• Aucun résultat trouvé

La question « conceptuelle » et la question « cau sale »

Attitudes ` a l’´ egard de la fiction

1.3 Approches psychologiques ` a l’´ egard de la fic tion

1.3.1 La question « conceptuelle » et la question « cau sale »

O`u l’on rappelle la distinction, bien connue dans la philosophie de l’esprit, entre les aspects dits « causaux », tels les processus men- taux qui sous-tendent les comportements du sujet, et les aspects dits

« conceptuels », c’est-`a-dire les concepts employ´es pour d´ecrire et

comprendre ces comportements.

Apparemment, on pensait jadis que toutes les attributions d’´etats psycholo- giques `a un sujet correspondent `a quelque chose d’effectif « dans sa tˆete ». Or, au cours du dernier si`ecle notamment, on a appris `a distinguer entre, d’une part ce qu’on dit (ordinairement) au sujet de la psychologie d’un agent et, d’autre part, les processus mentaux qui « sous-tendent » ou « produisent » effectivement les comportements manifestes de l’agent. C’est effectivement la distinction que tire Fodor entre les aspects « conceptuels » et les aspects « causaux » d’une ques- tion47 : les aspects « causaux » sont les m´ecanismes et le syst`eme qui donnent

lieu `a certains comportements ; les aspects « conceptuels » sont les notions et les concepts mis en œuvre pour comprendre et d´ecrire ces comportements. Ou, autrement, la distinction de Dennett entre la perspective interpr´etative (in- tentional stance), qui a affaire aux attributions psychologiques `a l’agent, et la perspective planificatrice (design stance)48, qui a trait plutˆot aux m´ecanismes

et aux structures derri`ere les comportements. Malgr´e les diverses positions sur le rapport entre les deux aspects ou « niveaux » distingu´ees, on s’accorde ac- tuellement sur le fait que la distinction est fond´ee.

47Fodor (1975, p6-7).

48Dennett (1987, Ch 2 et 3). Ce ne sont pas les traductions employ´ees dans la traduction

On pourrait illustrer cette distinction sur quelques th´eories propos´ees rela- tivement `a la fiction. D’une part, l’imagination de Walton et le faire comme si de Currie (§1.2.1) sont attribu´es au lecteur pour interpr´eter ou comprendre ses comportements : ce sont des concepts sugg´er´es en r´eponse `a la question psy- chologique « conceptuelle » relative `a la fiction. Il y a cependant une diff´erence importante entre eux : le faire comme si de Currie est une attitude proposition- nelle, dans la mesure o`u elle prend comme argument une proposition (« Sher- lock Holmes est un d´etective »), alors que l’imagination de Walton ne l’est pas n´ecessairement, dans la mesure o`u elle pourrait prendre d’autres types d’argu- ments (on peut imaginer ˆetre Napol´eon)49. Pour d´esigner les « concepts men-

taux » qui prennent comme argument des propositions aussi bien que ceux qui peuvent ne pas les prendre, il faut ´eviter le terme « attitude », car il est souvent employ´e dans la philosophie analytique comme ellipse pour « attitude propo- sitionnelle » ; on adoptera plutˆot l’expression « ´Etat Mental ». Parmi les ´Etats Mentaux, on compte les croyances, les d´esirs, les faire comme si, les imagina- tions, mais ´egalement les ´emotions : bref, les concepts que l’on emploie pour parler des aspects plus ou moins mentaux d’ˆetres humains. L’imagination de Walton et le faire comme si de Currie sont des ´Etats Mentaux employ´es pour comprendre et d´ecrire le comportement du sujet : on comprend le fait qu’il dit que Sherlock Holmes est un d´etective, sans penser `a l’appeler en cas de crime, par l’attribution de l’Etat Mental appropri´e – il imagine que (ou fait comme si ) Sherlock Holmes est un d´etective, ce qui a des cons´equences sur son comporte- ment.

D’autre part, Currie approfondit sa th´eorie de l’´Etat Mental « faire comme si » en proposant qu’il y a une sorte de m´ecanisme, qu’il appelle « simulateur », dans la tˆete du lecteur qui simule certains fonctionnements ordinaires du men- tal, sur les op´erandes et les r´esultats qui ne sont pas des croyances r´eelles mais des « faire comme si »50. Pour lui, l’attitude d’imaginer ou de « faire comme si » que l’on attribue au lecteur correspond `a ce « m´ecanisme » : « l’imagination est le simulateur »51. Cette th`ese n’a pas affaire `a l’attribution d’un concept de

faire comme si au sujet, mais plutˆot `a une « cause » ou un processus effectif qui sous-tend suppos´ement les comportements du lecteur. Il s’agit d’un aspect « causal ».

L’int´erˆet des th´eories proposant des m´ecanismes mentaux relatifs `a la fiction

49Currie, op cit., §2.4 ; Walton, op cit., §1.4 et pp42-43. Il n’est pas n´ecessaire de s’attarder

ici sur la question de savoir si les attitudes de se (au sujet de soi-mˆeme) sont des attitudes propositionnelles.

50Currie (1995). Voir §1.5.1 ci-dessous. 51Currie, op cit., p 158.

ne tient cependant pas `a l’effectivit´e des m´ecanismes propos´es, mais plutˆot `a leur efficacit´e pour rendre compte des comp´etences et des comportements du lecteur relatifs `a la fiction. En effet, le fait d’adopter le cadre « internaliste » a pour cons´equence que les questions de l’effectivit´e ou du r´eel sont mises entre parenth`eses (§1.1.2), `a moins qu’elles soient comprises comme questions relatives au r´eel en tant que le sujet se le repr´esente. Il n’est certainement pas question ici, comme il l’est pour les psychologues cognitivistes, des vrais m´ecanismes qui sont r´ealis´es physiquement par le cerveau humain. En revanche, l’importance des m´ecanismes qui sont propos´es par les psychologues cognitivistes pour le pro- pos de ce travail tient `a leur structure plus fine. Alors que les ´Etats Mentaux sont des concepts employ´es ordinairement pour comprendre certains comporte- ments de l’agent (les plus « importants » ou « int´eressants »), les m´ecanismes et les processus « causaux » propos´es par les psychologues cognitivistes devraient rendre compte de tout son comportement ; par cons´equence, ils devraient of- frir une th´eorie plus riche de son mental. D’ailleurs, on verra dans §1.4 que les ´Etats Mentaux ne suffissent pas pour aborder les questions d´etaill´ees de la fiction, d’o`u un recours, dans §1.5, aux m´ecanismes psychologiques. L`a, on s’int´eressera, pour r´ep´eter le point, aux structures de ces m´ecanismes, et `a la possibilit´e d’aborder des questions de la fiction en termes de ces structures, non pas `a leur « r´ealisme ».

La distinction entre ´Etats Mentaux et m´ecanismes sert `a organiser la discus- sion suivante : dans un premier temps (§1.4), on discute les th´eories proposant des ´Etats Mentaux appropri´es `a la fiction, pour venir, dans un deuxi`eme temps (§1.5), aux m´ecanismes « causaux » qui ont ´et´e propos´es.

Or, quant aux th´eories des aspects « conceptuels » du mental, c’est-`a-dire des th´eories d’´Etats Mentaux, on pourrait distinguer approximativement deux conceptions d’´Etats Mentaux qui sont propos´es dans la litt´erature. La discussion des ´Etats Mentaux sp´ecifiques `a la fiction (« imagination », faire comme si) s’ouvrira `a la confusion si l’on n’est pas clair d`es le d´epart sur la conception d’´Etat Mental en jeu. Il appartient au prochain paragraphe de pr´esenter cette distinction.

1.3.2

Conceptions ordinaires et sophistiqu´ees des ´Etats