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Attitudes ` a l’´ egard de la fiction

1.3 Approches psychologiques ` a l’´ egard de la fic tion

1.3.3 Etats mentaux narratifs et non narratifs ´

O`u l’on pr´esente la distinction entre les ´Etats Mentaux narratifs, tels que la croyance, dont l’attribution requiert une base d’une cer- taine ´etendue temporelle et les ´Etats Mentaux non narratifs, dont le sentiment, qui peuvent ˆetre attribu´es en faisant r´ef´erence `a un seul instant. Bien entendu, le classement des ´Etats Mentaux comme narratifs ou non est relatif aux propri´et´es de la base d’attribution admise : pour certains choix de base, dont le celui pris par l’externa- lisme m´ethodologique le plus strict, il n’y aura pas d’ ´Etats Mentaux non narratifs.

Dans le paragraphe pr´ec´edent, on a mis en ´evidence une distinction entre deux conceptions des ´Etats Mentaux, entre deux conceptions de la croyance par exemple, dont une des diff´erences tient `a la base de l’attribution. Il s’agit ici d’in- troduire une distinction entre deux types d’ ´Etats Mentaux particuliers, entre la croyance et le sentiment par exemple, qui s’exprime ´egalement en termes de la base de l’attribution. En l’occurrence, il est question de la possibilit´e d’une attri- bution sur une base plus ou moins grande ou petite : un Etat Mental particulier peut-il ˆetre attribu´e en faisant r´ef´erence `a un instant seul ou toute attribution

doit-elle faire r´ef´erence `a d’autres moments ? Cette question, et la distinction qui sera tir´ee selon la r´eponse, n’est pas triviale, dans la mesure o`u il y a `a premi`ere vue des ´Etats Mentaux pour lesquels la r´eponse est n´egative et d’autres pour lesquels elle est apparemment positive.

D’un cˆot´e, on s’accorde g´en´eralement sur le fait qu’une croyance est en rap- port avec des exp´eriences du sujet (qui y donnent lieu) et avec des actions du sujet (qui sont cons´equences des croyances, et ´eventuellement des d´esirs) `

a d’autres instants65. On dira que la croyance est un Etat Mental narratif :

son attribution d´epend n´ecessairement non seulement de l’´etat instantan´e du sujet, mais plutˆot d’un certain nombre de ses exp´eriences et de ses comporte- ments, parsem´es dans le temps et organis´es sous forme d’un r´ecit. De l’autre cˆot´e, un sentiment est apparemment quelque chose de « pr´esent », de « vif » ou « d’imm´ediat » (occurrent), donc relatif `a un instant seul, et donc admettant en principe d’ˆetre attribu´e sur la base de ce seul instant. En appelant non narratif un ´Etat Mental dont l’attribution peut se faire en r´ef´erence `a un instant seul, le sentiment est apparemment un exemple d’un ´Etat Mental non narratif.

Cette distinction entre les ´Etats Mentaux narratifs et non narratifs est enti`erement rigoureuse et g´en´erale, encore qu’elle soit bien entendu relative `

a ce que l’on prend comme base d’attribution. Si l’on prend une base d’at- tribution munie des propri´et´es particuli`eres, la distinction s’av´erera vide. Par exemple, les seuls ´Etats Mentaux que l’on peut admettre comme non narra- tifs sont g´en´eralement ceux qui sont ph´enom´enologiquement « pr´esents » ou « imm´ediats » (occurrent), de telle sorte que dans un cadre th´eorique souscri- vant `a l’externalisme m´ethodologique le plus stricte (§1.3.2), n’admettant au- cune r´ef´erence aux exp´eriences ph´enom´enales du sujet, la distinction entre ´Etats Mentaux narratifs et non narratifs n’a pas de sens. Dans un tel cadre souscri- vant `a une forme stricte d’externalisme m´ethodologique, le sentiment, exemple typique d’un ´Etat Mental non narratif, doit ˆetre attribu´e en s’appuyant sur des comportements ´etal´es temporellement66.

65Par exemple, Ryle, op cit., p120 soutient que les affirmations des dispositions, dont, `a

ses yeux, les attributions sont « ´etroitement li´ees avec les r´ecits d’´ev´enements, car, si elles sont correctes, elles sont satisfaites par les r´ecits d’´ev´enements ». Ou encore, Stalnaker (1984, p19) affirme que « Les croyances ont un contenu d´etermin´e en raison de leurs connexions causales suppos´ees avec le monde. Les croyances sont croyances, plutˆot que quelque autre ´etat repr´esentationnel, en raison de leur rapport . . . avec l’action. »

66Wittgenstein (1953, §244) : « Comment les mots se rapportent-ils aux sensations ? . . .

Cette question est semblable `a : comment un homme apprend-il la signification des noms de sensations ? – du mot « douleur » par exemple. En voici une possibilit´e : des mots sont li´es aux expressions primitives, naturelles de la sensation et employ´es `a sa place. Un enfant s’est bless´e, il crie ; alors les adultes lui parlent, et lui apprennent des exclamations et, plus tard,

Il ne reste pas moins que la distinction entre ´Etats Mentaux narratifs et non narratifs est parfois explicitement utilis´ee, et souvent effectivement importante. Elle permet par exemple d’expliciter une propri´et´e importante du faire comme si propos´e par Walton et Currie, `a savoir qu’il est un Etat Mental narratif. En effet, aussi bien Walton que Currie soulignent le caract`ere ´eventuellement non imm´ediat (nonoccurrent) du faire comme si : « je ne pense pas le faire comme si comme un ´etat « qualitatif » ou « ph´enom´enologique », ouvert `a l’in- trospection `a la fa¸con des douleurs et des sensations corporelles » 67. Il est

sous-entendu que, puisque le faire comme si ne se r´eduit pas `a ses apparitions « ph´enom´enologiques », il est attribu´e sur la base des comportements et des exp´eriences relatifs `a d’autres instants temporels : en un mot, le faire comme si est, tout comme la croyance, narratif. Il en d´ecoule la cons´equence importante que le faire comme si, tout comme la croyance, pourrait ˆetre attribu´e `a un sujet sans qu’il se rende compte (explicitement) qu’il ait cet ´Etat Mental.

En outre, comme on le verra tout de suite, cette distinction est cruciale pour comprendre le d´ebat autour des ´emotions, et particuli`erement les positions de Currie et de Walton `a l’´egard des affects relatifs `a la fiction.