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Se servir des structures instantan´ ees de la conscience : le rˆ ole de l’interpr´ etation

complexe : jeter les bases

2.4 Se servir des structures instantan´ ees de la conscience : le rˆ ole de l’interpr´ etation

Il convient `a pr´esent de faire le point de la discussion. Les donn´ees dans le cadre « internaliste » adopt´e ici consistent en une succession d’´etats instantan´es de la conscience. Elles peuvent ˆetre repr´esent´ees d’une mani`ere rigoureuse par des structures, munies des objets et des relations, au sens de §2.1.3. On a vu que ces structures instantan´ees de la conscience sont locales et vagues, et on a identifi´e la distinction entre objet et relation `a celle entre les aspects focalis´es et non focalis´es dans l’´etat de la conscience.

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A partir de cet ensemble de donn´ees, il y a deux types d’op´erations que l’on pourrait vouloir effectuer. D’une part, on pourrait s’efforcer de « comprendre » cette succession comme telle, en en rep´erant directement des « r´egularit´es ». Ainsi, on pourrait construire une th´eorie de la dynamique des ´etats instantan´es de la conscience58. Dans §2.3, on a identifi´e comme une condition pr´ealable `a 58Bien entendu, il y a une limite des r´egularit´es qui peuvent ˆetre trouv´ees, laquelle est

cons´equence du fait que, dans cette optique, la distinction entre les aspects « venant du monde » et les aspects « propres `a la psychologie du sujet » n’est pas donn´ee imm´ediatement (si l’on s’y int´eresse, elle est `a trouver dans les structures instantan´ees et les rapports entre

une th´eorie de la dynamique le fait de la repr´esenter comme continue, et on a jet´e les bases d’une telle approche « directe », en concevant les ´etats instantan´es de la conscience de telle mani`ere que leur dynamique soit effectivement continue. Il ne s’agit pas, dans ce travail, d’aller plus loin dans le d´eveloppement d’une th´eorie de la dynamique. D’ailleurs, comme on le verra dans §§3.1 et 3.2, les outils et les concepts propos´es dans les trois sections pr´ec´edentes (§§2.1–2.3) suffisent d´ej`a pour permettre une premi`ere approche des questions complexes relatives `a la fiction.

D’autre part, il est un autre travail, requ´erant d’autres op´erations, de faire le rapport entre la succession d’´etats instantan´es de la conscience du sujet et les ´Etats Mentaux que l’on lui attribue. Ce travail sera entam´e, pour ce qui concerne les ´Etats Mentaux en g´en´eral, dans la section suivante, la derni`ere de ce chapitre, o`u l’on montre comment attribuer des ´Etats Mentaux `a un sujet sur la base de la succession d’´etats instantan´es de la conscience. Comme on l’a d´ej`a remarqu´e, ce travail n’est pas n´ecessaire pour comprendre les complexit´es de la fiction, dans la mesure o`u elles seront abord´ees au niveau de la conscience, en s’appuyant sur les outils d´evelopp´es dans §§2.1–2.3, sans faire entrer les ´Etats Mentaux. N´eanmoins, on consacrera une partie de l’analyse de la fiction aux ´

Etats Mentaux propos´es comme sp´ecifiques `a la fiction (§3.3), pour montrer que l’on peut les retrouver dans le cadre psychologique d´evelopp´e, et d’ailleurs que le fait de les consid´erer dans ce cadre met au clair les raisons pour leurs faiblesses ; ce travail se servira des analyses des ´Etats Mentaux en g´en´eral effectu´ees dans §2.5.

Dans chacune de ces deux op´erations, pour chacune de ces enquˆetes par- tant de la succession des ´etats instantan´ees de la conscience, l’interpr´etation de ces structures instantan´ees joue un rˆole crucial. En deux sens : premi`erement, l’interpr´etation des structures instantan´ees implique une « identification » ou du moins une « correspondance » entre les aspects des structures diff´erentes, la- quelle est une condition pr´ealable et un aspect fondamental de toute consid´eration des rapports, dont les rapports dynamiques, entre eux. Deuxi`emement, toute at- tribution d’un ´Etat Mental au sujet sur la base de ses structures instantan´ees pr´esuppose l’identification des aspects de ces structures avec des concepts de celui qui attribue, dans la mesure o`u l’´Etat Mental attribu´e est formul´e `a son langage `a lui ; autrement dit, il faut une interpr´etation des structures instan- tan´ees dans le langage de « l’attributeur ». Il s’agit, dans cette courte section, de s’attarder sur la question de l’interpr´etation, pour clarifier son rˆole et son statut dans cette th`ese.

Il va de soi que toute analyse portant sur ou r´ef´erant `a la succession des structures instantan´ees de la conscience a besoin des rapports entre les struc- tures diff´erentes, et de plus aux concepts du th´eoricien. `A la base, ce rapport consiste en la « correspondance », ou si l’on pr´ef`ere « l’identification » des objets, relations ou aspects entre des structures diff´erentes. Cette « correspondance » s’est av´er´ee cruciale pour la question de la dynamique, dans la mesure o`u la continuit´e de la dynamique repose sur le chevauchement entre entre structures instantan´ees de la conscience, con¸cu naturellement comme une certaine com- munaut´e d’objets, de relations ou d’aspects entre ces structures (§2.3.3). D’un autre cˆot´e, il s’av´erera crucial pour la question des attributions des ´Etats Men- taux au sujet, dans la mesure o`u, pour attribuer la pens´ee que X ou la croyance que X (par exemple) `a un sujet sur la base des structures instantan´ees de la conscience, il faut « identifier » quelques aspects de ces structures comme ayant affaire `a X ; en d’autres termes, il faut les « mettre en correspondance » avec le terme X du langage de celui qui attribue59.

Or, comme l’a ´et´e soulign´e dans §2.2.1, la question de la « correspondance » entre des aspects d’une structure instantan´ee et des aspects qui lui sont externes est rendue complexe par le fait qu’elle est une totalit´e par rapport `a elle-mˆeme : il ne fait strictement pas de sens, dans cette structure, de parler d’un aspect qui n’y figure pas. La « correspondance » avec des aspects externes, et donc avec des autres structures instantan´ees doit donc ˆetre ´etablies de l’ext´erieur. C’est une des tˆaches remplies par l’interpr´etation, dans la mesure o`u elle interpr`ete des aspects (objets, relations) d’une structure comme ´etant la « mˆeme » que des aspects d’autres structures, ou des concepts de l’attributeur.

L’importance de l’interpr´etation des donn´ees est d’ailleurs bien connue dans la philosophie des sciences. En effet, non seulement une interpr´etation des donn´ees est n´ecessaire pour une th´eorie scientifique, dans la mesure o`u cette th´eorie ne peut s’appliquer qu’`a des ´el´ements mis dans une forme convenable60, mais elle

est ´egalement suppos´ee par la th´eorie, dans la mesure o`u il n’y a pas de collection

59L’interpr´etation des aspects des structures instantan´ees qui se sert d’un rapport entre le

sujet et le monde pourraient enfreindre les contraintes « internaliste » adopt´ees dans ce travail (§1.1.2). Or, puisqu’il s’agit de les interpr´eter pour attribuer des ´Etats Mentaux, et puisque, selon certains philosophes au moins, les ´Etats Mentaux r´ef`erent par d´efinition aux aspects mondains, cette transgression doit ˆetre admise comme cons´equence de la question mˆeme de l’attribution des ´Etats Mentaux sur la base de la conscience. On remarque que la question de savoir dans quelle mesure l’´Etat Mental attribu´e est « externaliste » ou « internaliste », au sens du d´ebat sur le contenu des ´Etats Mentaux dans la philosophie de l’esprit (voir la note 132 de §1.5.4), renvoie aux modalit´es de l’interpr´etation des structures instantan´ees.

60La n´ecessit´e d’une interpr´etation des donn´ees, th`eme kantien (1781), est fameusement

de donn´ees « nues », sans interpr´etation aucune, qui est d’abord ramass´ee pour ensuite ˆetre transform´ee dans une forme convenable `a la th´eorie61. De mˆeme que

dans les sciences, non seulement l’interpr´etation des objets, relations et aspects des structures instantan´ees est n´ecessaire pour parler d’eux, mais on se permet de supposer de telles interpr´etations, au fur et `a mesure qu’elles sont requises62.

Deux remarques s’imposent `a l’´egard des interpr´etations suppos´ees dans ce travail. Premi`erement, il n’y a normalement pas une unique interpr´etation qui pourrait ˆetre l´egitimement suppos´ee ; au contraire, il y a souvent plusieurs in- terpr´etations cr´edibles. Pour reprendre l’exemple de §2.2.2, la structure instan- tan´ee o`u le fait que les deux livres sont adjacents est focalis´e, que l’on a interpr´et´e comme comportant deux objets livres et un objet adjacence avec une relation « . . . et . . . entrent dans la relation de . . . », pourrait ´egalement ˆetre interpr´et´ee comme comportant les livres, un objet les deux livres sont adjacents63 et une

relation « . . . r´ef`ere `a . . . et . . . ». De plus, les mani`eres de concevoir la structure instantan´ee `a l’œuvre `a un moment et dans une situation particuli`ere se multi- plient si l’on ajoute le caract`ere vague de la structure (§2.3.1). Pour les exemples consid´er´es dans ce travail, les diff´erences entre les diverses possibilit´es de struc- ture et d’interpr´etation qui permettent une analyse de l’exemple ne sont pas importantes, de telle sorte que la discussion que l’on fait en s’appuyant sur une structure et une interpr´etation se r´ep´eterait si l’on prenait une autre structure et une autre interpr´etation.

Deuxi`emement, dans tous les exemples consid´er´es ici il ne s’agit que des structures instantan´ees de la conscience `a des instants appartenant `a un inter- valle limit´e de temps, de sorte que seulement l’interpr´etation d’un nombre res- treint de structures instantan´ees n’est requise. De fait, toutes les interpr´etations employ´ees et suppos´ees ici sont locales, en ce sens qu’elles s’appliquent `a cer- taines structures instantan´ees de la conscience `a certains instants seulement, et n’affirment rien sur les structures instantan´ees de la conscience `a d’autres ins- tants64. En se servant des interpr´etations locales, et surtout des interpr´etations

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« Les paradigmes d´eterminent en mˆeme temps de grands domaines de l’exp´erience », Kuhn, op cit., p180.

62L’analogie avec la science qui soutient la supposition des interpr´etation repose sur le

fait de pouvoir consid´erer les diff´erentes enquˆetes reposant sur les structures instantan´ees de la conscience (analyse de la dynamique, attribution des ´Etats Mentaux) comme des projets de constitution de quelque chose de l’ordre d’une th´eorie scientifique (pour le cas des ´Etats Mentaux, voir §1.3.2).

63Rappeler les r´eserves terminologiques `a l’´egard du terme objet dans §2.1.3.

64Dans la mesure o`u les structures instantan´ees dans la base d’une attribution des ´Etats

Mentaux doivent ˆetre interpr´et´ees dans cette attribution, le sens de la localit´e de l’in- terpr´etation employ´e ici se rapproche du sens de localit´e de la base de l’attribution des ´Etats

qui ont trait `a des instants successifs, la supposition d’une interpr´etation donn´ee devient moins audacieuse, et cela pour deux raisons. D’une part, comme on l’a remarqu´e dans §2.2.1, la difficult´e dans la « correspondance » des aspects (ob- jets, relations) entre structures instantan´ees se temp`ere au fur et `a mesure que les structures en jeu s’approchent dans le temps. Alors que cette difficult´e se pose de mani`ere la plus grave relativement aux « correspondances » entre struc- tures instantan´ees ´eloign´ees dans le temps (cf. l’exemple du Notre Dame vu par le mˆeme individu en enfant et en adulte, §2.2.1), il semble y avoir une « iden- tification naturelle » entre les structures `a des instants voisins (deux structures instantan´ees de la conscience `a des instants voisins ont « intuitivement » beau- coup d’objets et d’aspects en commun). Cette identification permet d’´etayer l’interpr´etation de ces structures, dans la mesure o`u celle-ci respecte celle-l`a. D’ailleurs, et d’autre part, toute interpr´etation doit rendre compte de ce genre d’identification entre structures `a des instants voisins, dans la mesure o`u elle est soumise `a l’exigence de continuit´e. Cette exigence impose une contrainte sur l’ensemble de notions employ´ees (structure instantan´ee, chevauchement, et ainsi de suite), selon laquelle des structures instantan´ees de la conscience `a des instants successifs se chevauchent (§2.3, notamment §§2.3.2 et 2.3.3). Or, dans la mesure o`u ce chevauchement est con¸cu comme une « correspondance » ou une « identification » entre des aspects des structures instantan´ees, et donc est renvoy´e finalement `a l’interpr´etation des structures, la continuit´e requiert, de la part de l’interpr´etation suppos´ee, qu’elle identifie des aspects des structures instantan´ees qui se cˆotoient dans le temps.

Ces r´eserves et complexit´es ´etant not´ees, on peut aborder la question de l’attribution des ´Etats Mentaux sur la base de la succession des structures ins- tantan´ees de la conscience. C’est le sujet de la section suivante.

2.5

Attribuer `a partir des ´etats instantan´es de