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Ce groupe d’amis qui germa au sein de ces premières promotions de l’Université de Varsovie des années 1915–1918 nous révèle l’une de leurs particularités générationnelles, celle de voir leurs études placées sous le signe de la guerre. Certains parmi eux rejoignirent les drapeaux des Légions de Pilsudski pendant le conflit mondial. Mais, pour leur grande majorité, ils ne s’impliquèrent qu’après 1918, lors de ce long combat que fut le processus d’émergence de l’État polonais. La reconstruction de l’administration polonaise, l’unification

556 A. H ERTZ, Wyznania, p. 350. 557 W. W EINTRAUB, Rafal Blüth, p. 274. 558 A. HERTZ, Wyznania, p. 352. 559 W. W

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des terres polonaises et la consolidation de l’État furent ponctuées par de nombreux conflits militaires pendant les années 1918–1921560.

La défaite de l’Allemagne et l’armistice revêtirent une grande signification pour les Polonais, en ce sens que, le 11 novembre 1918, les autorités polonaises, soumises à la domination allemande à Varsovie, retrouvèrent leur liberté et Pilsudski sortit de prison. Lorsque l’on proclama la République de Pologne à Varsovie, le 22 novembre 1918, personne n’était cependant en mesure d’attribuer au nouvel État un territoire précis. Au moment où Pilsudski prenait le pouvoir à Varsovie, comme chef de l’État, il ne dirigeait qu’une partie de ce qui avait constitué la Pologne d’avant les différents partages. La République polonaise existait bel et bien, mais sans statut international ni frontières. La guerre polono-ukrainienne sévissait toujours en Galicie orientale et les provinces occidentales, sous le joug allemand, attendaient le verdict de la Conférence de Paix et s’activaient, à l’image de la Posnanie, pour rétablir le pouvoir polonais.

La Pologne était in statu nascendi, à cause des conflits diplomatiques et militaires, d’une part, et de l’absence, chez la plupart des forces politiques polonaises, de programmes territoriaux précis, d’autre part. Quant à la délimitation de l’ensemble des frontières de la Pologne, la Conférence de Paix n’eut qu’un pouvoir de décision partiel dans ce processus561

. Le Traité de Versailles n’aborda en effet, dans ses clauses territoriales, que le problème des frontières occidentales de la Pologne, autrement dit celles avec l’Allemagne. Même si les considérations relatives au principe des nationalités n’étaient pas exclues des négociations de Paris sur la frontière polono-allemande, la solution des litiges relevait finalement plutôt des intérêts particuliers des grandes puissances. En ce qui concernait les frontières orientales, les revendications polonaises étaient en effet utilisées par les puissances occidentales pour appliquer leur stratégie politique antibolchévique. Les dispositions du Traité laissaient ainsi en suspens quatre questions frontalières à l’est et au sud de la Pologne562, dont deux concernaient des régions à forte population ukrainienne : les confins du Sud-est et la région de la Galicie orientale, qui déterminait nécessairement le tracé de la frontière avec la Russie. C’est pourquoi la Pologne finit, entre 1919 et 1921, par fixer unilatéralement ses frontières orientales.

Au-delà des luttes politiques et diplomatiques pour la forme territoriale et politique de la Pologne, la société polonaise fournit aussi des efforts conséquents pour défendre l’indépendance récemment reconquise. L’armée polonaise étant quasi inexistante, la jeunesse estudiantine de Varsovie décida de s’engager volontairement dans l’armée.

L’Université de Varsovie interrompit ainsi ses activités pendant une année, de novembre 1918 à octobre 1919563. Il en alla de même de la plupart des écoles supérieures et secondaires, dont la jeunesse s’enrôla dans l’armée. De nombreux élèves et étudiants rejoignirent la Légion Estudiantine, formée de volontaires, étudiants, professeurs universitaires désormais considérée comme une unité de l’armée564

.

560

Sur cette période qui s’étend de 1918 à 1921, voir par ex. Wojciech ROSZKOWSKI, Najnowsza historia Polski

1914–1945, Warszawa 2003, pp. 52–99, ou Norman DAVIES, Histoire de la Pologne, pp. 139–146.

561 La plupart des historiens considère son rôle comme secondaire (N. Davies, op. cit., p. 139), et ce malgré un

grand effort de la diplomatie polonaise sous la direction de Roman Dmowski.

562 L’article 87 du traité stipulait que les frontières qui n’étaient pas spécifiées seraient ultérieurement fixées par

les principales puissances alliées et associées. On retrouve la même indécision dans le texte de l’art. 91 du Traité de Paix avec l’Autriche.

563 A. G

ARLICKI, Dzieje Uniwersytetu Warszawskiego, p. 41-43.

564

R. GAWKOWSKI, J. KIEPURA, Uniwersytet, pp. 17–19 ; A. GARLICKI, Dzieje Uniwersytetu Warszawskiego, pp. 71˗72.

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La Légion Estudiantine

Suite à la fermeture de l’École Supérieure de Wawelberg et Rotwand et de l’école de Sylviculture, où l’abbé Kornilowicz assurait l’aumônerie, ce dernier décida de consacrer son ministère pastoral à la jeunesse qui partait au front565. Conformément à sa demande, il fut libéré de ses autres fonctions à la Curie Métropolitaine et nommé aumônier militaire en novembre 1918566. Il se rendit alors sur le front pour accompagner ses anciens disciples et ses amis étudiants mobilisés dans la Légion Estudiantine. Parmi ceux qui rejoignirent la Légion en ce mois de novembre se trouvaient Stanislaw Krzywoszewski567, Tadeusz Baykowski et Franciszek Tencer. Rafal Blüth, qui était membre de l’Organisation militaire polonaise depuis 1915, était pour sa part envoyé directement dans l’armée polonaise pour le compte du service de contre-espionnage et de propagande. Tadeusz Braunstein intégra quant à lui la Ve Division d’Infanterie. Après les premiers mois au front, une partie des soldats-étudiants fut incorporée à d’autres unités de l’armée. En février 1919, Stanislaw Krzywoszewski, par exemple, fut affecté au Bureau de Presse, au sein de l’État-major de l’Armée Polonaise568

. Les camarades d’études exemptés de service militaire et de nombreuses étudiantes s’engagèrent pour leur part auprès des divers services civils, à la Croix-Rouge, ou partirent au front comme aides- soignantes dans des services non armés. On y retrouve les noms d’Irena Kaliska, Maria Czapska, Jadwiga Chojko, Irena Hebdzynska qui, dans les années 1920, allèrent grossir les rangs du petit cercle d’amis formé autour de Kornilowicz.

La Légion Estudiantine (transformée en 36 divisions de fantassins) prit part à la campagne lancée en Galicie orientale dans le cadre de la guerre polono-ukrainienne. En sa qualité d’aumônier, l’abbé Kornilowicz rejoignit les soldats-étudiants sur le front. Il tâcha d’offrir une présence et une écoute, d’apporter un soutien spirituel à ces jeunes, souvent confrontés pour la première fois à la mort et aux atrocités engendrées par la guerre. Le contexte belliqueux, de même que la confrontation avec la mort et la souffrance, firent forcément surgir des interrogations d’ordre spirituel. De nombreux soldats-étudiants semblèrent ainsi connaître un réveil religieux. Bien des témoignages insistent sur le rôle joué par l’abbé Kornilowicz à cet égard. Eugeniusz Kloczowski, auteur de l’un de ces documents, était étudiant à l’École Supérieure d’Agriculture lorsqu’il fut mobilisé dans la Légion Estudiantine569. Il décrit certaines rencontres entre Kornilowicz et des soldats de la division, au mois de mars 1919, alors que les batailles de Sokolniki et de Sknilow auxquelles participèrent les étudiants se déroulaient dans des conditions particulièrement difficiles. Le séjour de Kornilowicz fut bref mais décisif : après un passage d’une semaine auprès des soldats, alors que la bataille faisait rage, se produisit un « retour massif vers Dieu », aux dires de Kloczowski, qui constata que « ces étudiants indifférents et non pratiquants sont amenés à la vie sacramentelle, par Kornilowicz. Ils se confessent, ils communient. » Selon Kloczowski, ni l’angoisse devant la mort, ni le besoin d’une sécurité spirituelle ne suffisent à expliquer une telle démarche. Parmi les raisons du retour à la foi qu’il observa parmi ses camarades du front, il relève la force du message transmis par Kornilowicz. « Il nous a montré la valeur de la souffrance et le sens du sacrifice, note-t-il, en expliquant que seule la foi en Dieu peut lui donner un sens »570.

565 Demande adressée à l’Archevêché de Varsovie du 7 novembre 1918, AWK/02.

566 Nomination à l’aumônerie de l’Armée Polonaise du 19 novembre. Curie Métropolitaine, Varsovie (n° 4747),

19 novembre, 1918, AWK/02. Officiellement, Kornilowicz fut relevé de ses fonctions d’aumônier de l’Armée Polonaise en mars 1921 (document du 10 mars 1921).

567 Stefan K

RZYWOSZEWSKI, Dlugie Zycie. Wspomnienia, t. I, p. 309.

568 Lettre de S. Krzywoszewski au recteur de l’Université (s.d.), AUW, RP 147. 569

EugeniuszKLOCZOWSKI, Wspomnienie du 1er avril 1949, AWK/42/3.

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Alors qu’à la fin de l’année 1919 les étudiants rentraient à l’Université de Varsovie, qui venait de reprendre ses activités, Kornilowicz se vit confier l’aumônerie de l’École des Officiers de Varsovie571, fonction qu’il conserva jusqu’au mois de mars 1921, date de la fin de la guerre. Pendant les années durant lesquelles il exerça cette fonction, son appartement, situé dans l’École des Officiers, allée d’Ujazdow, devint rapidement un lieu de rencontre pour la jeunesse estudiantine et pour son petit groupe « de convertis » en particulier. C’est là que, chaque semaine, en principe le dimanche, se rassemblait un petit cercle d’amis – parmi lesquels l’on trouve Stanislaw Krzywoszewski et Tadeusz Baykowski, les jeunes artistes Zofia Sokolowska et Franciszek Tencer, ainsi que Zofia Landy. D’autres, à l’instar de Rafal Blüth, rejoignirent ce groupe par la suite. Ces réunions, où l’on abordait des questions en lien avec la vie religieuse, allaient progressivement s’ouvrir à d’autres invités572. Un cercle d’amis, dont le cœur battait allée Ujazdow, à Varsovie, commençait à voir le jour.

Avant-garde de propagande et d’instruction

L’invasion du pays par l’Armée rouge, au printemps 1920, destinée, selon la vision de Lénine, à porter la révolution prolétarienne au cœur de l’Europe en foulant aux pieds le cadavre de la « Pologne bourgeoise », mobilisa à nouveau toute la société polonaise573. Suivant l’appel lancé en juillet par le ministre des Affaires Militaires, le général Kazimierz Sosnkowski, des volontaires de toutes les couches sociales rejoignirent l’Armée. De nombreux lycéens et étudiants de l’Université interrompirent à nouveau leurs études pour s’engager sous les drapeaux.

En sa qualité d’aumônier militaire, l’abbé Kornilowicz prit l’initiative de mettre en place, auprès du Corps Principal de l’Armée, une unité de propagande et de culture, conçue comme un groupement volontaire déterminé à apporter un soutien moral et matériel aux soldats-étudiants mobilisés. Cette initiative d’action patriotique et religieuse parmi les soldats ne fut pas accueillie sans méfiance par certains cercles militaires, qui y virent une volonté de « propagande cléricale » dont ils craignaient les effets néfastes574. Malgré les réticences, le groupe fut finalement constitué en tant qu’Unité III de l’Armée : Avant-garde de propagande et d’instruction. Formé dès le printemps 1920 par les amis étudiants de Kornilowicz exemptés du service militaire pour des raisons médicales575, le groupe fut peu à peu étoffé par d’autres étudiants et lycéens de Varsovie. En dépit des réserves émises par Kornilowicz, plusieurs étudiantes vinrent également s’y joindre. L’Avant-garde était alors organisée en deux sections, l’une comprenant les deux sœurs Zofia et Barbara Sokolowska, Zofia Landy, Tadeusz Baykowski, Stanislaw Krzywoszewski, Tadeusz Rutkowski et Franciszek Tencer, l’autre réunissant Rafal Blüth, Jan Jundzill Balinski, Jan Soltan, Elzbieta Popowska et Ludwik Plater-Zyberek576. Après avoir surmonté toute une série de difficultés administratives, le

571 Documents de l’École des Officiers (Szkola Podchorazych Wojsk Polskich), Document attestant le congé

août–sept. 1919), AWK/42/02. Il convient de noter que Kornilowicz avait auparavant refusé le poste d’aumônier auprès de Jozef Pilsudski, car il ne voulait pas limiter son ministère au cadre du Belvédère, la résidence du chef de l’État.

572 EugeniuszK

LOCZOWSKI, Wspomnienie du 1er avril 1949, Poznan, AWK/42/3.

573 Sur la guerre polono-soviétique, voir Wojciech R

OSZKOWSKI, Najnowsza historia Polski 1914–1945, Warszawa 2003, pp. 73–91 ; Marek M. DROZDOWSKI, Warszawa w obronie Rzeczypospolitej Czerwiec-sierpien

1920, Instytut Historii PAN, Warszawa 1993 ; Mieczyslaw PRUSZYNSKI, Wojna 1920. Dramat Pilsudskiego, Warszawa 1994.

574 Antoni P

LATER-ZYBEREK, Wspomnienie (Souvenirs sur Kornilowicz), Wroclaw 9 juin 1949, AWK /42/5.

575 Tadeusz R

UTKOWSKI, Wspomnienie o Ojcu Kornilowiczu, 20 juillet 1958 (témoignage confirmé en 1966), AWK/42/5.

576 Antoni P

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premier groupe de l’Avant-garde partit rejoindre la ligne de front, près de Varsovie, dans la région de Drewnica-Marki-Zabki, où il accompagna les soldats durant les journées dramatiques du mois d’août jusqu’au « miracle de la Vistule » (la bataille de Varsovie du 15 août) et l’audacieuse contre-attaque menée par Pilsudski (du 16 au 18 août), qui marqua le tournant décisif de la guerre, avec le début du retrait des troupes soviétiques577. En septembre, ce même groupe se rendit sur le front oriental de la Podolie, où il soutint la division des soldats d’infanterie commandés par Burkhard-Bukacki.

Même si la ligne mobile du front ne permit pas un travail systématique, le groupe de l’Avant-garde s’efforça d’apporter un soutien moral aux soldats. Pendant que les étudiants Baykowski, Krzywoszewski et Tencer discutaient avec les soldats, les femmes s’occupaient des repas, aménageaient la salle de réunion et cherchaient à créer un cadre propice au repos et au réconfort. On organisa des causeries, des discussions. Pendant ces rencontres, on consacra aussi du temps à la lecture de l’Évangile, à la méditation et à la prière. Pour beaucoup, ces contacts furent essentiels à leur futur cheminement religieux. Un jour où sa division s’arrêta à l’endroit où se trouvait l’Avant-garde, l’étudiant Konrad Gorski, mobilisé sous les drapeaux, fut invité à l’une de ces réunions. Alors éloigné de l’Église et de toute croyance et professant l’agnosticisme avec conviction, Gorski découvrit une « expérience religieuse communautaire », une expérience avec laquelle il allait renouer quelques années plus tard lorsqu’il entamerait sa propre quête religieuse578

.

Dans le contexte de la guerre, qui amenait forcément à un retour sur soi, nous l’avons vu, les questions existentielles prenaient toute leur ampleur. C’est aussi dans le cadre de cette unité d’Avant-garde et autour de Kornilowicz que se tissèrent de nouvelles amitiés et se produisirent de nouveaux « retours à la foi ». Tadeusz Rutkowski fut l’un de ces étudiants partis à la guerre en patriotes convaincus et qui allaient vivre un réveil religieux dans le cadre de ce groupe579. Né le 27 juin 1897 à Varsovie dans une famille de l’intelligentsia issue du milieu des propriétaires déclassés, Tadeusz Rutkowski fut baptisé catholique par tradition. Alors qu’il venait à peine d’entrer en droit à l’Université de Varsovie, en octobre 1918, il interrompit ses études en décembre de cette même année pour s’engager volontairement dans l’armée, comme la plupart de ses camarades universitaires. Exempté du service militaire pour raisons médicales, il rejoignit le groupe de propagande en 1920.

Ce catholique de baptême, éloigné de la pratique religieuse et hostile à l’Église, s’enrôla dans l’armée par amour pour sa patrie. Chez lui, la foi en la nation avait pris le pas sur la croyance en Dieu :

Comme la plupart des jeunes intellectuels de ma génération, j’étais plein d’aversion envers l’Église et éloigné des questions religieuses ; la religion était remplacée par des sentiments patriotiques très forts, encore exacerbés par la guerre et par des activités militantes en faveur de la société et de la nation.

note Rutkowski580. Mais son amour de la patrie et son idéal d’une guerre légitime visant à défendre la liberté du pays menacé dans son indépendance territoriale et politique allait vite confronter Rutkowski, dans le contexte du front et des sacrifices de tous les jours, à la mort et aux horreurs et faire naître différentes questions concernant la manière d’y faire face. Au cours de ces jours angoissants où le danger était bien réel et où Rutkowski, conscient de la gravité de la situation, découvrait toute l’abomination de la guerre, l’abbé Kornilowicz, qui demeurait constamment auprès des soldats, lui permit d’appréhender le conflit sous un angle différent, en lui montrant que « seule la foi en Dieu permet d’affronter les atrocités de la

577 MarekT

ARCZYNSKI, Cud nad Wisla. Bitwa warszawska 1920, Warszawa 1990.

578 K. G

ORSKI, Moje pokolenie, p. 1669.

579

Tadeusz RUTKOWSKI, op. cit.

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guerre » et donne « un sens aux sacrifices »581. Rutkowski, qui découvrait cet « homme de foi », inscrit à la date du 17 août, alors qu’il était encore au front, qu’il avait connu, sous l’influence de ce prêtre, un véritablement bouleversement, qui l’avait conduit à se tourner vers la foi de son enfance et à renouer avec la pratique religieuse :

La foi vivante du Père, dans la valeur réelle de la prière a fait que, d’un coup, je me suis libéré de mon état d’indifférence religieuse, et que j’ai désiré de tout mon cœur me rapprocher de Dieu. Le lendemain, je me suis agenouillé devant le confessionnal et j’ai confié la direction de ma vie au Père582.

L’environnement créé par ses camarades de l’Avant-garde et l’expérience de la communion spirituelle et patriotique vécue pendant plusieurs mois parmi ceux qui allaient devenir ses amis constituaient un cadre propice pour approfondir cette foi retrouvée, après des années d’éloignement de l’Église.

Tadeusz Rutkowski ne fut d’ailleurs pas le seul à suivre ce processus, puisque l’ancien scout Antoni Plater-Zyberek vit lui aussi sa foi se réveiller au contact du groupe. Né en 1901, ce jeune homme originaire de Kurtowiany (dans la Grande Pologne) arriva à Varsovie en juillet 1920 pour s’engager volontairement dans l’armée, où il intégra cette unité dont il devint le courrier583. Les rencontres et les situations vécues sur le champ de bataille firent naître en lui des questionnements sur la mort, sur le sens de celle-ci et encouragèrent son introspection. Tout comme Rutkowski, Antoni Plater-Zyberek trouva auprès de ses camarades de l’Avant- garde et de l’abbé Kornilowicz le soutien qui lui permit d’explorer ses nouveaux sentiments religieux.

Force est de constater que le contexte de la guerre, qui favorisait un retour à la foi, exigeait aussi la sauvegarde de certaines attitudes morales. Devant le spectre d’une Pologne menacée, représentée en victime de l’agression et en défenseur de la civilisation, et sous le poids de l’histoire nationale, le danger était grand, pour ces soldats-étudiants dont Kornilowicz se voulait le gardien spirituel, de reprendre à leur compte tous les poncifs nationalistes. Kornilowicz et ses jeunes amis eurent alors à cœur d’apaiser les ressentiments nationaux et d’éviter le patriotisme outrancier, souvent sentimental, éprouvé par de nombreux soldats. C’est cette réalité qui se dégage de plusieurs témoignages conservés. Tadeusz Rutkowski, par exemple, dessine une image dorée (presque apologétique) de Kornilowicz et de son action de sensibilisation auprès des soldats, veillant à ce que leur amour pour la patrie ne conduisît à un culte de la nation, et leur faisant prendre conscience des idéaux sociaux584. Pourtant, sur la base de maigres indices, il est difficile de mesurer son impact réel sur son entourage. L’essentiel reste au demeurant que cette volonté d’empêcher toute forme de xénophobie et de se distancier du nationalisme professé comme une idéologie politique constitua une attitude constante de ce groupe de jeunes intellectuels qui commençait à se mettre en place autour de Kornilowicz et dont les liens allaient être cimentés par l’expérience de la communion vécue au sein de l’Avant-garde.

De fait, l’activité menée par l’Unité III fut de courte durée, quelques mois à peine, car une fois la trêve conclue dans la guerre polono-bolchévique, la majorité des étudiants-soldats quittèrent l’armée pour reprendre leurs études et leur travail. Le groupe fut ainsi dissout à Baranowce, en novembre 1920, et les jeunes amis regagnèrent Varsovie. Du reste, force est de constater que, pour les jeunes de cette génération estudiantine, qui s’étaient enrôlés sous les drapeaux, leur premier apprentissage politique et existentiel se fit sur les champs de bataille.

581 T. R

UTKOWSKI, op. cit.

582 Tadeusz R

UTKOWSKI, op. cit.

583

Antoni PLATER-ZYBEREK, op. cit.

584 Tadeusz R

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Quand débuta enfin, en janvier 1921, l’année universitaire 1920–1921 à l’Université de Varsovie, 117 des étudiants enrôlés dans la Légion Estudiantine avaient été tué pendant ces presque deux années de guerre pour l’indépendance de leur pays585

. Et cette génération