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D AR + POR + INFINITIF

Dans le document Le verbe espagnol dar : approche sémantique (Page 151-156)

1.1 Signifié et syntaxe : le rôle du contexte

1.3. Capacités combinatoires de dar

1.5.5. D AR + POR + INFINITIF

La périphrase que dar forme avec la préposition por suivie de l’infinitif sert à exprimer une activité qui devient pour quelqu’un une obsession ou un objet d’engagement temporel. En général, l’activité en question est considérée comme insensée ou due à un caprice :

(210) Recordé que a veces, en las noches de verano asfixiantes, a mi padre le daba por salir a dormir al balcón.

Carlos Ruiz Zafón, La sombra del viento, 2001, España, CORDE.

C’est le comportement inattendu de sortir pour dormir sur le balcon qui se manifeste chez la personne en question lors de nuits suffocantes d’été ; c’est la déclaration d’une impulsion, d’un désir presque excentrique déclenché dans des circonstances précises. Dans l’exemple suivant, le fait de se retrouver dans la salle de bain sert de circonstance pour chanter :

(211) A las diez y media estábamos en el hotel. Gastón había salido de la noche tan alegre como yo. Volví a cantar. Siempre, en el cuarto del baño, me daba por cantar.

- ¿Y eso? ¿Qué es eso?

- Una sardana. Estamos en Cataluña.

Rafael López de Haro, Yo he sido casada, España, 1930, CORDE.

Dans ce fragment de La familia de Pascual Duarte, c’est un comportement inattendu de la jument – la possibilité malheureuse et infortunée qu’elle s’effraie et s’enfuie à la vue de la rivière – que la tournure sert à évoquer :

(212) Cuando entrábamos, con un trotillo acompasado y regular, en la ciudad, por el puente romano, tuvimos la negra sombra de que a la yegua le diera por espantarse -quién sabe si a la vista del río- y a una pobre vieja que por allí pasaba tal manotada le dio que la dejó medio descalabrada y en un tris de irse al Guadiana de cabeza.

Camilo José Cela, La familia de Pascual Duarte, España, 1942, CORDE.

Enfin, dans ce passage de El llano en llamas, Justino craint que les militaires ne prennent la décision – bien évidemment surprenante à ses yeux car vue comme une impulsion insensée – de le fusiller s’ils arrivent à connaître sa véritable identité :

(213) - Anda otra vez. Solamente otra vez, a ver qué consigues.

- No. No tengo ganas de ir. Según eso, yo soy tu hijo. Y, si voy mucho con ellos, acabarán por saber quién soy y les dará por afusilarme a mí también. Es mejor dejar las cosas de este tamaño.

- Anda, Justino. Diles que tengan tantita lástima de mí. Nomás eso diles. Juan Rulfo, El llano en llamas, México, 1953, CORDE.

À l’instar de toutes les prépositions dans les syntagmes prépositionnels associés au verbe dar qu’on a analysés, por apporte à cette périphrase sa singularité significative. Selon l’analyse de María Jiménez, la sémantèse de por comporte une « progression temporelle » avec un avant (T) et un après (T+n)204. Dans l’après, le terme de la préposition est posé par celle-ci comme « un champ de conception mentale », un « endotope conceptuel », à l’intérieur duquel loge l’autre élément de la relation, dont la position syntaxique est variable. Le parcours qu’impose la préposition est le suivant :

1. Le point de départ est en T+n, où l’on saisit l’élément de la relation qui n’est pas le terme de la préposition.

2. On se place rétrospectivement en T, et l’on y inscrit le terme de la préposition sous l’espèce d’un champ de représentation mentale.

3. On revient à T+n et l’on intègre l’élément initial dans cet endotope mental.

Cette opération mise en œuvre par por permettrait de très nombreux effets discursifs, que l’auteur ramène à trois : l’aptitude à’introduire la notion d’agent, de cause ou mobile et de localisation imprécise. Dans les deux premiers cas, c’est la progression temporelle qui permet d’inscrire un agent dans l’avant de son produit et une cause avant son effet.

Dans l’emploi spatial, il s’agirait de placer en préalable la notion spatiale, de la concevoir comme un champ de représentation dans T, et d’y inscrire par la suite, en T + n, l’événement achevé. C’est alors cette idée d’intériorité qui prévaut ici, tout comme la notion d’intériorité apportée par la préposition en. Or, selon María Jiménez, la différence entre en et

por résiderait dans l’absence de temps dans la représentation offerte par en et dans sa

présence dans l’image véhiculée par por. Cela fait que, dans son emploi spatial, por offre une représentation dynamique par opposition au statisme de en : de là la notion de localisation « ressentie comme imprécise ».205

Cette représentation dynamique qui, dans l’emploi spatial, donne lieu à une notion d’imprécision serait aussi valable pour les tournures du type le daba por ahí, por la vena

religiosa, por salir a dormir al balcón :

204 Voir María Jiménez, 2003. 205 Ibid., p. 251.

(214) - ¿A qué vienen esos gritos?

- ¿Qué gritos? -contestó el del sople en plan borrachón. - Los que pegaba en la plaza.

- Ah, era eso. Pues nada, que me dio por ahí.

Ramón Ayerra, La lucha inútil, España, 1984, CORDE.

Lorsque le personnage dit me dio por ahí, il manifeste qu’il lui est arrivé de commencer à crier, comme une impulsion injustifiée, comme un comportement insolite. La même conduite curieuse est déclarée dans les emplois avec la forme quasi nominale :

[A] mi padre le daba por salir a dormir al balcón Siempre, en el cuarto del baño, me daba por cantar

[T]uvimos la negra sombra de que a la yegua le diera por espantarse [A]cabarán por saber quién soy y les dará por afusilarme a mí también

Or, la place de la préposition por dans cette représentation est loin d’être transparente. Mais il est possible que son apport à la tournure vienne de l’image dynamique à laquelle fait référence María Jiménez dans l’emploi spatial : le comportement insolite auquel renvoie dar + por + infinitif peut très bien impliquer un changement par rapport au comportement habituel, l’opposé de la notion de permanence d’une conduite ordinaire. Cette altération serait compatible avec la représentation dynamique ressentie lors de l’emploi spatial de por.

1.5.5.1. LA PERSONNE D’UNIVERS

Retour à l’énoncé 211 :

[A] mi padre le daba por salir a dormir al balcón.

L’observation des instanciations des postes notionnels de dar dans cet emploi révèle que le MOTEUR de l’opération reste indéfini, quoique marqué dans la désinence verbale. Sa

représentation est associée à ce que, sous forme de troisième personne du singulier, Maurice Molho appelle la personne d’univers :

[S]trictement flexionnelle et exclusive en espagnol de tout rapport pronominal, les rapports pronominaux ne se déclarant qu’une fois acquise en pensée l’individualisation des trois personnes dont se recompose le paradigme personnel, et que la personne d’univers contient puissanciellement en elle.206

Selon Gustave Guillaume, la structure de la langue témoigne de ce qui est à l’origine du langage humain, le rapport Univers/Homme ; c’est au sein de ce « face-à-face » que naît la 3ème personne, « un être plus ou moins extensif appartenant à l’univers ou même, à la limite de l’extension et de l’extensité, l’univers lui-même »207. La personne d’univers contient en elle des représentations générales qui échappent à la volonté humaine, comme le résume Gérard Moignet :

Cette personne est le support des phénomènes qui ne sauraient se déterminer en pensée à partir du moi ; par exemple, les phénomènes météorologiques, ou encore, le phénomène de la nécessité que l’homme subit sans qu’il puisse du tout la gouverner ou l’assumer.208

Le MOTEUR du procès désigné par dar est donc associé à cette personne d’univers qui

se caractérise alors par le fait qu’elle englobe des représentations variées et générales, « associées à l’univers physique extramental et […] psychique intramental » décrites par Ronald Lowe209, mais auxquelles aucune particularisation n’est nécessaire dans un discours qui ne la sollicite pas.

Quant aux deux postes restants, seul l’ENTITÉ AFFECTÉE 2 de l’opération est

argumentée dans cet occurrence de dar, l’ENTITÉ AFFECTÉE 1 étant absente dans le discours.

La tournure souligne l’ENTITÉ AFFECTÉE 2, le terme de l’opération, et établit son lien avec la

personne d’univers conçue comme générateur indéfini. Voici le schéma proposé pour la tournure me daba por cantar :

PERSONNE D’UNIVERS (M)→Ø (EA1) →ME(EA2)

Figure 32 : INSTANCIATION DES POSTES DE L’EXEMPLE 212 : « [M]E DABA POR CANTAR ».

Ce lien véhiculerait donc la notion d’une manifestation, d’une impulsion, d’un accès de provenance indéterminée.

206 Maurice Molho, 1969, p. 86. 207 Voir Roch Valin, 1973, p. 267. 208 Gérard Moignet, 1972, p. 76. 209 Ronald Lowe, 2007, p. 385-386.

Dans le document Le verbe espagnol dar : approche sémantique (Page 151-156)