SUPPORTS

2.3. Dar verbe prédicatif vs dar verbe support

Dans son article sur le comportement du verbe dar comme verbe support, José Luis Herrero Ingelmo143 indique que ce type de verbe résulte d’un processus de grammaticalisation

140 La définition des verbes vicaires ne correspond pas exactement à celle des verbes supports. Vicaire ou

vicariant (aussi appelé substitut, suppléant ou supplétif), dont l’étymon latin VICARIUS signifie remplaçant, fait référence au verbe qui remplace le contenu notionnel d’un autre verbe. C’est le cas de faire en français dont Gérard Moignet distingue deux types de vicariance : prototypique lorsque faire substitue un verbe déjà cité (Il a

dit non, ce que je ferai) et anticipative lorsqu’il remplace un verbe qui le suit (Il ne fait que chanter). Voir

Gérard Moignet, 1974, p. 41.

141 Real academia española, Asociación de academias de la lengua española, op. cit., p. 2653, § 34.11j. 142 Ignacio Bosque, Violeta Demonte, op. cit., p. 4409, § 67.3.2.2. Le gras est de notre fait.

imparfaite d’unités pleines. L’auteur offre une classification des verbes espagnols selon leur comportement syntaxique144 :

- Verbes prédicatifs (ordinaires ou normaux) qui ont leurs propres arguments et qui sont représentatifs de la catégorie.

- Locution verbales, dans lesquelles l’élément prédicatif n’est pas le verbe mais l’unité lexicale complète (coger el toro por las astas).

- Auxiliaires temporels ser et haber, porteurs des catégories de personne, nombre et temps.

- Auxiliaires aspectuels (acabar de, estar a punto de, etc.).

- Verbes supports qui actualisent des adjectifs prédicatifs (ser et estar) et des substantifs.

Dans la catégorie des verbes supports, l’auteur distingue deux grandes classes :

- Généraux : dar, echar, hacer, poner, tomar, tener. Il s’agit de verbes qui ont une haute fréquence d’emploi et qui peuvent actualiser un grand nombre de substantifs prédicatifs. - Appropriés ou spécifiques: verbes de moindre fréquence et avec plus de restrictions combinatoires, limités à actualiser un substantif ou un nombre réduit de substantifs (proceder dans proceder a la demolición, propinar dans propinar un golpe).

Les verbes appropriés sont des variantes stylistiques ou aspectuelles de verbes généraux dans leur emploi avec des substantifs prédicatifs qu’ils actualisent. Ainsi, asestar un

golpe est une variante formelle de la construction avec le support général dar un golpe ; emprender un viaje exprime l’inchoativité du procès que ne véhicule pas la combinaison avec

le verbe général hacer un viaje.

On a signalé que, selon ce modèle explicatif des constructions verbo-nominales, les verbes supports, généraux ou spécifiques, ne sont pas des éléments prédicatifs. Lorsque dar fait partie de ce type de structures, il est considéré comme un verbe de grand spectre, capable d’actualiser un grand nombre de substantifs prédicatifs. C’est le substantif et non le verbe, qui fournit le contenu lexical du procès, tandis qu’au verbe revient la fonction d’actualisation morphémique du nom, celle de le « conjuguer », comme l’indique Herrero Ingelmo.

144 L’auteur s’appuie sur la description proposée par Gaston Gross qui, à son tour, reprend les concepts de la

Pour ce qui est des verbes qui peuvent alterner avec dar et des équivalents dans les constructions verbo-nominales, le choix entre l’un et l’autre peut révéler une différence de niveau de langue, moins soutenu et caractéristique de la langue orale avec le recours à dar et plus soutenu avec des verbes supports plus « lourds », parfois de nature métaphorique d’après Gaston Gross. Voici quelques exemples de cette alternance dans la langue écrite:

(93) El policía que le custodiaba le dio un golpe con la culata del mosquetón y Julián cayó al suelo.

Eduardo Mendoza, La verdad sobre el caso Savolta, España, 1975, CORDE. (94) También cayó Olivier, atacado alevosamente por el tambaleante Siglorel, [...] pero antes,

atolondrado, cegado, para defenderse, Olivier asestó un golpe terrible a Roldán, hermano de su alma [...]

Manuel Mujica Láinez, El escarabajo, Argentina, 1982, CORDE.

(95) No había más que tres argentinos sin contarme a mí, y ya al rato estábamos los cuatro pegándole al truco y a la cerveza. De los tres uno ya era viejo, aunque le hubiera podido dar un susto al más pintado.

Julio Cortázar, Final de juego, Argentina, 1945-1964, CORDE.

(96) Su primo había abierto la ventana y la tía Sunta sonreía detrás del reloj de pared, con un dedo sobre los labios, como si esperara propinar un susto al primer alférez que entrara en la casa.

Juan Benet Goitia, Saúl ante Samuel, España, 1980, CORDE.

(97) Cuando los vi por primera vez, me sorprendió saber que los cafetales eran los arbustos pequeños que estaban debajo de esos árboles mayores que se instalaban ahí para dar protección a las cosechas.

Marcela Serrano, Antigua vida mía, Chile, 1995, CREA.

(98) Deseaba reincorporarse cuanto antes a su guerrilla y dedicarse a brindar protección armada a los numerosos grupos de tibetanos que, de seguro, estarían ya intentando salir de su país [...]

Antonio Velasco Piña, Regina, México, 1987, CREA.

(99) El doctor Jiménez Mendoza le puso a tratamiento y le dio ánimo. "Dentro de un mes te sentirás mucho mejor. Pero ya veremos dónde te mandamos luego para que mejoren tus pulmones."

(100) El desfallecimiento le duró unos pocos minutos. [...] el monseñor se dirigió al salón presidido por el obispo que le precedió y que murió mártir en los comienzos de la guerra civil. Aquello le infundió ánimo. "Si tú moraste mártir, también puedo hacerlo yo.

José María Gironella, Los hombres lloran solos, España, 1986, CREA.

Les verbes supports spécifiques asestar, propinar, brindar, infundir auraient une charge sémantique plus lourde et constitueraient de ce fait des unités moins désémantisées que leur contrepartie allégée – dar – avec laquelle ils peuvent alterner. En dehors de leur apport sémantique, ce type de verbe support plus lourd révèle les mêmes caractéristiques que le verbe générique145. Mais il n’y a pas une analyse consensuelle à propos du contenu lexical des supports des prédicats nominaux. Pour Herrero Ingelmo, en association avec certains substantifs, dar conserverait une partie de sa semantèse, que l’auteur associe avec un « mouvement orienté ». Pour Elena de Miguel Aparicio, les verbes dans ces constructions ne sont jamais désémantisés146.

L’emploi d’un verbe comme support révèlerait des traits syntaxiques particuliers qui le distingueraient de son emploi comme verbe prédicatif. Gaston Gross147 décrit les différences

entre l’un et l’autre à propos du verbe français donner. L’auteur offre la description suivante de l’emploi du verbe français donner dans les phrases Paul a donné une gifle à Jean et Paul a

donné un livre à Jean – l’emploi du verbe dans la première phrase étant considére comme

support :

- Le substantif livre est un substantif concrète tandis que gifle est, selon l’auteur, un substantif abstrait.

- Il existe des contraintes sur le déterminant de gifle, contrairement à la liberté du déterminant avec livre : Paul a donné deux/trois/plusieurs/le/son livre à Jean / Paul a donné

deux/trois/plusieurs gifles à Jean mais *la/son gifle à Jean.

- La pronominalisation est naturelle avec le substantif livre d’après l’auteur, mais non avec gifle : Ce livre, Paul l’a donné / ? Cette gifle, Paul la lui a donnée.

- Gross observe que l’interrogation en que est naturelle lorsqu’elle porte sur livre, mais non sur gifle : Qu’est-ce que Paul lui a donné ? - Un livre / *Un gifle.

- Le complément à Jean dépend de gifle mais non de livre : La gifle de Paul à Jean /

*Le livre de Paul à Jean.

145 C’est la position de Ignacio Bosque. Voir Ignacio Bosque, 2001. 146 Voir Elena de Miguel Aparicio, 2008.

- Le substantif gifle est associé au verbe gifler et donner une gifle est synonyme de gifler. Gross indique que c’est le substantif qui choisit les arguments et pas le verbe.

Sur la base de cette description, on propose de tracer les caractéristiques des occurrences équivalentes de dar dans les deux emplois signalés. Soit les phrases Pablo le dio

un golpe a Juan et Pablo le dio un libro a Juan :

- On peut douter fortement que gifle et son équivalent en espagnol golpe soient des

substantifs abstraits. Les constructions verbo-nominales peuvent se former avec différents types de substantifs : concrets (un golpe), abstraits (ánimo), exprimant des activités langagières (orden), etc.

- Les déterminants de golpe ont plus de contraintes que le déterminant de libro : Pablo

le dio un/el/mi/tres libro(s) a Juan mais *Pablo le dio el/su golpe a Juan.

- Contrairement à ce qui postule Gross pour le substantif gifle, la pronominalisation est tout a fait possible avec le substantif espagnol golpe : Pablo se lo dio (el libro) / Pablo se lo

dio (el golpe).

- De même, l’interrogation au moyen de qué n’étant pas naturelle avec gifle selon Gross, elle n’est pas impossible lorsqu’elle porte sur le substantif espagnol golpe: ¿Qué le dio

Pablo ? Un libro * Un golpe.

- Le complément indirect a Juan dépend du substantif golpe mais non de libro : El

golpe de Pablo a Juan * El libro de Pablo a Juan.

- Le substantif golpe est associé au verbe golpear – cela n’est pas possible avec le substantif libro –; dar un golpe équivaudrait à golpear – pour autant, on a signalé que tous les substantifs dans ce type de constructions n’ont pas d’équivalent verbal.

Selon cette analyse, ce sont les traits sémantico-syntaxiques des substantifs qui déterminent l’emploi du verbe dans l’une ou l’autre catégorie. Le type de substantif qui s’assemble à la suite d’un verbe constituera son argument, comme dans dar un libro ou son prédicat nominal, comme dans dar una bofetada. Le substantif en tant que prédicat nominal choisit son support verbal actualisant.

2.4. Le contexte

Pour pouvoir déterminer le type de fonctionnement du verbe – prédicatif ou support –, le principe de contextualité ou contextualisation joue un rôle essentiel148. Selon ce principe qui constitue le fondement théorique du lexique-grammaire, les mots n’ont ni sens ni référence en dehors du contexte où ils se présentent149. Quelques conséquences théoriques découlent de cette affirmation, comme le signale Gaston Gross dans son analyse sur le contexte150. Premièrement, l’auteur souligne la relation inaliénable des trois niveaux dans la description linguistique, le lexique, la syntaxe et la sémantique. D’après la description des constructions verbo-nominales dans l’optique du lexique-grammaire, la sémantique résulte de la combinaison syntaxique d’unités lexicales. Chaque emploi est représenté par une phrase simple :

[L]e fait que les niveaux d’analyse généralement postulés dans la description grammaticale soient en fait totalement interdépendants a pour conséquence que l’unité minimale d’analyse n’est pas le mot, mais la phrase simple. Les auteurs de dictionnaires pour qui l’unité minimale est le mot sont bien obligés dans la confection même des articles de donner un contexte pour désambiguïser les différentes acceptions.151

Or, tous les éléments de l’environnement du prédicat ne sont pas déterminants et ne forment pas le contexte définitoire : dans certains cas des incises, des négations, des adverbes

148 Comme l’explique Catherine Fuchs, c’est le logicien allemand Gottlob Frege qui introduit à la fin du XIXe

siècle l’inadéquation de la notion d’identité selon le contexte. « Selon la définition logique de l'identité, lorsque deux objets sont identiques, tout ce qui est vrai de l'un l'est également de l'autre : «!Napoléon!» étant à la fois «!le vainqueur d'Austerlitz!» et «!le vaincu de Waterloo!», il devrait être possible de substituer l'une de ces deux descriptions définies à l'autre sans modifier la valeur de vérité de la proposition résultante. Tel n'est toujours pas le cas, puisque par exemple si la proposition «!Pierre sait que Napoléon est le vainqueur d'Austerlitz!» est vraie, il peut se trouver en revanche que la proposition «!Pierre sait que Napoléon est le vaincu de Waterloo!» soit fausse : tout dépend ici des connaissances historiques de Pierre. Pour résoudre ce paradoxe, Frege distingue le référent d'une expression (l'entité qu'elle désigne) et son sens : «!Napoléon!», «!le vainqueur d'Austerlitz!» et «!le vaincu de Waterloo!» ont le même référent mais des sens différents. Or c'est précisément le sens qui est en jeu dans certains types de contextes, dits «!contextes opaques!», tels, par exemple, les verbes d'attitude propositionnelle comme savoir, dire, penser, etc. La substitution de deux termes de référent identique, mais de sens différent, peut alors donc conduire à modifier la valeur de vérité de la proposition. » Ce postulat a été repris dans le domaine linguistique pour formuler des théories contextualistes. Catherine Fuchs, « CONTEXTE,

linguistique », Encyclopædia Universalis [en ligne, consulté le 18 juillet 2013. URL : http://www.universalis-

edu.com/encyclopedie/contexte-linguistique/].

149 José Luis Herrero Ingelmo (2002, p. 1) signale que l’analyse des unités linguistiques dans la perspective du

lexique-grammaire et de la contextualisation doit permettre une application au traitement automatique des langues, ce qui implique que le lexique ne peut pas être traité de manière informatique si chaque élément n’est pas doté d’un comportement prévisible dans un énoncé.

150 Gaston Gross, 2010. 151 Ibid., p. 196

et des déterminants nominaux doivent être laissés de côté car non pertinents au moment de chercher le sens d’un emploi.

Bien qu’on souscrive ici à l’analyse contextuelle dans l’interprétation des mots, on diverge à propos de deux questions au sein du lexique-grammaire : la polysémie et le vide notionnel des verbes supports :

- En ce qui concerne la polysémie, Gaston Gross observe que l’interdépendance du lexique, de la sémantique et de la syntaxe résulte du fait qu’un mot peut avoir plusieurs « sens » :

L’existence de la polysémie, qui est une des propriétés fondamentales des langues naturelles, oblige à relier ces trois niveaux, ce qui ne peut se faire que sur la base du lexique. Cet amalgame s’opère dans la notion d’emploi, qui est un des concepts les plus importants de la grammaire.152

Or, ce qui sépare cette conception du sens de celle qui gouverne cette thèse est la perspective dans laquelle on aborde la description des faits du langage : il n’existe pas de polysémie mais une pluralité d’effets de sens dans le discours où s’actualise un signe, dont le signifié en langue est unique.

- Quant au prétendu vide notionnel des verbes supports, l’optique de l’analyse de dar que l’on propose ne peut que diverger avec le constat de l’existence de verbes sémantiquement « légers » qui servent à conjuguer le vrai prédicat et qui, tout au plus, apportent des indications aspectuelles.