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Retrouver la fiction

3.1 Comp´ etence fictionnelle

3.1.2 Les mises en jeu du fait de fiction

O`u l’on consid`ere quelques cas o`u le fait de fiction entre en jeu de mani`ere focalis´ee. En employant le cadre propos´e dans le

8Schaeffer (1999, p182).

9C’est l’exemple de Schaeffer, ibid. Alors qu’il discute un exemple relatif `a l’´emetteur

d’un texte de fiction (l’auteur), ses conclusions sont cens´ees s’appliquer ´egalement au cas du r´ecepteur (le lecteur).

10Par ailleurs, l’int´erˆet de la r´ealit´e virtuelle r´eside pr´ecis´ement dans l’´ecrasement de la

distinction entre le monde r´eel qui entoure l’activit´e fictionnelle et l’activit´e r´eel qui correspond et oppose `a l’activit´e fictionnelle. Lire un texte de fiction implique des diff´erences et des ressemblances int´eressantes par rapport `a lire un texte non fictionnel (plutˆot que par rapport `

a s’asseoir dans son chambre) ; regarder un film ou une pi`ece fictionnel implique des diff´erences et des ressemblances int´eressantes par rapport `a regarder un film documentaire ou une pi`ece non fictionnelle (plutˆot que par rapport `a s’asseoir dans une salle noire) ; mais « jouer » une r´ealit´e virtuelle, ne comporte-elle pas les rapports int´eressants pr´ecis´ement avec se comporter « ordinairement » ?

chapitre pr´ec´edent, on peut rendre compte de ces mises en jeu comme l’apparition d’un objet fiction dans la structure instantan´ee de la conscience au moment appropri´e. De mani`ere g´en´erale, les diff´erentes modalit´es de sa mise en jeu correspondent aux diff´erents aspects d’une structure instantan´ee qui peuvent lui correspondre et aux diff´erentes mani`eres d’organiser ces aspects dans la structure – plus ou moins en arri`ere-plan, entrant dans certains rapports plus ou moins forts avec d’autres aspects de la structure, et ainsi de suite. Aux moments d’immersion fictionnelle, le fait de fiction est absent de la structure instantan´ee. `A l’inverse, le fait de fiction est pr´esent dans la structure instantan´ee, d’une mani`ere ou d’une autre, `a des moments o`u le fait que le texte est fictionnel est « en jeu ». Cette pr´esence connaˆıt plusieurs « modalit´es » possibles, selon qu’il s’agisse de la pr´esence d’un objet, d’une relation ou d’une configuration de la structure, ou, pour reprendre la terminologie de §2.2.2, selon que le fait de fiction soit focalis´e ou non. Dans ce paragraphe, on consid`ere la pr´esence focalis´ee du fait de fiction `a un moment, laquelle connaˆıt plusieurs variations selon les autres objets et aspects de la structure instantan´ee. Il s’agit donc des structures instantan´ees appropri´ees `a certaines situations o`u le sujet « enjambe » la fronti`ere entre fiction et r´ealit´e, ayant les deux dans la vue de l’esprit en mˆeme temps, pour ainsi dire, telles des situations o`u le sujet consid`ere la fiction « du dehors » ou des situations o`u le fait qu’il s’agit de la fiction entre en jeu `a un moment d’immersion fictionnelle.

On commence avec l’exemple d’un moment o`u le sujet est focalis´e sur le fait que Holmes soit un personnage fictionnel. On a vu auparavant que le fait d’avoir quelque chose in focus ou de lui prˆeter de l’attention `a un moment se rapporte `

a un objet (ou des objets) dans la structure instantan´ee de la conscience `a ce moment (§2.2.2) ; de mˆeme, le fait d’ˆetre focalis´e sur le fait que quelque chose soit fictionnel correspond `a un objet (ou des objets) dans la structure. Pour le dire grossi`erement et simplement, le fait de tenir compte du fait que Holmes soit fictionnel correspond `a l’apparition d’un objet fiction (ou mˆeme Aventures de Sherlock Holmes11) reli´e (par une relation « . . . vient de . . . » ) `a l’objet Holmes

dans la structure instantan´ee de la conscience `a l’instant appropri´e.

Cet exemple simple sert seulement `a indiquer le genre d’aspect de la struc- ture instantan´ee de la conscience qui correspond `a la mise en jeu de la fiction. La th´eorie du mental d´evelopp´ee dans Chapitre 2 permet de rendre compte des multiples « mani`eres » ou « degr´es » dont le fait de fiction pourrait ˆetre en jeu

11Evidemment, `´ a des moments o`u il s’agit des personnages provenant des œuvres diff´erentes, il y aura des objets diff´erents pour chaque texte dans la structure instantan´ee de la conscience.

en termes des diff´erentes modalit´es de son apparition dans une structure ins- tantan´ee. Comme le montre l’exemple ci-dessus, si le fait de fiction est focalis´e, il y a un objet fiction dans la structure instantan´ee ; de plus, cet objet est plus ou moins `a l’arri`ere-plan selon que le fait de fiction l’est. Comme on l’a vu dans le paragraphe pr´ec´edent, si le fait de fiction est hors sujet, il n’y a ni objet ni relation dans la structure instantan´ee qui s’y rapporte. Comme on le verra dans le paragraphe suivant, le fait de fiction pourrait ˆetre non focalis´e ; en ce cas il se rattache `a une relation dans la structure instantan´ee. Pour illustrer ces possibilit´es sur des cas plus complexes, mais toujours impliquant l’apparition focalis´ee du fait de fiction, on consid`ere deux exemples des entr´ees en jeu du fait de fiction pendant l’immersion fictionnelle.

Il s’agit d’abord de l’h´esitation du lecteur au moment o`u l’on interrompt sa lecture en lui posant la question de l’existence de Holmes, exemple que l’on a relev´e dans §§1.4.1 et 1.5.2 comme probl´ematique pour les th´eories tradition- nelles de la fiction. `A un tel moment, la structure instantan´ee de la conscience comprend toujours l’objet fiction reli´e `a Holmes. L’ambigu¨ıt´e et l’h´esitation tiennent au fait que, dans la structure, il n’y a pas de « priorit´e » entre le fait qu’il y a un objet Holmes et le fait que cet objet est reli´e `a l’objet fiction ; c’est-`a-dire, entre « l’existence » au sens « large », pour ainsi dire, et l’existence « effective ». L’h´esitation se rend facilement dans ce cadre th´eorique comme un aspect structurel de la structure instantan´ee `a cet instant : de la configuration des objets tels que fiction et Holmes. L’issue de cette h´esitation, c’est-`a-dire la r´eponse `a la question, sera d´ecid´ee dans la succession des structures instantan´ees suivantes, o`u l’un des aspects gagnera la priorit´e, alors que, conforme au rapport intime mais certainement pas d´eterminant entre la structure instantan´ee de la conscience et sa dynamique (§2.3.4), il se peut que la forme ou l’organisation de cette structure `a cet instant correspondra `a une tendance `a la r´esolution finale dans l’un sens ou l’autre.

Enfin, pour prendre un exemple qui met en avant les affects relatifs `a la fiction et donc qui a trait `a la question B. de §1.1.1, il s’agit de l’instant o`u le lecteur s’efforce de se lib´erer des sentiments ´eprouv´es `a l’´egard du texte en mettant en jeu son caract`ere fictionnel, instant qui a ´egalement pos´e probl`eme pour les th´eories traditionnelles (§1.4.1). Encore une fois, alors que la question g´en´erale du rapport entre l’affect et la croyance au fait de fiction r´ef`ere `a la succession dynamique dans laquelle le « conflit » entre eux se joue et trouve son issue, il n’est pas difficile, dans le cadre propos´e, de comprendre en gros la structure instantan´ee de la conscience `a cet instant : elle comporte un objet fiction reli´e `a d’autres objets appropri´es (cela rend compte du caract`ere focalis´e du fait de

fiction) et, de plus, elle a une certaine propri´et´e globale ou une certaine « forme » (ce qui correspond au sentiment ´eprouv´e, §2.5.2). Le rapport entre l’objet fiction et la forme globale de la structure est complexe et difficile : l’exemple du lecteur qui n’arrive pas `a effacer tout de suite son sentiment en rappelant le fait qu’il s’agit de la fiction montre que, au moins pour certaines formes (c’est-`a-dire, sentiments), le fait que l’objet fiction apparaˆıt et entre en relation avec d’autres objets de la structure ne nuit pas `a la forme g´en´erale de la structure (et donc au sentiment qui lui correspond). Les questions de savoir si certaines formes sont incompatibles avec l’objet fiction (si certains sentiments s’absentent d`es que l’on fait attention au fait de fiction), ou si certaines formes sont bouscul´ees plus ou moins rapidement ou facilement dans les structures instantan´ees suivantes par la mise en jeu de la fiction (si l’on se d´erobe du sentiment plus ou moins rapidement ou facilement en se rappelant que c’est fictionnel) sont des questions complexes, exigeant une consid´eration des suites des consciences relatives `a la fiction.